Chapitre 61 - Felix

6 minutes de lecture

4 octobre – 8 heures 48

Nagoya

On arrive au parc Ghibli et les yeux de Suhua pétillent immédiatement. Elle attrape un plan et le consulte avec concentration. Il est en japonais, mais ma petite amie a fait de gros progrès et elle est capable de tenir une conversation quotidienne en japonais, désormais.

Nous commençons par la zone de la Colline de la Jeunesse, avec des références aux films Si tu tends l’oreille et Le Royaume des chats. Il y a une fausse école toute jolie, qui prend place dans une ruelle au style rétro, qui s’accorde parfaitement à la tenue de Suhua aujourd’hui : une petite robe en jean bleu évasée et à bretelles, avec un col en V et un pull blanc en-dessous, des petites baskets blanches plates et ses cheveux attachés en deux couettes lâches. Je la visualise presque en train de sortir d’un fleuriste, un bouquet de tournesols en main, rejoignant son petit vélo bleu pastel dans le style amstellodamois.

J’attrape sa main pour nous promener dans les rues, Karina suivant, les yeux rivés sur son portable.

Nous allons ensuite dans la zone du Grand Entrepôt Ghibli, avec pour référence Le Château ambulant, Le voyage de Chihiro, et…

- Le Château dans le ciel, souffle Suhua en fixant un faux robot gardien du film, dans un décor d’arbres et de lierres.

Je tourne la tête vers elle et l’observe. Elle a des étoiles dans les yeux, on dirait que juste voir ça l’a fait revivre. Suhua est adorable quand elle est passionnée par quelque chose. On dirait presque qu’elle redevient une enfant naïve à la personnalité pétillante et spontanée, ce qui contraste avec sa maturité parfois.

- Oh, regarde, Felix !

Elle désigne un endroit qui représente la scène dans le train du Voyage de Chihiro, avec l’esprit masqué. On peut s’asseoir à côté de la reproduction du Sans-Visage et certains touristes prennent des photos.

- C’est ton Ghibli préféré, non ?

- Oui, c’est vrai.

Je me souviens lui avoir répondu ça, dans la boutique Ghibli du quartier Akihabara à Tokyo.

- Au fait, tu as commencé à utiliser le cahier du Château dans le ciel que je t’ai acheté ? demandé-je avec un léger sourire.

- Ouaip. Pour noter tout ce que tu m’apprends en japonais. D’ailleurs, je suis capable de lire les citations du film qui sont dans le cahier. C’est trop bien.

Je l’attire dans mes bras pour un câlin, respirant l’odeur de ses cheveux. Je sens son cœur pulser contre mon pectoral droit tandis qu’elle se serre contre moi. Ça va bientôt faire trois mois qu’on s’est remis ensemble, et Suhua m’a parlé de ses inquiétudes par rapport à décembre. J’ai décidé que je la raccompagnerais chez elle, à Rochefort-en-Terre, et que j’y passerai probablement un jour pour découvrir le village, avant de retourner à ma vie à Kyoto.

- Je t’aime, lui soufflé-je.

- Je t’aime aussi.

Suhua se met sur la pointe des pieds pour m’embrasser et Karina nous rentre dedans.

- Vous êtes vraiment en train de vous bécoter en public, là ? Poussez-vous. Déjà que la dernière fois, je suis tombée sur un truc que je préférerais oublier.

Ma sœur secoue la tête et passe entre ma petite amie et moi, dans le but de nous écarter.

- Wow, t’es de mauvaise humeur, Karina ? demandé-je.

- « T’es de mauvaise humeur, Karina », marmonne-t-elle en fouillant dans son sac. Putain, j’ai besoin d’été, de plage et de spritz. Et d’un mec pour la soirée. J’en peux plus de ce temps gris.

Elle désigne le ciel en soupirant.

- J’ai envie d’une clope.

- Tu fumes ? questionne Suhua, les yeux écarquillés. Je t’ai jamais vue, pourtant.

- Non, je fume pas, mais y a une première fois à tout. Disons que c’est pour remplacer les spritz en terrasse jusqu’à l’été prochain.

Le ton de ma grande sœur est tellement ennuyé que je me demande si elle a un problème au-delà du manque de soleil et de cocktails. Je n’ai pas le temps de l’interroger, elle s’en va demander une cigarette à un inconnu qui était justement en train de fumer.

