Chapitre 48 - Felix
2 juin – 16 heures 02
Nagasaki
J’ouvre les yeux. Je n’ai plus mal à la tête, je me sens mieux, mais une légère douleur persiste dans mon ventre. Suhua dort, sa tête contre mon torse, ses cheveux s’étalant sur moi et les oreillers.
Je regarde l’heure et réalise qu’elle et moi avons dormi environ deux heures trente.
Je frotte mon visage et réveille Suhua doucement. Elle relève la tête puis la repose sur moi en marmonnant quelque chose.
- Allez, Suhua, dis-je en la secouant. On va aller manger au café d’hier.
- Tu veux nous rappeler des mauvais souvenirs avec Karina, grogne-t-elle en tirant sur une mèche de mes cheveux.
- Ou des bons souvenirs dans les toilettes, plaisanté-je.
Suhua rougit et se redresse.
- Ok, c’est bon, on y va.
Elle sort du lit et réajuste son pull et son jean, puis remet ses chaussettes. Les miennes ont disparu de mes pieds et je hausse un sourcil.
- Regarde dans le fond du lit et à côté de la fenêtre.
- Je suis pas bordélique au point d’avoir une paire de chaussettes à deux points opposés.
- T’es sûr ? demande-t-elle en s’approchant de la fenêtre pour récupérer ma chaussette.
- Nan mais ça c’est celle d’hier. La deuxième est sous le bureau. Je cherche celles d’aujourd’hui.
Suhua relâche ma chaussette par terre et lève les yeux au ciel en disant qu’elle laisse tomber. Elle passe devant le miroir pour se recoiffer et met ses chaussures. Elle se tourne ensuite vers moi et croise les bras :
- Tu m’as pressée pour que je sorte du lit mais t’y es encore.
Je souris et retire la couverture de mes jambes, partant à la recherche de mes chaussettes. Je trouve les deux sous le lit et les enfile avant de rejoindre Suhua.
- Tu vas pas faire une scène parce que ton pantalon est froissé ? demande-t-elle sur un ton amusé.
Je hausse un sourcil et me regarde dans le miroir.
- Si. Attends, je vais…
- Non, allez, Felix !
Je ris.
- Ok, je veux bien faire une exception.
Pour être sûre que je ne vais pas changer d’avis, Suhua me pousse hors de la chambre et la ferme à clé, puis elle les glisse dans sa poche.
- T’as même pas confiance en moi.
- Si. J’ai confiance en toi sur tout, sauf sur ça.
- Mais…
- Je te connais, Felix.
Elle a raison, mais je ne veux pas l’assumer, alors j’insiste jusqu’à ce qu’elle lâche l’affaire. J’attrape sa main quand nous quittons l’hôtel pour rejoindre le café jazzy d’hier. Nous y entrons et à ce moment-là, je vois Karina, assise à une table. Elle boit un café, en larmes, les joues rougies par l’alcool.
- Suhua.
Je lâche sa main.
- Attends-moi ici.
Je dépose un léger baiser sur ses lèvres puis avance lentement jusqu’à ma grande sœur. Elle ne relève pas la tête vers moi, et je l’enlace sans prévenir. Je la sens frémir.
- Excuse-moi, Karina, lui soufflé-je.
- Felix ?
Je me détache d’elle et m’assois sur la banquette à ses côtés. Elle aperçoit Suhua et elle détourne le regard, probablement gênée par tout ce qu’elle lui a dit ce matin.
- Dis à ta copine de venir, murmure-t-elle. J’ai des excuses à lui présenter. Et je dois m’expliquer.
- Karina, tu n’es pas obligée de parler de…
- Si. J’ai envie qu’elle sache pourquoi je l’ai traitée comme ça.
- D’accord.
Je fais signe à Suhua de venir, et, hésitante, ma petite amie vient s’asseoir en face de ma sœur et moi. Karina boit une gorgée de café puis se lance :
- Suhua. Je te dois des explications. Pour commencer, je suis sincèrement désolée de tout ce que je t’ai dit ce matin. C’était stupide.
Ma petite amie ne répond rien. Elle fixe la pluie qui se met à tomber dehors, rendant l’ambiance dans le café encore plus chaleureuse.
- Je ne suis pas douée pour les excuses, mais je sais reconnaître quand j’ai eu tort. Je m’en veux, parce que je sais très bien que tu rends Felix heureux. La preuve, il te regarde toutes les deux secondes avec un sourire idiot.
J’ouvre la bouche, faussement vexé, tandis que Suhua rit doucement.
- Vous êtes amoureux, et je n’y peux rien. C’est même cool pour vous. Tu t’es présentée comme un obstacle dans ma relation déjà existante avec Felix, alors que je me suis présentée comme un obstacle dans votre relation naissante. À cause de moi, vous auriez pu rompre, et je ne me le serais jamais pardonné.
Karina boit une nouvelle gorgée de café, passant sa main dans ses cheveux au carré.
- Je crois que j’étais jalouse, parce que tu étais le premier amour de Felix et inversement et que ça marche entre vous, alors que moi tout s’est effondré avec mon premier amour.
Suhua opine du chef, les yeux remplis d’une lueur compatissante.
- Je te comprends, et je suis désolée, Karina. Ce que tu dis est vrai, je t’éloigne de Felix.
Ma sœur a un sourire en coin. Elle regarde dehors à son tour. Une voiture passe, éclaboussant le trottoir.
- C’est normal, en fait. Je suis sa sœur. Toi, Suhua, tu es son amoureuse. Ce n’est pas le même type d’amour et tu me diras « Karina, on ne peut pas comparer », mais si. D’un certain côté, l’amour amoureux – oh, c’est drôle de dire ça – bref, l’amour amoureux est plus fort que l’amour familial. Il me supporte depuis vingt-cinq ans, c’est normal qu’il se lasse, plaisante ma sœur. Son amour pour toi surpasse de loin l’intensité et la priorité de son amour pour moi.
- Vous êtes au courant que je suis là ?
- Tu as entendu quelqu’un, Suhua ?
- Hm, comme une voix. Pourtant, je ne vois personne.
Karina croise les bras.
- Bizarre.
Je leur donne un coup de pied à toutes les deux et elles rient ensemble. Karina se lève en me passant par-dessus, ce qui lui vaut une plainte de ma part.
- Lève-toi, Suhua.
Ma petite amie obéit et Karina la serre dans ses bras.
- Je suis désolée, Suhua. Vraiment.
La brune rend son étreinte à ma sœur avec un léger sourire.
- Je ne t’en veux pas.
- Ascendant bélier, non ? Tu pardonnes si je montre que je regrette plutôt que si je m’excuse des milliards de fois.
- Wow, t’es douée en astrologie, sourit Suhua. Comment t’as deviné que c’était mon ascendant et pas mon signe solaire ?
Je ris doucement de mon côté. Ma sœur et ma petite amie se complètent bien.
- Tu ne disais rien, tu m’observais juste. Tu n’as pas dit « c’est rien », tu as dit « je comprends ». Et tu as accepté mon étreinte. Je suppose que tu es scorpion de novembre ?
- Dans le mille.
Elles échangent des poignées de main et je hausse un sourcil.
- Ok. Maintenant, euh…
- Maintenant, j’explique tout à Suhua, me coupe Karina.
- Tu veux lui parler d’Akira ? redemandé-je.
- Oui.
- Tu mets quinze ans à raconter une histoire, je vais m’acheter un café. Suhua, je t’en prends un ? Conseil : dis oui. Tu vas vite le regretter si tu refuses.
Ma petite amie sourit et je ne lui demande pas ce qu’elle veut car je le sais : un café latte.

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