Chapitre 38 - Felix

5 minutes de lecture

11 mai – 15 heures 03

Fukuoka

Je fouille l’aéroport de Fukuoka en espérant que Suhua n’a pas encore sauté dans un avion. Mes cheveux blonds sont plaqués sur mon visage par la pluie battante, je suis trempé, mais je cherche Suhua. Je tente en vain de l’appeler, mais je tombe directement sur sa messagerie.

- Suhua !

Je cours à travers chaque couloir de l’aéroport. Puis je la vois, assise contre un mur, repliée sur elle même, secouée de sanglots. Son téléphone brisé est posé à côté d’elle.

Je m’avance à grandes enjambées.

- Suhua…

Elle relève son visage plein de larmes vers le mien. Je me laisse tomber à côté d’elle et la serre dans mes bras.

- Putain, Suhua… J’ai eu tellement peur que tu partes… Je t’ai dit que je voulais que tu restes. Ne rentre pas en France. S’il te plait.

Elle pose sa tête sur mon épaule et continue de pleurer.

- C’est parce que je voulais être actrice…

- Quoi ?

Je me décale un peu d’elle, ne comprenant pas.

- Je suis partie de France… C’est parce que…

Suhua me balance tout. La dispute avec sa mère sur le fait qu’elle voulait être actrice, la façon dont elle s’est enfuie de Rochefort-en-Terre pour venir à Kyoto. Elle m’explique les circonstances de notre rencontre.

- Honnêtement, je suis heureux que tu n’aies pas tourné ce film.

- Pourquoi ?

Elle semble contrariée, mais je souris.

- C’est une romance. Tu aurais dû embrasser un autre homme que moi.

Je repense aux trois fois où nous nous sommes embrassés. Dans le spa. Dans mon lit.

- Felix…

Suhua me fusille du regard. Je ris pour détendre l’atmosphère et faire passer ma phrase pour une plaisanterie.

Mais quand est-ce que tu comprendras que je t’aime, Suhua Liu ?

- Tu aimes les parcs d’attractions ?

Elle relève la tête.

- Euh… Oui, pourquoi ?

- On ira. Le dix-neuf mai. C’est un jour où je n’ai rien prévu. Alors ça te dit ?

Suhua me sourit et hoche la tête.

- Merci, Felix.

Je me retiens de déposer un baiser dans son cou lorsqu’elle m’enlace et que sa nuque, lisse et avec une odeur agréable de grenade, se présente face à mes lèvres.

* * *

- Non. Je ne vous accompagne pas.

- Alors pourquoi tu es venue, Karina ? On vient de faire deux heures de taxi.

- Je vais explorer la ville autour. Mais je ne vais pas dans ce parc. Je l’ai fait des milliards de fois.

Karina se penche ensuite vers moi.

- Je te laisse seule avec Suhua.

Je lui souris. Aujourd’hui, j’ai décidé d’avouer mes sentiments à Suhua. Je ne sais pas quand. Mais je dois trouver le bon moment.

Je l’observe en coin. Elle est beaucoup trop belle, vêtue d’une mini-jupe serrée noire, de ses chaussettes blanches qui montent à mi-cuisse, de ses sandales à talons et de son top ballon blanc, avec un léger décolleté. Ses cheveux bruns sont attachés en une queue de cheval bouclée, les deux mèches de sa frange rideau tombant autour de son visage.

Je la rejoins.

- On y va ?

Je désigne l’entrée du parc d’attractions, le Kijima Amusement Park. Suhua, heureuse, me suit en sautillant. Elle m’explique qu’elle n’est allée que trois fois dans un parc d’attractions : deux fois à Disneyland Paris, et une fois au parc Astérix.

Nous abandonnons Karina. Depuis que je l’ai retrouvée dans l’aéroport de Fukuoka, si on ne compte pas les soirs dans la chambre, je n’ai pas été seul avec Suhua. Ce matin, elle m’a dit sur un air grave de conspiratrice qu’elle n’avait plus ses règles.

