Chapitre 73 - Felix

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31 décembre – 4 heures 45

Sendai

Je réveille Suhua. Elle gigote en poussant des grognements puis se redresse et frotte ses yeux.

- Feliiiix, je dormaiiiis…

- On a un avion à prendre à sept heures, Suhua.

Nous partons à l’aéroport de Sendai, qui nous emmènera à l’aéroport de Tokyo, où nous prendrons un vol jusqu’à Rennes, puis nous aurons une heure de route jusqu’à Rochefort-en-Terre, ce qui fait que nous arriverons là-bas à dix-neuf heures, heure française.

Et demain matin, après le Nouvel An, je repartirai à Kyoto, laissant Suhua et notre couple derrière moi.

Je soupire à cette idée et retire la couverture des jambes de ma petite amie et moi, puis nous sortons du lit. Nos valises sont déjà faites, entassées dans un coin de la chambre. Sur mes trois bagages et mon sac, je ne prends qu’une valise et ma sœur ira ramener le reste de mes affaires chez moi, puisqu’elle part à Kyoto pendant une semaine avec Robin.

Suhua et moi quittons la chambre et allons prendre un petit-déjeuner, les restes de celui d’hier, soit des œufs, du riz froid et des tranches d’avocat. Karina sait que nous partons ce matin, et elle a dit « au revoir » à Suhua hier, tout comme Robin. Ma sœur et ma petite amie ont pleuré à chaudes larmes, en se répétant « on se reverra ». J’ai levé les yeux au ciel en les accusant d’exagérer, mais je me dis que je serai pareil.

Nous quittons le chalet à cinq heures douze, et j’attrape immédiatement la main de Suhua. Je veux profiter de sa présence au maximum.

* * *

L’aéroport de Tokyo déborde de gens : ceux qui partent en vacances, et ceux qui reviennent de vacances. Les quais sont bouchés, il y a énormément de bruit. Des voix féminines indiquent les avions qui entrent en piste, ceux qui décollent et d’autres informations plus ou moins utiles.

Le vol 247 à destination de Rennes est en phase finale d’embarquement et va bientôt décoller. Nous demandons aux derniers passagers de se présenter immédiatement à la porte B12.

Suhua et moi sommes déjà dans la file, et nous faisons scanner nos billets. Lorsque nous nous installons dans l’avion, une voix projette un dernier appel pour les passagers du vol 247 à destination de Rennes. J’attache correctement ma ceinture, tout comme ma petite amie. Nous éteignons nos portables puis Suhua se tourne vers le hublot. Elle fixe l’aéroport tristement.

- Tu es contente de retourner en France ? lui demandé-je.

- Oui.

- Au moins, ce voyage t’aura appris le japonais.

Suhua sourit et pose sa main sur la mienne en me lançant un regard. Je n’arrête pas de me répéter que demain matin, à huit heures, elle me dira « au revoir » à l’aéroport de Rennes.

L’avion décolle. Je regarde à travers le hublot notre élévation et rassure Suhua qui panique, comme à chaque fois qu’on a pris ce moyen de transport.

* * *

Un taxi nous dépose dans une rue de Rochefort-en-Terre. Le village moyenâgeux est déjà plongé dans le noir, une fine pellicule blanche couvrant le sol. Les fleurs sont fanées, il y a un grand puits en face d’une boutique de savon artisanal fermée, et d’une autre boutique de confiserie. Il y a un petit sapin décoré de guirlandes lumineuses allumées, comme sur certaines des vieilles maisons.

Suhua m’entraîne dans le village, de nouveau animée, me disant des phrases du genre « Ici, c’est la boutique du vieux Jacques, mais son fils Martin va la reprendre », « Ça, c’est la boulangerie de Christine et Murielle ».

Nous arrivons ensuite devant un restaurant à la devanture rouge sombre, avec un caractère mandarin dessiné à côté de l’écriture Souffle de Jasmin, avec une petite fleur de jasmin. L’intérieur est visible, des lampes pendant au plafond, des tables en bois, un comptoir avec un maneki-neko et des tableaux représentant Taipei, le site d’Angkor Vat au Cambodge et d’autres endroits d’Asie. Il y a écrit sur la vitrine « Fermeture exceptionnelle à vingt-heures », donc dans une heure. Au-dessus du restaurant, il y a deux étages que je suppose être la maison de ma petite amie.

- C’est le resto de ma mère, souffle Suhua. Viens, il faut passer par l’arrière-boutique.

