Chapitre 59 - Felix
7 juillet – 22 heures 10
Otaru
Je regarde Suhua conduire. Elle est de nouveau ma petite amie, et ça me rend tellement heureux. Je pourrais passer ma soirée à l’embrasser pour rattraper les cinq jours perdus.
Elle roule dans des routes au hasard, parce qu’elle voulait faire une balade en voiture nocturne pour parler.
- Pourquoi tu m’as quitté ? demandé-je, les yeux rivés sur la route qui défile.
Suhua pousse un léger soupir.
- Je ne savais pas quoi faire. J’avais peur de te blesser en rentrant chez moi en décembre. Je trouvais ça triste qu’on se soit mis en couple alors qu’on doit se quitter. Et j’avais peur de t’aimer trop.
Elle me lance un rapide regard.
- D’accord.
- Action ou vérité ? continue ma petite amie.
- Vérité.
Je sais très bien ce qu’elle va me demander, et je suis prêt à répondre.
- Pourquoi tu fais attention à ce que tu manges ?
- Parce que comme je m’appelle Felix en l’honneur de Felix Lee, les gens à l’école se moquaient de moi parce que je ne lui ressemblais pas. J’étais boulimique. J’ai fait un malaise. Bref. Depuis, je fais attention. Je sais très bien que ce n’est pas important si je ne suis pas mince à la « K-pop idol », mais c’est devenu une habitude et ça ne me dérange plus.
Suhua hoche la tête et arrête la voiture sur le côté de la route. Elle se tourne vers moi et pousse un soupir :
- Qu’est-ce que tu comptes faire, après le road-trip ?
- Ça fait longtemps que j’envisage de suivre des études de stylisme éditorial, pour habiller les gens pour les shootings photos, les défilés, les magazines, ce genre de choses. Je vais me lancer. Et, la partie égoïste de moi espère que tu seras à mes côtés. Et toi ?
Suhua replace une mèche brune derrière ses oreilles et observe mon visage.
- Tu veux tenter ta chance en tant qu’actrice ?
- Non. Si je rentre en France…
« Si ». Elle a dit « si je rentre ». Suhua envisage de rester.
Mon cœur s’emballe.
- Je veux me réconcilier avec ma mère, puis suivre des études de psychologie, pour faire thérapeute pour les couples et les adolescents traumatisés.
J’ébouriffe ses cheveux et me penche par-dessus le levier de vitesse pour déposer un baiser sur son front.
- C’est mignon.
- Merci.
Je décide de l’embêter un peu, alors je souris.
- Tu veux vraiment écouter les problèmes des gens toute la journée ?
- Oui.
- Tu sais que tu vas finir par me diagnostiquer un trouble affectif saisonnier chaque fois que je râle parce qu’il pleut ?
- C’est déjà noté dans ton dossier.
- Tu tiens un dossier sur moi ?
- Bien sûr. Il est classé entre « cas attachant » et « cas désespéré ».
- Ok, je retiens.
Suhua rit avant de me proposer d’essayer de conduire.
- Tu es folle ?
- Allez, y a personne sur la route !
Nous échangeons donc de place, et ma petite amie m’indique sur quelle pédale appuyer. Je cale directement et je grogne en disant que c’est de la faute de la voiture.
- Mais oui, Felix, tu es parfait, tu ne fais jamais d’erreur.
- Exactement.
Je tente de rouler droit sur la route, et je m’en sors pas trop mal.
- Suhua Liu, je risque de nous tuer.
- On mourra ensemble. Allez, accélère.
J’appuie sur la pédale adaptée et atteins les cent kilomètres heure. Suhua me dit de ralentir parce qu’on est quand même en ville, et allume la radio. Elle tombe sur une chaîne humoristique et la laisse en arrière-plan.
* * *
- Felix.
Je suis allongé dans mon lit, sur le dos, torse nu. Suhua est sur moi, sa tête nichée dans mon cou, mes cheveux tombant sur son front. Ma main gauche est posée sur son épaule, l’autre sur sa taille. Je la serre contre moi et m’imprègne de son contact, de son odeur. Ça m’avait tellement manqué.
- Quoi ?
- On dit toujours que dans une relation, il y en a un qui aime plus que l’autre. Tu dirais que c’est qui, entre nous ?
La vérité, c’est que j’y ai déjà beaucoup pensé. Évidemment que je doute parfois.
- C’est impossible à déterminer. Je sais à quel point je t’aime, tu sais à quel point tu m’aimes, mais je n’aurais jamais ton point de vue et inversement. En soi, je pense que… On s’aime autant, mais pas de la même façon.
Suhua relève la tête et me fixe, un sourcil haussé et les yeux brillants. Je tire sur mes abdominaux pour me redresser légèrement et presser mes lèvres contre les siennes, douces, chaudes, terriblement attrayantes.
Je ne peux plus me passer d’elle, je crois. Elle repose sa tête sur mon torse, son oreille au niveau de mon cœur. Je l’entends renifler et je me demande un moment si elle pleure, surtout qu’elle le fait de manière assez saccadée puis elle relève la tête vers mon visage et inspire à nouveau.
- T’es vraiment en train de me sniffer ? demandé-je.
Suhua pince un peu les lèvres.
- Ton odeur m’a trop manquée. J’en profite. Tu sens bon.
Elle renifle à nouveau et je la serre beaucoup plus fort.

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