Chapitre 44 - Felix
1er juin – 14 heures 22
Nagasaki
Je marche à vive allure, en colère. Karina est tellement énervante. Je ne dis rien depuis le début parce que ça va encore, mais le fait qu’elle se mêle de ma vie privée avec Suhua m’agace au plus au point.
- Felix !
Je me retourne au son de la voix de ma petite amie. Elle marche rapidement pour me rattraper et s’arrête à ma hauteur.
- Felix. Ça va ?
Je pince les lèvres.
- Karina m’énerve. Elle se mêle de notre relation alors qu’elle est la première à s’envoyer en l’air dès que la situation se présente.
Ma voix est sèche et je m’en veux de parler comme ça à Suhua, mais je suis en colère.
- Tu veux marcher un peu ? propose-t-elle en observant la rue.
- Ok.
Être seul avec ma Suhua va me faire du bien. J’entrelace ses doigts aux miens et nous commençons à avancer.
- Tu veux aller dans le quartier chinois ? demandé-je.
- Oui ! Ça me rappellera mes origines…
- Mais tu es taïwanaise.
- Taïwan a été colonisée par la Chine au dix-septième siècle, donc elle partage une base culturelle avec la Chine continentale.
J’opine du chef.
- D’accord. Alors allons-y. C’est à vingt minutes de marche, ça ira.
- Je vais essayer de te redonner le sourire, lance Suhua.
* * *
Nous arrivons au quartier chinois, appelé Shinchi Chinatown. Il y a de nombreux portails rouges majestueux, ornés de gardiens mythologiques : dragon bleu, tigre blanc, oiseau rouge et tortue noire. Ils marquent l’entrée du quartier, comme si nous entrions dans un autre monde.
Les ruelles sont magnifiques, avec des temples, des lanternes rouges suspendues, des boutiques aux devantures colorées et des marchands de rues. Suhua s’approche d’un marchand et lui achète des bracelets spécial couples : deux fils tressés rouges, l’un avec une perle de jade, l’autre avec une perle de saphir. Les fils rouges sont censés rappeler le fil rouge du destin, et le couple doit porter le bracelet tous les jours.
- Cadeau ! dit-elle en me tendant celui avec la perle de saphir.
Un grand sourire illumine son visage, et c’est contagieux. Je lui souris en retour, sincèrement touché par son geste, même si elle a utilisé ma carte bancaire. Je lui fais remarquer.
- C’est l’intention qui compte, Felix.
Je mets le bracelet à mon poignet.
- Je ne le retirerai plus jamais.
- Si, pour dormir, te doucher.
Je lève les yeux au ciel en souriant. Nous continuons notre promenade, Suhua s’arrêtant à beaucoup de stands. Elle en trouve un de masques traditionnels et choisit un masque en bois qu’elle met sur mon visage.
- Wow, Felix, c’est… terrifiant. On dirait un démon qui hanterait les rêves.
Je retire le masque en plissant les yeux.
- Tes rêves ?
- Non.
Elle rit en reposant le masque sur ma tête pour faire des photos.
- T’as une tête à jouer dans un film d’horreur folklorique. Genre « La malédiction du petit ami trop sexy ».
- Tu veux dire « La malédiction de la petite amie qui dépense avec ma carte sans remords » ?
Suhua me donne un coup de coude, faussement vexée.
- C’est de l’investissement émotionnel. Tu devrais me remercier.
- Je vais t’envoyer une facture sentimentale.
Elle fronce les sourcils mais sourit.
- Tu veux que je te rembourse en bisous ?
Je fais mine de réfléchir, reposant le masque parmi les autres.
- Hm… Les taux d’intérêt sont élevés, mais je suis prêt à négocier.
Suhua sourit et dépose un baiser sur ma joue, repoussant une mèche de mes cheveux.
- Allez viens, grand petit démon.
Je hausse un sourcil.
Grand petit ?
- On va voir si on peut t’exorciser avec un bubble tea.
Je l’attrape par la taille et l’attire contre moi.
