Chapitre 60 - Suhua

4 minutes de lecture

4 octobre – 7 heures 07

Nagoya

Après avoir passé le mois d’août à Sapporo et le mois de septembre à Wakkanai, nous voilà de retour sur l’île principale Honshu, dans la ville de Nagoya. Les deux derniers mois sont passés à la vitesse de l’éclair. Felix et moi avons renoué très rapidement, Karina est entrée dans notre chambre pendant qu’on couchait ensemble, ce qui était très gênant, pour elle comme pour nous, j’ai goûté pleins de spécialités japonaises, on a fait de longues balades en riant, j’ai pris pleins de photos et j’ai fini bourrée le soir des vingt-six ans de Felix.

Il ne nous reste que trois mois ensemble, et je compte bien en profiter.

Nous nous rendons à l’hôtel pour déposer nos valises. L’automne est déjà visible, avec les feuilles marrons qui jonchent les rues et les arbres orangés. En plus, il commence à faire froid, avec une température de douze degrés le matin.

- Un café latte, Suhua ? me demande Felix en s’approchant du distributeur automatique de l’hôtel, après que nous ayons quitté les chambres.

- Je veux bien.

- Je me demande quand est-ce que vous allez commencer à vous appeler par des surnoms ridicules, genre « mon amour », « mon ange », « mon cœur », « ma chérie »… lance Karina en sortant son portable pour chercher une boulangerie française où s’acheter un petit-déjeuner.

Je grimace en récupérant le gobelet brûlant que Felix me tend.

- Jamais.

- Et vous avez discuté de décembre ? continue la sœur de mon petit ami. Vous comptez vous séparer ou regarder les appartements à Kyoto ?

- J’ai une villa à Kyoto, pourquoi on irait regarder les appartements ? questionne Felix en achetant des billets en ligne pour le parc Ghibli de Nagoya.

Karina hausse les épaules avant de nous indiquer qu’elle a trouvé une boulangerie pas loin. Nous sortons de l’hôtel en suivant la grande sœur de Felix pour rejoindre le petit commerce. Nous entrons et sommes accueillis par une bonne odeur de pain chaud, de beurre et de café. Ça me rappelle le café franco-japonais que j’avais fait avec Felix à Kyoto, à l’orée de la bambouseraie du mont Arashi, au tout début de notre voyage.

Il y a devant nous un vieil homme et une femme d’affaires. En attendant notre tour, Karina se tourne vers moi :

- Alors, Suhua, qu’est-ce que tu me recommandes ?

- Pas un croissant, déjà. C’est pas extraordinaire.

- Vraiment ? questionne Felix. Tu avais aimé celui au matcha, pourtant.

- J’ai pas dit que c’était pas bon, j’ai dit que c’était pas extraordinaire. Je vous recommande un chausson aux pommes ou un pain suisse.

Mon petit ami se tord le cou pour apercevoir la vitrine.

- C’est quoi, un pain suisse ? C’est pas français, si ?

Je souris et penche la tête légèrement sur le côté.

- Un pain suisse, c’est une viennoiserie parisienne. C’est une pâte feuilletée légère, avec une crème pâtissière et des pépites de chocolat. C’est trop bon.

- Alors pourquoi on appelle ça un pain suisse ? Tu sais quoi, Suhua ? C’est comme avec les montagnes russes. On sait pas pourquoi ça s’appelle ainsi, mais c’est comme ça.

Je ris doucement et m’arrête lorsque la serveuse nous demande ce que l’on veut. Felix commande deux pains suisses pour lui et moi puis se tourne vers sa sœur pour savoir ce qu’elle prend.

- Un chausson aux pommes, s’il vous plait, lance-t-elle à la serveuse.

La vieille femme nous glisse nos trois pâtisseries dans un sachet en papier kraft avant de nous les poser sur le comptoir en marbre noir et blanc. Elle nous balance le prix à la figure de manière pas très aimable, ce qui lui vaut un haussement de sourcils consterné de la part de Felix. Je suis étonnée de ne pas voir Karina démarrer au quart de tour, mais un regard sur elle me permet de voir qu’elle a le nez plongé dans son smartphone. Ça fait depuis le sept juillet qu’elle passe son temps à taper des textos, et ni Felix ni moi ne savons à qui elle parle.

Nous quittons la boulangerie, décidés à ne pas manger sur place vu le comportement de la serveuse, et nous rejoignons un petit parc pour s’arrêter. Je bois une gorgée du café latte que m’a acheté Felix. On reconnaît qu’il vient du distributeur automatique parce que j’ai l’impression de boire du café dilué à l’eau.

- Est-ce qu’on se déguise pour aller au parc Ghibli ? Genre, à un perso qui nous ressemble dans les Miyazaki.

- J’ai un minimum de dignité, se plaint Felix en goûtant le pain suisse. Hm, c’est bon, t’as raison. Je retiens le nom.

- Allez ! Karina, t’es de la partie, hein ?

- Hm, quoi ?

- On se déguise. Genre, je fais Sheeta du Château dans le ciel, Felix fait Hauru du Château ambulant et toi… Dame Eboshi, de Princesse Mononoké.

- Wow, Karina serait un perso d’un Ghibli qu’on aime pas, rit Felix.

- Mais, tu veux dire qui nous ressemble physiquement ou mentalement ?

- Ben, physiquement. Quoique mentalement… Ceux que j’ai choisi nous ressemble aussi.

Hauru est blond, comme Felix. Il est élégant, un peu vaniteux, loyal. Comme mon petit ami.

Dame Eboshi a des cheveux noirs, des traits fins et magnifiques, comme Karina. Elle est forte, intelligente et intimidante, tout comme la sœur de mon copain.

- Bref, on le fait ou pas ? demandé-je.

- Si ça te tient tant à cœur, tu peux toujours le faire seule, sourit Felix.

- Mais !

Je donne un coup dans les abdos de mon petit ami. Il rit, ce qui a pour effet de les contracter et de défoncer mes phalanges. Je l’accuse d’avoir fait exprès pour me casser les doigts, et il avoue avec un petit sourire en coin.

- Bon, de toute façon, on va pas repasser à l’hôtel pour se changer, donc tant pis, dit Karina. On y va ?

- Je finis mon café, répond Felix.

- Un : le café est dégueulasse. Deux : tu sais pas marcher en buvant ? demande sa sœur.

- Et comment je marche en tenant la main de Suhua, mon portable et mon café ?

- Fallait prendre un pantalon avec des poches.

Felix souffle et finit son gobelet en une gorgée avant de le balancer dans la poubelle à côté et de se lever.

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