Il reluque ma sœur avant de lui en tendre une en lui disant quelque chose, et Karina lui jette un regard froid avant de revenir vers nous.

Suhua la fixe, incrédule, tandis que ma sœur allume la cigarette et la porte à ses lèvres. Je la lui retire immédiatement.

- Oneechan. Arrête, tu vas te détruire la santé. Tu as déjà des tendances alcooliques, n’empire pas ça avec un cancer des poumons.

Karina retire mes doigts de la cigarette et souffle la fumée sur le côté.

- Au pire, je meurs. Qu’est-ce que ça peut t’foutre ? T’as Suhua. Super, n’est-ce pas ?

- Karina, on en a déjà parlé…

- Oh, fais pas le mec ennuyé, Felix. C’est moi qui suis soûlée. Je dois vous supporter à longueur de journée. « Je t’aime » par-ci, et hop, un bisou par-là, vous couchez ensemble une fois de temps en temps. C’est bon, quoi.

Je soupire de frustration. La dernière fois qu’elle s’est énervée pour ça, elle a insulté Suhua et on s’est disputés.

- Eh, c’est de ta faute, oneechan. De base, c’était juste Suhua et moi. C’est toi qui t’es rajoutée en avril. Et tu ne peux pas nous reprocher de s’aimer, on va pas arrêter de se toucher juste parce que t’es là et qu’il faudrait avoir pitié de la pauvre petite Karina. T’es pas la seule à souffrir, ok ?!

Suhua me lance un regard puis regarde ma sœur. Karina aspire à nouveau de la fumée de cigarette puis la recrache en toussant. Elle jette le mégot à la poubelle puis s’appuie sur mon épaule.

- Je comprends pas Robin, se plaint-elle, l’odeur de la cigarette froide remontant jusqu’à mon nez.

Je toussote et relève la tête de ma sœur.

- C’est qui, Robin ?

Suhua semble avoir une révélation parce qu’elle ouvre la bouche, ses lèvres roses formant un O.

- Noah dans sa version originale !!!

Je hausse un sourcil. Elles recommencent avec leur délire où je ne comprends rien.

- Donc Robin, c’est le barman sexy d’Otaru, c’est ça ? demandé-je.

- Oui. Je savais pas que t’avais pris son numéro !

- Ben si, sanglote Karina. Il me l’a passé, et j’avais un petit crush sur lui alors j’ai accepté. Ça fait trois mois qu’on parle ensemble. Mais je le comprends pas.

C’est donc ça. Voilà pourquoi Karina est sacrément casse-pieds aujourd’hui.

- J’ai besoin de prendre une soirée à l’hôtel rien que pour moi, souffle-t-elle. Je crois que je vais manger des bonbons en regardant un film.

- Ok. De toute façon… J’ai réservé une nuit dans un ryokan*, juste Suhua et moi.

- C’est ça, soupire Karina. Allez vous envoyer en l’air loin de moi, ça nous fera du bien à tous les trois.

Je ris et décale ma sœur de moi. Elle soupire et farfouille dans son sac pour en extraire une bouteille d’eau puis nous reprenons la visite du parc.

À un moment, Suhua disparaît pour aller aux toilettes et je repense aux mots de Karina.

« Allez vous envoyer en l’air loin de moi ».

Je comprends sa douleur et je n’ai rien dit sur le moment parce qu’elle était en train de pleurer, mais c’est assez réducteur qu’elle résume mon couple à des relations intimes. Et elle franchit une limite en parlant de ma sexualité aussi facilement.

Je lui jette un regard. Elle semble s’être calmée, alors je lance :

- Tu sais, j’ai pas réagi, mais j’aimerais que tu arrêtes de parler de Suhua et moi comme ça, oneechan. Tu sais très bien que ma relation avec elle va beaucoup plus loin que quelques relations sexuelles une fois de temps en temps.

Karina lève les yeux vers moi.

- En plus, sérieusement, ça ne te gêne pas de parler de l’intimité de ton petit frère ?

- Je suis désolée, mais avoue que vous…

- Si tu fais une remarque sur la fréquence à laquelle ça arrive, coupé-je, je te mets une claque. Tant pis pour le respect.

- Ok, je me tais.

*Auberge traditionnelle japonaise

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