Je la suis à travers une ruelle étroite qui nous conduit derrière le bâtiment, où se trouve une petite porte en bois. Suhua pince les lèvres et prend une grande inspiration. Entrer ici signifie croiser sa mère, ses anciens collègues.

Ma petite amie pose sa main sur la poignée en métal noire et ronde, puis l’ouvre. Nous entrons dans un petit couloir, près des cuisines du restaurant, d’où s’échappe des odeurs de raviolis à la vapeur, de riz et d’autres plats asiatiques, ainsi que des voix des cuisiniers et des gens présents à l’intérieur du restaurant.

Suhua avance à pas de loup aux cuisines et une jeune femme, avec des cheveux bouclés roux et des yeux bleus, la fixe.

- Suhua Liu ? Tu es de retour ?

Ma petite amie hoche la tête.

- Oui. Clémence, je te présente Felix, mon petit ami. Felix, je te présente Clémence, une ancienne collègue.

La dénommée Clémence opine du chef en attrapant une assiette remplie de riz, de légumes et de bouts de bœuf. Elle part dans la salle principale et revient en cuisine.

- Ma mère est là ? demande Suhua.

- Elle est en haut avec des invités. C’est moi qui fait la fermeture aujourd’hui.

- Ok. Merci.

Nous nous apprêtons à partir mais Clémence arrête Suhua.

- Tu étais où ?

- Au Japon, répond ma petite amie en montant sur la première marche de l’escalier en bois. Je te laisse. Travaille bien, et bon Nouvel An.

- Ok. On se reparlera, lance la rousse.

Je suis Suhua dans les escaliers sombres et étroits, et nous arrivons dans un petit hall avec seulement une porte.

Ma petite amie hésite, me passe sa valise puis toque. Une voix féminine lance « J’arrive », puis nous entendons « Qui peut bien venir à cette heure-ci ? J’espère qu’il n’y a pas de problèmes au resto ».

Des pas se font entendre et Suhua se tend. La poignée bouge puis la porte s’ouvre, révélant une femme au teint pâle et aux traits fatigués. Ses cheveux bruns sont tirés en arrière, elle passe son regard de Suhua à moi.

- Maman, dit ma petite amie.

- Suhua. Tu…

- Il fallait bien que je revienne… Et on doit s’expliquer… Je…

- Qui est-il ? coupe-t-elle en me désignant.

Je m’incline immédiatement, me relevant un peu trop vite.

- Je m’appelle Felix Nagashi… Je suis…

Je capte le regard de Suhua, cherchant à savoir si je dois révéler à sa mère qui je suis pour elle.

- Son petit ami, finis-je en voyant Suhua hocher la tête.

La mère de ma petite amie met une main devant sa bouche, son regard oscillant entre Suhua et moi.

- Tu l’as repêché où ? gronde la femme. Il a un accent très prononcé, ne me dis pas que…

- Je reviens du Japon, Maman, répond Suhua. Et je reviens à la maison. On peut rentrer ? Felix repart demain matin, ne t’en fais pas. Je lui ai demandé de m’accompagner.

La femme, désemparée, se décale pour nous laisser rentrer. Je suis un peu gêné de débarquer comme ça, mais la mère de ma petite amie me sourit.

- Qui est là, Maman ? lance une voix masculine.

- Suhui !

Suhua ne retire même pas ses chaussures et court se jeter dans les bras de son frère, qui est sa copie mais en homme. Une femme aux longs cheveux blonds lissés et aux yeux verts apparaît aussi et sourit à Suhua.

Elle se racle ensuite la gorge.

- Ah, euh… Felix, je te présente mon frère, Suhui, et sa copine, Lia. Suhui et Lia, c’est Felix, mon petit ami.

Suhui rit immédiatement.

- Donc tu pars un an et tu reviens avec un mec ?

- Suhua Liu, je ne te connaissais pas comme ça, enchaîne Lia.

Ma petite amie rougit et marmonne quelque chose avant de se tourner vers sa mère.

- Maman… Je t’ai dit qu’il fallait qu’on parle…

- En effet, répond-elle sévèrement.

- Felix, Lia et moi allons faire un tour pour que vous puissiez avoir une discussion en privé, lance Suhui en attrapant la main de sa copine et en me donnant une tape dans le dos pour que je ressorte.

J’opine du chef, conscient qu’il faut laisser de l’intimité à Suhua et sa mère, mais aussi que Suhui et Lia comptent me questionner sur ma relation avec ma petite amie.

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