Chapitre 42 - Felix

7 minutes de lecture

20 mai – 8 heures 34

Fukuoka

Je regarde Suhua en coin et souris. C’est ma petite amie. Elle a accepté de se mettre en couple avec moi.

Je l’aime beaucoup trop.

Et je suis beaucoup trop heureux.

Suhua est assise en face de moi, et j’attrape une de ses jambes entre les deux miennes. Ma copine me lance un regard, un sourcil haussé. Je souris et elle me le rend.

- Oh, ça va pas être comme ça toute la journée, hein. Ni tout le reste de l’année, se plaint Karina. Je sais pas si je préfère tenir la chandelle ou vous pousser dans les bras l’un de l’autre, mais je vais pas supporter vos petits regards enamourés toutes les deux secondes.

Karina râle, mais je sais qu’elle est contente pour moi. Seulement, elle ne me le dira jamais.

- Tu peux changer de table, tu sais. Mais tu vas rater tout le spectacle, ris-je.

- Oh, crois-moi, j’en ai assez entendu hier.

Suhua se racle la gorge.

- Karina, si ce n’est pas trop indiscret… Pourquoi tu préfères coucher avec un mec différent tous les soirs plutôt que te poser ?

Je garde mes baguettes en suspension, guettant le regard de ma grande sœur. Je me demande si elle va en parler à Suhua.

- Je n’ai pas envie de m’attacher. Je ne suis pas sûre que ça soit une bonne idée, répond simplement Karina.

Suhua écarquille les yeux et j’en veux immédiatement à ma grande sœur d’avoir dit à ma petite amie que ce n’était pas une bonne idée de s’attacher.

- La seule personne en qui je peux avoir confiance, c’est Felix, continue ma sœur. Je sais que lui ne m’abandonnera pas, même quand je le soûle.

Ça semble rassurer Suhua, qui se détend. Je lance un regard menaçant à Karina, qui me sourit avant d’attraper son portable. Quelques secondes après, le mien vibre dans ma poche. Je décide d’ignorer le message de ma sœur.

* * *

Nous arrivons à Canal City Hakata, un centre commercial dans le style futuriste qui abrite des boutiques, des restaurants, des fontaines musicales et même un théâtre. Nous commençons par entrer dans un prêt-à-porter japonais.

Karina empile des vêtements sur le bras de Suhua pour qu’elle aille les essayer. Elle met des jeans, des shorts, des robes et différents hauts. Suhua choisit des habits pour composer un ensemble, sous le regard attentif de ma grande sœur. Puis, ma petite amie disparaît dans la cabine.

- Alors, Felix, prêt à voir ressortir ta copine en mode kawaii ?

Je hausse les épaules.

- Quoi, tu t’en fous ? C’est ta petite amie, je te signale. Essaye de montrer un peu plus d’intérêt.

Suhua ressort, vêtue de basket blanches et de chaussettes blanches qui remontent jusqu’à ses genoux. Elle porte une jupe plissée très courte rose pastel qui est presque cachée par le long gilet bleu pastel large qu’elle porte, et qu’elle a fermé. Elle a attaché ses longs cheveux bruns en deux couettes basses et elle a mis la capuche du gilet, qui a deux petites oreilles de chat.

C’est trop mignon, ça lui va bien, mais ce n’est pas tout à fait elle.

- Tu es trop kawaiiiiiiii !!! hurle Karina en observant Suhua sous toutes les coutures, soulevant ses bras, touchant ses cheveux et attrapant ses mains, dont on ne voit que le bout à cause des manches longues du gilet.

- Je nage dans le gilet, rit Suhua en passant devant un miroir.

Elle pose ses mains sur les petites oreilles de chat et s’amuse à les baisser et les remonter. Je passe derrière elle et pose mes mains sur ses épaules.

- Tu veux que je t’aide à choisir d’autres vêtements ou tu veux juste que je te regarde comme un fanboy ?

Suhua se retourne avec un sourire moqueur.

- Si tu me regardes en mode fanboy, je vais essayer d’autres tenues. Ne me tente pas.

Je sors mon portable et le braque sur elle.

- Je documente l’évolution de ton style. Pour la postérité. Et mon fond d’écran.

Suhua prend la pose, s’appuyant sur sa jambe droite, la tête penchée sur le côté, les yeux fermés, les lèvres formant un bisou et formant deux V avec ses deux mains. Je la photographie puis en prend une où je fais juste un zoom sur son petit nez retroussé. Je lui montre la deuxième, sans lui parler de la première.

- Voilà. Tu peux la mettre sur Insta.

- Si tu postes ça, je te fais avaler ton téléphone. T’es vraiment chiant, Felix. Je pensais que t’allais prendre une vraie photo !

Je ris avant de lui montrer la première. Suhua me demande la lui envoyer.

- Par contre, je mets ton nez en fond d’écran.

- Non !

Je le fais, tout simplement parce que je sais que ça ne la dérange pas vraiment et qu’elle se plaint juste pour le délire. Karina insiste pour prendre une photo de ma petite amie et moi. Je ne sais pas quoi faire comme pose, alors je laisse Suhua faire. Elle passe son bras autour de ma taille, fait un clin d’œil, encadrant son œil fermé d’un V cette fois-ci de côté. Elle sourit et je penche la tête vers elle pour apparaître dans la caméra du téléphone.

Une fois que Karina a pris les photos, Suhua retire sa capuche et sort son portable à elle pour poster sa photo.

- Felix ?

- Quoi ?

