2 juin – 12 heures 04

Nagasaki

Ce que m’a dit Felix m’a bouleversée. Il respecte ma décision, quelle qu’elle soit.

Et honnêtement, si tu choisis de me quitter, je ne vais pas déménager en France pour te courir après, même si je t’aime et que je serais triste. C’est aussi ça, l’amour. Si on aime vraiment quelqu’un, il faut accepter de le laisser partir.

Ces trois phrases tournent en boucle dans ma tête. Avant, si je ne connaissais pas autant mon petit ami, j’aurais cru qu’il ne m’aimait pas, qu’il ne tenait pas suffisamment à moi pour tout plaquer pour moi. Sauf que je comprends son point de vue : on ne montre pas l’amour avec de grandes déclarations et des sacrifices incommensurables.

Je le regarde en coin, pendant qu’il met ses bagues à ses doigts et passe une main dans ses cheveux blonds. Il est sorti de la salle de bain (évidemment, il fallait qu’il passe par la case douche) avec un pantalon un peu large en cuir brun, avec un débardeur noir et une veste en jean noir large. J’aurais trouvé cette tenue horriblement moche sur n’importe qui d’autre, mais il faut croire que Felix sait comment s’habiller pour être charismatique.

Trois coups frappés retentissent, et je tourne la tête vers le couloir où se trouve la porte.

- Je vais ouvrir.

- Ok.

Je me demande qui c’est. J’espère sincèrement que c’est Karina qui revient pour discuter. Je me recoiffe rapidement avant d’ouvrir la porte, et je tombe sur un homme en costume, et au crâne dégarni. Il a une barbe de trois jours et tient dans sa main une bouteille de verre. Une valisette pend à son poignet.

- Euh…

- Bonjour. Vous êtes Cherry Su, n’est-ce pas ? demande-t-il en japonais.

Je suis trop heureuse d’avoir compris et d’être capable de répondre.

- Oui. Et vous êtes ?

La main de Felix qui se pose sur ma taille me fait sursauter. Il m’attire légèrement contre lui tout en fusillant l’homme du regard, mais je sens son cœur qui bat à vive allure dans sa poitrine.

- Père. Je te présente Suhua Liu, plus connue sous le nom de Cherry Su. Ma petite amie.

« Père ». Pas « Papa ». Je lève les yeux vers Felix. Sa mâchoire est crispée. Sans se gêner, son père entre dans la pièce et pose la bouteille sur le petit bureau.

- Suhua Liu, donc. C’est grâce à ton profil Instagram que j’ai retrouvé mon fils, je te remercie. Comment se passe votre fausse relation depuis le scandale ? demande-t-il en français.

- Père, nous…

- J’imagine que ta visibilité a augmenté sur les réseaux, Suhua. Une fausse relation n’est pas facile à gérer. Vous vous en sortez ?

- Monsieur Nagashi, votre fils…

- Vous savez, c’est très bien pour votre réputation de sortir avec un homme riche. Vous pouvez publier sur les réseaux sociaux beaucoup de…

- Père, elle est vraiment ma petite amie.

L’homme tourne la tête vers Felix et hausse un sourcil, puis il sort de sa valisette trois verres.

- Alors portons un toast… J’ai amené de la limonade.

Il désigne la bouteille en verre. Je n’ai franchement pas envie de boire un verre de limonade avec le père de mon petit ami, surtout qu’il le déteste.

Felix serre les poings mais accepte par respect. Il ne parle pas pour autant, tandis que son père parle en français de la façon dont il nous a retrouvés. Il demande ensuite où est Karina, si elle va bien, si elle a décidé d’arrêter de coucher avec n’importe qui.

Je tourne la tête vers Felix et remarque ses joues rougies. Il pose la flûte de limonade sur la table de nuit et se prend la tête entre les mains.

- Père. Y a quoi dans ta limonade ?

- Ben, c’est une limonade au rhum. Un classique.

Mon petit ami fusille son père du regard.

- T’as toujours pas compris que j’étais intolérant à l’alcool ?

