Chapitre 51 - Suhua

6 minutes de lecture

19 juin – 2 heures 02

Nagasaki

Je me réveille en plein milieu de la nuit. Ça m’arrive tout le temps depuis que Karina m’a parlé de son passé avec Akira. Je m’en veux de m’être interposée dans son duo avec Felix en me mettant en couple avec lui, alors qu’elle n’avait que son frère.

Mon petit ami est à côté de moi, endormi. Je le distingue à peine, la pièce seulement illuminée par le thermostat électrique.

Felix bouge un peu et change de position, poussant un petit soupir. Je sors discrètement du lit et enfile mes sandales, puis je me rends sur le petit balcon de la chambre d’hôtel. Les lumières de Nagasaki sont allumées, une petite bruine tombe, c’est le silence complet. Il fait frais dehors, je frissonne légèrement, mais ça me fait du bien d’aller respirer un moment. De toute façon, je ne trouve pas le sommeil. Je m’appuie contre la balustrade et pousse un soupir.

La baie vitrée coulisse dans mon dos, et je me retourne. Felix me regarde, les yeux plissés et les cheveux en bataille, vêtu d’un jogging et d’un pull larges couleur crème.

- Qu’est-ce que tu fais, Suhua ? souffle-t-il.

- Je prenais l’air, chuchoté-je en retour. Je t’ai réveillé ?

- Tu fais autant de bruit qu’un hippopotame. Donc oui.

Je souris et lui donne une petite tape dans les pectoraux. Il s’avance jusqu’à moi et s’appuie contre le bord du balcon aussi.

- Tu penses à quoi ? demande-t-il.

- À ta sœur. Je n’arrête pas depuis…

- Depuis qu’elle t’a parlé d’Akira. Ça fait dix-sept jours, Suhua. Et, je te rassure, Karina va beaucoup mieux.

- Je lui ai volé son frère.

Felix passe son bras autour de ma taille, m’attirant contre son épaule.

- Ce n’est pas de ta faute si je suis tombé amoureux de toi.

- Je sais.

- Tu vas probablement disparaître de ma vie en décembre.

- Je sais aussi.

- Nous avons bien le droit d’être heureux un moment, nous aussi.

- À quoi bon, si c’est au détriment du bonheur des autres ?

Felix rit et dépose un baiser sur mon front.

- Je t’assure que Karina va bien. Elle veut me voir heureux. Elle-même t’a dit qu’elle était contente de nous savoir en couple. Je t’ai dit que l’amour, c’était aussi laisser l’autre partir pour le voir heureux. Ça s’applique aussi pour ma relation avec ma sœur.

- Tu me laisserais partir ?

- Oui. Et toi ?

- Je ne sais pas. C’est égoïste, mais j’ai été abandonnée par mon père, alors si tu pars, ça me prouvera que ma mère avait raison. Je sais que ça peut te mettre la pression et j’en suis désolée, Felix. Je ne cherche pas à te faire culpabiliser.

Il me serre un peu plus fort.

- T’es un peu possessive, Suhua, plaisante-t-il. Mais je te rassure, je ne compte pas partir.

C’est horrible, parce que j’exige de Felix qu’il me laisse si je le lui demande, mais je ne sais pas si je le ferais à sa place. Je ne veux pas qu’il m’abandonne, mais moi je me permets de le faire.

Je tourne la tête vers lui, me mets sur la pointe des pieds et l’embrasse. Felix pose son autre main sur ma taille et répond à mon baiser avant de se décaler et de me fixer, le souffle court et les pupilles dilatées. J’observe ses yeux et décèle tellement d’amour dans son regard que mon cœur fait un truc trop bizarre dans ma poitrine.

- Je t’aime.

Felix sourit légèrement et me presse contre son torse.

- Je t’aime aussi.

Je rougis et passe ma main de sa nuque à ses cheveux décoiffés.

- Mais j’aime aussi dormir, ajoute-t-il. Donc on y retourne, ok ?

Je ris doucement et ouvre la baie vitrée pour rentrer dans la chambre. Felix et moi retournons dans notre lit et je m’endors rapidement, bercée par les battements réguliers de son cœur.

* * *

Aujourd’hui, nous avons prévu d’aller au Hiroshima-Nagasaki Park. Felix est particulièrement tactile avec moi aujourd’hui, attrapant ma main, me prenant dans ses bras souvent et déposant constamment un baiser là où ses lèvres étaient, généralement mes joues, mon front, ma mâchoire et mes lèvres.