- Trop tard, je suis déjà possédé par toi.
Suhua lève les yeux au ciel, mais je vois bien qu’elle rougit.
- Sauf si tu trouves un bubble tea fait avec ton sang. Là, y a moyen de réussir l’exorcisme.
- Wow, t’es un vampire ou un démon ? Felix, tu m’étonnes chaque jour.
- N’y a-t-il pas un film qui s’appelle « Le diable s’habille en Prada » ? Je te l’ai toujours caché, mais c’est moi.
- Alors, un, je n’ai pas vu ce film. Deux, tu portes un ensemble Yves Saint-Laurent, là. Trois, je vois pas le rapport.
- C’est le même concept. En mode, un petit démon luxueux et sexy. Et arrête de chercher des rapports entre tous les trucs que je dis, il n’y en a que très rarement.
Suhua hausse un sourcil.
- Sexy ? Tu sors ça d’où ?
- C’est toi qui l’a dit tout à l’heure.
- Tu extrapoles. « Sexy » dans un film d’horreur, j’ai dit.
- Donc tu admets que je suis sexy dans un film d’horreur.
- Voilà. Genre, t’es le genre de mec qui fait peur et qui est un psychopathe mais que les gens veulent quand même embrasser avant de mourir.
- Je suis un dernier souhait, donc, réponds-je.
- Exactement. Le dernier shot de dopamine avant l’apocalypse.
Nous nous éloignons du stand, main dans la main.
- Tu sais que t’as une logique totalement tordue ? me demande-t-elle.
- C’est pour ça que tu m’aimes.
- Non, je t’aime malgré ça.
Je fais mine d’être blessé et je lui écrabouille la main pour me venger.
- Tu viens de poignarder mon ego.
- Il survivra. Il est trop musclé pour mourir.
Je ris et elle lâche ma main pour m’attraper par le bras et me conduire vers une petite boutique de bubble tea.
- Allez, démon luxueux. Viens boire ton petit sang sucré.
Je souris. Cette femme est un phénomène, et je suis fou amoureux d’elle.
Je la regarde choisir les parfums, lui faisant confiance. Puis, nous nous installons à une petite table avec nos boissons. La mienne est rouge sang, et je lui demande ce qu’elle m’a pris.
- Grenade et fraise.
- Comme à un gosse de cinq ans, grimacé-je.
- Tu es un gosse de cinq ans, Felix.
Je ris et mets la paille en bouche pour aspirer du bubble tea. Suhua me demande comment je fais pour ne pas mourir de chaud en pantalon.
- Les pantalons que je porte sont fins, c’est la collection été. Je t’en ai parlé dans l’avion.
- La collection été de l’année, je suppose.
- Évidemment, t’as cru que j’allais reporter celle de l’an dernier ?
- Tu ne changes pas ta voiture à chaque fois qu’une nouvelle voiture de luxe sort, non ?
Je m’appuie dans le fond du siège, les jambes croisées, le bubble tea en main.
- Tu veux un scoop, Suhua Liu ?
Avec un sourire de conspiratrice, elle se penche sur la table.
- Évidemment.
- Je ne sais pas conduire.
Elle ouvre la bouche puis la referme.
- Vraiment ?
- Vraiment.
- Donc… Je suis censée te trouver encore raffiné alors que tu ne bois pas d’alcool, que tu ne sais pas conduire et que tu es bordélique ?
- Ouais. Parce qu’il ne faut pas oublier que je suis riche, que je mange de la glace au citron, que j’ai une villa à Kyoto, que je porte des costumes à longueur de journée et que je ressemble à une idole de K-pop.
Suhua croise les bras.
- Si je prends en compte nos arguments à tous les deux… Disons que tu es raffiné à soixante-dix pourcent.
- C’est tout ?
- Oui. Mais raffiné ou pas, je suis amoureuse de toi, Felix Nagashi.
Je le sais déjà, mais mon cœur fait quand même un truc trop bizarre dans ma poitrine.

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