- Mais non, c’est juste que tu n’es pas habitué à en boire et que tu as l’estomac sensible. Arrête de raconter n’importe quoi. Tu te donnes en spectacle, Felix.

Mon petit ami se met debout.

- Sors.

- Ah, Felix, c’est bon, tu es juste un peu ivre.

Je fronce les sourcils.

- SORS DE CETTE CHAMBRE, MERDE !!!

Le père de Felix hausse un sourcil et ramasse ses affaires.

- Je t’ai mal élevé, Felix Nagashi. Tu me fais honte.

- Rien à foutre, dégage.

Son père lui lance un regard noir et s’en va en claquant la porte. Felix s’assoit sur le bord du lit et je m’approche de lui.

- Euh… Tu… tu as mal quelque part ?

Il déglutit puis tourne la tête vers moi.

- À la tête et au ventre. Et j’ai chaud, aussi. J’ai des palpitations.

Je déteste son père.

C’est ce que je me dis tandis que Felix s’allonge, repliant ses jambes contre son torse. Je me rapproche de lui et pose ma main sur son épaule.

Nous restons sans parler quelques minutes, puis il se lève subitement.

- Felix ?

- Ça me gêne un peu, mais je crois que je vais vomir.

Il rejoint à grands pas la salle de bain et ferme la porte. Je quitte le lit pour le suivre et le vois devant les toilettes, à genoux. Je m’avance vers lui et attrape ses cheveux, dégageant sa nuque et son visage. Je distingue ses joues rouges et détourne le regard quand il vomit.

- Felix…

- C’est bon. J’ai pas bu beaucoup, je ne devrais plus vomir.

Il se relève difficilement et s’appuie soudain sur le mur. Il tremble légèrement et je panique.

Qu’est-ce qu’il se passe ?

Quelques secondes plus tard, il relâche le mur, ses doigts encore crispés, et s’avance jusqu’au lavabo pour cracher, rincer sa bouche, boire de l’eau et se brosser les dents.

- Il… s’est passé quoi ?

Felix crache l’eau qu’il avait en bouche et se tourne vers moi.

- Quand je me suis relevé, j’ai eu un vertige et des sifflements dans les oreilles. J’ai eu l’impression de tomber et qu’un voile noir arrivait sur mes yeux. Trop bizarre.

Il était à deux doigts de s’évanouir.

- Je vais dormir, Suhua. Je ne me sens pas bien.

Il part se coucher et j’hésite un instant à le rejoindre. Je n’ai même pas compris tout ce qu’il vient de se passer.

Je retourne dans la chambre et fixe Felix, allongé dans le lit. Il pousse des soupirs énervés et gémit légèrement en se tenant le ventre. Je retire mes chaussettes et me glisse à ses côtés. Felix se tourne vers moi et plisse les yeux.

- Suhua…

- Tu as besoin de quelque chose ?

Il hoche la tête sans parler, cachant son visage dans un des oreillers.

- De quoi ? Tu veux que j’aille à la pharmacie chercher des médicaments pour les maux d’estomac ?

- Non, non. Ça va passer. Reste avec moi.

Felix passe son bras autour de ma taille et m’attire dans ses bras.

- Felix…

- Je t’aime.

J’ai les larmes aux yeux. Il me fait tellement de peine, comme ça. Et puis je suis en colère contre son père, qui remet en question son intolérance à l’alcool.

- Je t’aime aussi.

Je lève le visage et tends mes lèvres vers lui. Il rit doucement.

- J’ai peur de sentir le vomi, je ne crois pas que ça soit une bonne idée, Suhua.

- Tu t’es brossé les dents, c’est bon.

- Wow, super, un mélange vomi-menthe.

- Je te dis que je m’en fiche.

Felix hésite quand même, ses lèvres à quelques centimètres des miennes. Ne résistant plus, je l’embrasse. Il n’a clairement pas le goût de vomi, juste un mélange de dentifrice et de ses lèvres habituelles.

Je me serre contre lui et enfouis mon visage dans son cou.