Chapitre 71 - Felix

5 minutes de lecture

24 décembre – 17 heures 58

Sendai

Dix-sept jours. Dix-sept jours avant que Suhua ne parte. Je la regarde, ses cheveux détachés, vêtue d’une robe blanche en laine et d’un collant noir. Elle installe le sapin que nous avons acheté, et le positionne à côté de la cheminée que j’ai allumée.

- Felix, tu m’aides à le décorer ?

- On attend Karina et Robin ?

Suhua souffle.

- Ils sont au lit. J’ai pas envie de les attendre pendant quinze ans.

- Ok, ok.

Je me lève du fauteuil où je suis assis et attrape les caisses remplies de boules et de guirlandes que nous avons trouvées dans un placard du chalet.

J’attache des boules blanches et roses pour rappeler les cerisiers, même si nous sommes en hiver. Suhua pose une boule rouge et je lance :

- Non, que des roses et blanches. Il faut un code couleur.

- Arrête de penser esthétique, Felix Nagashi !

- Mais pourquoi ? Il faut que ça soit beau !

- Ça sera plus beau si on le fait en s’amusant que si on le fait en se faisant chier à trouver des boules roses et blanches.

- L’ambiance, oui, ok, elle sera mieux. Visuellement, non.

Suhua souffle et fait exprès de mettre une boule verte bien en évidence.

- Eh ! Je t’ai dit « non » !

- Et moi je t’ai dit « si ».

Je râle pour la forme et ma petite amie me lance un regard.

- Tu crois qu’on arriverait à se supporter longtemps ? Genre… vraiment longtemps ?

Je hausse les épaules.

- Oui, pourquoi ?

- On se prend la tête pour décorer un sapin.

Je pose la boule que je tenais et m’approche de Suhua pour la prendre dans mes bras. Je pose mon menton sur sa tête.

- Mais c’est pas sérieux, ça. Je me plains juste comme ça.

- Ok. Ça me rassure.

- Évidemment qu’on arriverait à se supporter. On s’aime, non ?

- Oui, mais parfois l’amour ne suffit pas.

Je me décale et pose mon front contre le sien.

- Il suffira.

- Felix, c’est trop bizarre de te voir sérieux.

Je souris et la lâche pour m’avancer vers la cuisine. J’ouvre un tiroir et en sors le Tupperware où nous avons rangé les pains d’épices que j’ai fait avec Karina. Dehors, la neige virevolte et un vent fort souffle.

- T’en veux un ? dis-je en mettant un pain d’épice sous le nez de Suhua.

- Ça va pas ? Je vais grossir.

Je croque dans le biscuit et m’appuie contre le mur, tout en regardant ma petite amie décorer le sapin.

- Comment ça « tu vas grossir » ? T’es toute fine, lancé-je en tapotant sa tête.

- Les commentaires sous mes posts Insta me disent le contraire.

Je la force à croquer dans le pain d’épice que j’ai entamé en lui ouvrant la bouche.

- Mange !

- Y a ta salive.

- Ça te dérange pas quand on s’embrasse. Allez, mange.

- Mais…

Je lui fourre le biscuit dans la bouche.

- Mais les commentaires, tu t’en fous. Rappelle-toi que tu faisais ça pour le plaisir, au début. Les gens sont juste jaloux parce que t’es trop belle et que t’as un copain trop charismatique.

- Ouais… Un peu charismatique. Pas trop trop non plus.

- Hein ?!

- T’as perdu soixante-dix pourcents de ton charisme quand j’ai découvert ton caleçon sous les draps à Oshino Hakkai, et dix pourcents quand t’avais une chaussette sous la fenêtre et l’autre sous le bureau à Nagasaki.

Je dépose un baiser sur sa joue.

- Les gens sur Insta ne savent pas ça, pour eux je suis le mec charismatique, tu vois. Même si y a que ton avis qui compte.

- Mon avis me dit que tu es pas charismatique.

- Mais si. Je suis lion, non ?

Suhua croise les bras.

- Depuis quand tu crois à ces « conneries astrologiques », comme tu dis ?

- Depuis que ça m’arrange parce que les lions sont charismatiques et vont bien avec les scorpions.

Suhua finit de décorer le sapin tandis que je mets des musiques de Noël sur mon portable en chantant comme un idiot, histoire de perdre encore un peu de charisme. Je découvre sur la chanson All I want for Christmas is you de Mariah Carey que ma petite amie chante faux, et je compte bien l’embêter avec ça plus tard. Mais pour le moment, je profite de l’ambiance de Noël avec elle.

Karina débarque dans la pièce, décoiffée, les joues rouges et le souffle court. Visiblement, ses ébats amoureux sont finis.

- Arrêtez moi cette torture. Suhua, je t’adore, je te jure, mais tu chantes comme une casserole. Et Felix, tu as vingt-six ans, pas trois. Alors arrête de chanter Vive le vent en japonais.

- On t’a dit, à toi, d’arrêter de hurler comme une folle avec ton Robin ? Je crois pas. Si c’est pour nous faire chier et plomber l’ambiance, retourne dans ton lit, réponds-je.

- C’est toi qui devrais retourner dans ton lit. Je te signale que t’es en pyjama depuis ce matin.

- C’est un pyjama stylé !

- Stylé, mon cul ! On dirait un ado en quête d’identité qui s’est décoloré les cheveux pour faire chier sa mère et passe son temps en jogging !

Suhua rit tandis que je m’engueule avec Karina.

- Moi au moins, mon pyjama, c’est pas un string et une robe presque transparente ! hurlé-je.

- Et moi, au moins…

Karina ne finit pas sa phrase parce qu’elle éclate de rire. Je croise les bras et hausse un sourcil.

- Quoi ?

- Je… je suis en train… de t’imaginer avec un string… c’est… hilarant…

J’entrouvre les lèvres, choqué des paroles de ma grande sœur. Suhua repart dans un fou rire, elle a sûrement la vision en tête.

- En mode bodybuilder, genre il contracte les muscles et tout, enchaîne ma petite amie.

- Traîtresse, sifflé-je en lui frappant l’arrière de la tête.

Karina dévisage Suhua avec un sourire malicieux.

- Tu peux rien dire, Suhua Liu… T’avais l’air de les aimer hier soir, ses muscles contractés.

Ma petite amie bégaye et se retrouve, elle aussi, victime des moqueries de ma sœur. J’hésite à taquiner Suhua, mais je me dis qu’elle et moi sommes dans le même panier.

- De quoi tu parles ? finit par souffler Suhua.

- Fais pas l’innocente. Je vous ai entendus dire « je t’aime » au moins huit fois hier soir. Et je suis gentille, je compte pas les soupirs.

- HEIN ?!

Cette fois, c’est moi qui surréagit.

- Tu veux qu’on parle de tout ce que Suhua et moi on entend depuis que tu partages ton lit avec Robin ? D’ailleurs, il fait quoi, l’autre ?

- « L’autre », c’est mon copain. Et il prend une douche. Change pas de sujet. Tu disais ?

- Suhua et moi, on a la décence de le faire le soir, alors que…

- Mensonge, me coupe Karina. Faut que je te rappelle votre disparition dans les toilettes, la dernière fois ?

- Rien ne te dit qu’on…

- Me prends pas pour une conne. Bref… Continuez à faire vos conneries de Noël, et je vous fais bouffer le sapin.

Suhua, qui sort enfin de sa gêne, rit et hoche la tête.

- Ok.

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