- C’est l’anniversaire de la mort de notre mère, me souffle Karina. Ça fait seize ans.

J’opine du chef, comprenant la proximité fréquente entre mon petit ami et moi.

Le parc est un grand espace vert, avec de superbes jardins japonais, un grand étang, un café en plein air et des sentiers pour se promener. L’endroit est tranquille, loin de l’agitation urbaine.

- Il est comme ça chaque année ?

Karina hausse un sourcil, fixant son frère parti acheter des boissons au café.

- Non, il ne m’embrasse pas.

Je ris et secoue la tête.

- Je voulais dire, il est tactile de base, mais ça s’accentue chaque dix-neuf juin ?

- Non. Généralement, il parle juste moins. Et il arrête de dire des conneries.

Je hoche la tête, jetant un regard à mon petit ami qui revient vers nous, deux gobelets en main et le troisième calé entre ses côtes et son coude.

- La météo n’annonce pas de pluie pour aujourd’hui, sourit Karina en regardant le ciel bleu, ponctué de légers nuages.

- Wow, génial. Comme ça, toutes les abeilles, guêpes et frelons sortent, répond ironiquement Felix.

Je récupère mon gobelet de café glacé en le regardant, étonnée.

- Tu as peur des insectes ?

Je m’en veux aussitôt quand je me souviens que sa mère est morte d’anaphylaxie, suite à une piqûre de frelon.

- Excuse-moi, Felix.

- C’est pas grave.

- Tu sais…

Felix se tourne vers moi et hausse un sourcil.

- Ça fait aussi un mois qu’on est ensemble.

Un sourire illumine son visage et je ne peux m’empêcher de sourire aussi.

- En effet.

Je dépose un baiser sur sa joue avant de prendre une gorgée de café glacé. Il reprend ma main dans la sienne, nos bras se frôlant. Karina nous indique qu’elle veut bien tenir la chandelle « juste pour aujourd’hui ».

- Mais tu le fais tous les jours, oneechan, répond Felix sur un ton mi-amusé mi-sérieux.

- Ah, je regrette de vous avoir poussé à vous déclarer. Je dois supporter vos câlins-bisous et regards langoureux à longueur de journée.

Je ris. Karina continue de se plaindre qu’elle n’existe plus, mais je sens qu’elle n’est pas sérieuse.

- Alors quoi, tu veux qu’on te trouve un copain ? demandé-je.

Felix se tend légèrement à mes côtés.

- Un beau japonais… quoique tu veux peut-être quelque chose de plus exotique, continué-je. Je sais : un bel australien bronzé, avec des cheveux couleur blé et des yeux vert océan. Des abdos brillants, une voix sensuelle. Il joue de la guitare, fait du surf, prépare des cocktails sur les plages. Et un nom un peu sexy, genre Shay ou Noah.

- Laisse-moi deviner la suite : je fais tomber accidentellement quelque chose et nos mains se touchent. Là, nos regards se croisent et c’est le coup de foudre. Mais on ne peut pas se l’avouer, parce qu’il est en réalité en couple avec Chelsea, une pom-pom girl aux cheveux soyeux et au corps de rêve.

- Sauf que quelques jours plus tard, tu glisses sur la plage et il vient te rattraper pile à ce moment-là. Vous vous embrassez, et il réalise que Chelsea est trop bien pour lui, alors il la quitte pour se mettre avec toi, faisant une déclaration théâtrale devant tout le monde.

- « Tu es mon univers ».

- « Je ne suis rien sans toi », renchéris-je.

- « Notre amour est éternel ».

- C’est bon, vous avez fini ? demande Felix.

Je souris à mon petit ami et resserre ma prise sur sa main.

- On cherche un mec à ta sœur. Aide-nous. Peut-être qu’elle préfère le bad boy ténébreux qui ne parle à personne, dont toutes les filles sont raides dingues sauf Karina. Et ça, ça le rend fou. Donc il tombe amoureux d’elle, et elle tente de résister. Mais trop tard : elle est déjà sous son charme.

- Je préférais le bel australien, réfléchit Karina.

- Génial. On va au bord de la plage pour juillet, peut-être que tu t’en trouveras un, répond ironiquement Felix.

- Un : t’inquiète Karina, on partira à la recherche de Noah. Deux : la plage ? Trop cool.

Felix me sourit puis se tourne vers une poubelle pour jeter son gobelet vide.

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