Chapitre 67 - Felix
7 novembre – 13 heures 48
Yokohama
- Comment ça, « perdus » ? demande Suhua.
Nous sommes entrés dans une salle éclairée d’une lampe à huile grésillante, avec un miroir dont les bords sont moisis. Une poupée effrayante est posée sur une chaise. Les murs sont noirs, et il m’est impossible de retrouver la porte.
- Ben… Perdus, quoi.
- Felix. Tu te fous de moi.
- Suhua, jamais je ne plaisanterai là-dessus.
- Mais…
Je touche chaque mur, mais je ne trouve aucune poignée, aucune porte à faire coulisser. Le reflet que nous renvoie le miroir est beaucoup trop flippant, et la poupée rajoute une ambiance horriblement tendue.
Suhua me force à me retourner et me fixe, ses yeux brillants.
- Felix.
- Je…
- Felix, j’ai trop peur.
- Peut-être qu’on est entrés dans un endroit où il ne fallait pas aller. Après tout, il y aurait eu d’autres gens, non ?
- Quoi ? articule Suhua.
La pièce est beaucoup trop oppressante. Suhua déglutit et regarde autour de nous d’un air paniqué. Elle se met à pleurer d’un coup et je m’en veux immédiatement de l’avoir emmenée dans la maison hantée en sachant pertinemment qu’elle en avait peur.
Je m’avance vers elle et la serre contre moi. Sa respiration est saccadée, son cœur bat à une vitesse effrénée.
- Je veux sortir.
Je dépose un baiser sur son front et resserre mon étreinte.
- Suhua. Je suis là. Je t’aime.
Je caresse son dos.
- Concentre-toi sur moi.
Tandis que Suhua obéit en se blottissant contre moi, je regarde autour de nous à la recherche de l’endroit où nous pourrions aller.
- Felix.
- Oui ?
Suhua attrape une de mes mèches décolorées et l’enroule autour de son doigt.
- Je t’aime aussi. Mais je suis très en colère.
- Ok. Je comprends.
Je réalise soudain un truc.
- Suhua. Tu as ton sac ?
Elle hoche la tête et je relève son menton pour l’embrasser. Ma petite amie se décale et me demande ce que je compte faire avec son sac.
- Passe-moi mon portable. Je l’ai mis dedans.
- Oh !
Suhua fouille dans son sac et me tend mon téléphone. Il n’y a pas beaucoup de réseau ici, mais j’arrive quand même à trouver sur Internet le numéro d’urgence du parc et à les appeler. Je leur indique l’attraction où nous sommes et je décris la pièce.
Suhua serre ma main. Les secours raccrochent et je rends mon portable à ma petite amie.
- Ils arrivent.
Quelques minutes plus tard, le miroir s’ouvre et des gens en sortent. Ils nous indiquent de les suivre et nous montrent la sortie.
- Le miroir était une porte, explique une femme.
Ah. C’était pas clair, aussi.
Suhua sèche ses larmes et me frappe à l’arrière de la tête pour se venger. Je ne dis rien, à part :
- T’as raison, c’est tout ce que je mérite.
Ma petite amie fait la tête le reste de la journée. Elle est un peu de mauvaise humeur et me lance des regards noirs à chaque fois que j’essaye de me faire pardonner ou de plaisanter. Je lui propose de quitter le parc d’attractions, réalisant que ce n’est pas le type d’endroit qui nous convient.
- Ok.
Elle ne me demande même pas où on va.
Ok, elle est vraiment énervée.
Je ne l’ai jamais vue réellement vexée, alors je ne sais même pas si je suis censé lui parler ou me taire. Je la fixe pendant qu’elle marche à mes côtés, les yeux rivés sur le sol.
J’ai trouvé le moyen de l’énerver le jour de son anniversaire. Bravo, Felix.
On se rend dans un magasin avec des romans, des mangas et des peluches. Suhua commence à lire des résumés, à jouer avec des peluches et à observer attentivement les couvertures de mangas, sans me lancer un seul regard. Je lui dis de choisir un truc, et elle répond par un vague « ok, merci ».
Elle attrape un livre et lit le synopsis, puis elle se tourne vers moi et m’adresse enfin la parole :
- Ça, ça a l’air bien.
Suhua me tend le livre et je reconnais celui que je lui ai acheté. Je secoue alors la tête.
- Non, je l’ai lu. Il est trooop nul.
Ma petite amie hausse un sourcil et un léger sourire moqueur apparaît sur son visage.
- Toi, tu as lu un roman érotique ?
J’aurais dû lui sortir une autre excuse.
Je souris à Suhua et lui prends gentiment le livre des mains pour le reposer.
- Et alors ?
- Et alors je ne pensais pas que tu lisais ça. Tu t’es moquée de moi quand t’as découvert que j’en lisais !
Elle croise les bras et plisse les yeux.
- Non, mais il est trop triste en plus. Tu vas pleurer.
- T’as pleuré ?
Merde, quoique je dise elle trouve un truc pour se moquer de moi.
D’un certain côté, ça prouve que sa colère se dissipe lentement.
- Ouais, assumé-je.
Le pire c’est qu’à tout moment ce n’est pas triste, et je lui raconte n’importe quoi.
- Bon. Bah je vais choisir autre chose.
Je pousse un soupir de soulagement. Suhua s’avance vers les peluches et s’amuse à les présenter au petit axolotl rose accroché à son sac, que je lui ai offert à Harajuku. Elle attrape un petit poisson rouge.
- Ça.
- Un poisson rouge ?
- Dans les aquariums, tu peux faire cohabiter les axolotls avec les poissons rouges. Donc oui, ça.
- Ok. Passe, je vais le payer.
Je tends la main et Suhua pose la peluche dessus. Elle effleure mes doigts qui tiennent le poisson rouge et attrape mon autre main. Je lui cache le sourire qui naît sur mes lèvres en tournant la tête vers les rayons.
Nous ressortons du magasin et ma petite amie accroche le poisson rouge à côté de l’axolotl.
- Ça, c’est Felixou, et l’axolotl, c’est Suhuaou.
- Hein ?
Je hausse un sourcil. Suhua sourit.
- En fait, depuis que je suis toute petite, quand je nomme un doudou, je lui donne un vrai prénom et je rajoute « ou » à la fin, pour le côté mignon.
- Ok… On t’a déjà dit que t’étais bizarre ?
- Ouais, Lia me le dit tout le temps. Ça me fait penser que… Je n’ai pas de nouvelles de mon frère depuis juin. Tu permets que je l’appelle ?
- Oui. Tu veux trouver un coin tranquille ?
Suhua hoche la tête en sortant de son sac son téléphone. Nous nous éloignons de la rue et rejoignons une allée plus calme, où nous nous asseyons sur un banc.

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