Suhua lève son visage et tend ses lèvres vers moi. Je souris avant de me pencher et de déposer un baiser sur sa joue. Ma petite amie ouvre les yeux et me fixe, mi-amusée mi-frustrée.

Je souris malicieusement pendant qu’elle fronce les sourcils.

Je l’ai embrassée sur la joue. Pas parce que je n’avais pas envie de déposer un baiser sur ses lèvres, mais parce que j’adore le petit regard qu’elle me lance après, comme si elle me défiait de recommencer.

- Tu vises mal, Felix. Tu veux que je te montre où c’est censé atterrir ? demande-t-elle ironiquement.

- Vas-y, je crois que j’ai oublié.

Suhua se met sur la pointe des pieds pour m’embrasser rapidement.

- Eh, je vous ai dit d’arrêter, se plaint Karina en arrivant, une robe de serveuse de maid café en main.

Je baisse les yeux vers la robe faite de dentelles, volants, petits nœuds et jupons courts. Visiblement, Karina a décide de transformer Suhua en jeune femme sexy-kawaii, et moi je suis censé survivre à ça.

Une musique retentit soudain. Suhua tourne la tête vers la sortie du magasin et ouvre des yeux ronds :

- La fontaine est illuminée !!!

Elle semble prête à s’enfuir du magasin pour aller voir, alors je passe en caisse pendant qu’elle part avec Karina. J’indique au caissier chaque chose qu’on a pris. Il grogne parce que ce n’est pas comme ça que ça marche mais je le fusille du regard avant de quitter la boutique.

Suhua et Karina regardent les jets d’eau illuminés, créant des dessins et des vagues au rythme de la musique. Des images sont ensuite projetées sur la façade du centre commercial, créant une atmosphère féerique.

J’arrive derrière ma petite amie et passe mes bras autour de sa taille, puis je pose mon menton dans le creux de son cou.

Nous restons quelques minutes à regarder des jets d’eau colorés avant que tout ne s’arrête. À ce moment-là, Suhua repère un restaurant de street food à emporter et elle propose d’y aller, disant que ça fera trop stylé ou quelque chose comme ça.

- Elle est de bonne humeur aujourd’hui, dis-je à Karina alors que Suhua sautille quelques mètres devant nous, en direction du traiteur japonais.

- C’est l’effet Felix, ça. C’est sa première journée en tant que « petite amie » de quelqu’un. Elle est contente.

- Dès fois je me demande si elle a treize ou vingt-deux ans.

- Arrête. C’est mignon.

- Je n’ai jamais dit le contraire, réponds-je.

Suhua se tourne vers nous une fois qu’elle arrive devant le restaurant et nous sourit. Nous la rejoignons et elle indique à ma grande sœur et moi de choisir le plat incontournable de la street food de Fukuoka.

Karina et moi optons donc pour les hakata ramen* avec des gyoza** grillés. Nous payons, puis nous allons nous asseoir sur un des bancs du centre. Suhua prend des photos du repas avant de les poster sur Instagram.

- J’y pense, tu n’as pas filmé le spectacle de la fontaine, lancé-je en croquant dans un ravioli.

Ma petite amie hausse les épaules, plantant les baguettes en bois dans son pot de hakata ramen.

- C’était trop beau, donc je préférais le regarder en vrai qu’à travers un écran. Et de toute façon, ça aurait été compliqué de filmer alors que tu me serrais comme un koala.

Je lui donne un coup de pied.

- T’as raison, c’est clairement moi le problème. Trop de câlins, pas assez de logistique. J’ai saboté le tournage avec mon excès d’amour. Excuse-moi, je suis un danger pour la survie de ton compte Insta.

Cette fois, c’est elle qui me donne un coup dans le tibia.

- Eh ! Mon pantalon est blanc.

- Mes chaussettes sont blanches, répond-elle en enfournant dans sa bouche énormément de nouilles.

- Tu veux que je te filme pour faire une vidéo mukbang*** ? plaisanté-je.

Suhua lève les yeux au ciel et s’essuie le coin de la bouche avec sa serviette. Karina nous fixe, les bras croisés.

- Vous êtes insupportables. Quelle idée de sortir avec un couple, aussi… grogne-t-elle.

- On n’est pas à notre maximum, répond Suhua sur un ton taquin en se collant à moi. Tu veux une petite démonstration ?

- Non, c’est bon.

Suhua rit et m’embrasse quand même avec passion. Je m’accroche à sa taille, tandis qu’elle pose ses mains sur mes épaules. Nous nous embrassons comme si on tournait un film hollywoodien ou un drama coréen. Suhua se serre contre moi et soupire contre mes lèvres. Je joue avec le bas de ses couettes qu’elle a rejetées dans son dos, passant mes doigts dans ses boucles.

Quand on s’éloigne, Karina nous regarde avec réprobation.

- Ça me gêne trop. Sérieusement.

Suhua rit, m’embrasse, joue. Je me dis que si c’est ça, être insupportable ou gênant, je veux bien l’être tous les jours.

*Originaire de Fukuoka, c’est un bouillon à base d’os de porc (tonkotsu), de nouilles fines, de porc braisé (chashu) et de gingembre mariné

**Petits raviolis croustillants à l’extérieur et juteux à l’intérieur,souvent accompagnés de sauce soja ou d’huile pimentée.

***Pratique née en Corée du Sud, consistant à se filmer en train de manger des quantités excessives de nourriture en une seule bouchée.

Annotations

Vous aimez lire Ella AA. ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0