On commence avec un petit manège tranquille destiné aux enfants. Suhua insiste pour faire les tasses qui tournent et j’accepte à contre-cœur. On s’installe dans une tasse blanche à pois roses.

Suhua essaye de tourner le volant mais elle grimace.

- C’est trooooop dur. J’ai pas assez de force.

J’essaye à mon tour. Il faut forcer un peu, mais une fois qu’on est lancés, le volant est simple à pivoter. Je nous fais tourner vite, jusqu’à ce qu’une envie de vomir me prend. À ce moment-là, je lâche le volant et le laisse ralentir seul.

Suhua vacille quand on sort de la tasse et elle se retient à mon bras. Elle est un peu décoiffée, c’est adorable.

On continue d’évoluer dans le parc et je propose la grande roue pour apaiser mon pauvre petit estomac.

Étrangement, Suhua n’a pas le vertige.

- C’est trop bizarre, mais dans les grandes roues, les montagnes russes et ce genre de choses, je n’ai pas le vertige. Par contre, sur une falaise ou dans la Tour Eiffel, j’ai trop peur.

Même si on n’est pas censés bouger, je passe du siège face à elle à celui à ses côtés. On a une vue sur tout le parc et sur la ville autour. Je pense à Karina, qui accepte d’être seule pour me laisser de l’intimité avec Suhua.

- Suhua, j’ai quelque…

- Felix ! Regarde !!!

Elle désigne des montagnes russes. Je me tends.

- On y va, après ?

- On fait deux ou trois attractions avant, non ?

Suhua sourit.

- Ok, mais on doit les faire avant de manger. Sinon, je risque de vomir sur ta belle veste Chanel, dit-elle en attrapant la manche de ma veste blanche.

- J’ai déjà vomi sur mes vêtements Louis Vuitton quand j’ai bu de l’alcool, on va éviter de gâcher toutes mes tenues.

Suhua rit et j’oublie immédiatement que j’allais lui dire que je l’aimais. Nous descendons de la grande roue et je désigne le manoir hanté.

- On fait ça, et après les montagnes russes.

- Euh… Ok.

Je lui souris.

- Tu as peur des maisons hantées ?

- Oui. Je n’aime pas le fait de marcher dans le noir, sans repère et qu’à tout moment il peut y avoir un dessin hyper effrayant.

Alors que nous faisons la queue devant la maison de bois, je lui tends mon bras.

- Accroche-toi.

Suhua s’agrippe à mon bras comme si sa vie en dépendait. Nous entrons dans le manoir et elle se tend.

- Felix, tu sais que je suis morte de peur.

- Tant qu’il n’y a pas de Gipsy, ça va aller, n’est-ce pas ?

- Non, Felix.

Elle serre mon bras alors que le noir nous enveloppe. Je ne la vois pas, mais je sens son contact et son odeur.

Des bruits de rires de sorcières sortent des enceintes. Nous passons à travers des chaînes et évitons à l’aveugle des obstacles. Nous arrivons au détour d’un couloir et un visage apparaît. Suhua pousse un petit cri et cache son visage derrière mon épaule.

À un moment, nous arrivons devant un toboggan tellement long qu’on n’en voit pas le bout. Il n’est pas éclairé. Il y a juste une petite lampe jaune sinistre qui clignote et grésille à l’entrée du toboggan.

- Felix, je ne peux pas faire ça.

Je tourne la tête vers elle. Ses yeux brillent de larmes. Je m’assois sur le bord du toboggan.

- Attends, Felix, ne me laisse pas.

- Je n’allais pas partir. Viens.

J’écarte les jambes pour qu’elle puisse s’asseoir entre elles. Suhua s’exécute et je serre mes bras autour de sa taille, son dos contre mon torse. Elle pose ses mains sur mes avant-bras et les serre de toutes ses forces.

- J’ai peur, t’en as conscience ?

- Je suis là, Suhua. Tu es prête ?

Elle souffle.

- Vas-y.

Annotations

Vous aimez lire Ella AA. ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0