NYC, bureaux de la délégation britannique à l'ONU, 20 décembre 2022.

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Le jour suivant le Ice Breaker, Haddock s'était réveillé avec une gueule de bois digne d'un flibustier au lendemain de la prise d'un galion espagnol chargé d'or. Aussi Tintin assistait-t-il seul aux briefings préparatoires à la mission tandis que Bobette, fraiche comme un gardon, s'en allait se faire tatouer un bout d'histoire sur sa peau diaphane. Le Capitaine Blake semblait soulagé de l'absence de la jeune fille.

— Elle est brillante mais parfois imprévisible et souvent impulsive. Votre présence auprès d'elle lui fera le plus grand bien, Tintin.

— Elle est si jeune... pourquoi l'avoir choisie elle ?

Blake saisit son écran portatif, y fait glisser ses doigts et le tend à Tintin.

— Regardez bien cette photo...

— Oui, c'est Bobette...

D'un glissement de doigts, Blake agrandit l'image. Le visage occupe maintenant tout l'écran.

— Regardez mieux, Tintin.

Le reporter observe attentivement, les sourcils froncés.

— Elle semble différente. Il y a quelques chose de changé, c'est à peine perceptible. Ah mais oui ! Ses yeux. Bobette a les yeux bleus, ils sont marrons sur la photo ! Et son nez me paraît bizarre, sans que je puisse dire pourquoi.

— Moi je puis vous le dire : parce que ce n'est pas Bobette sur la photo.

— Je vous demande pardon ? On voit clairement ce tatouage sur le haut de son bras et...

Blake l'interrompt. Il fait défiler plusieurs photos, s'arrête sur l'une d'elle, la même fille aux yeux marrons dans une tenue très légère, étendue sur une plage en sous-vêtements bleu vif*. On y voit très clairement les nombreux tatouages qui ornent le corps de la jeune fille.

— Et pourtant, ce n'est pas Bobette, annonce Blake. C'est Svetlana Bogdanov, la fille du plus grand trafiquant d'armes de la planète. Spécialisé dans les armes de destruction massive, c'est un proche de Znogoud, le Président de la Bordurie, mais aussi de son Ministre de la Défense. Il entretient également des relations très cordiales avec le Président russe.

— Olric ?

— Vladimir. Mais c'est la même chose.

Tintin accuse le coup. La ressemblance est hallucinante. Et puis ... ces tatouages ? Blake s'explique.

— Quand nous avons détecté cette similitude, nous avons recruté Bobette. Elle avait dix-sept ans à l'époque. Nous l'avons formée et entraînée pour la mission à laquelle nous la destinions. Parallèlement à ça, elle a subi une série d'opérations de chirurgie esthétique pour renforcer la ressemblance. Nous avons reproduit les tatouages et les piercings de Svetlana, ce que nous en savions en tous cas. Ca n'a pas été très compliqué, la demoiselle a fait une petite carrière de modèle photo, elle a même tourné dans quelques films assez... heu... légers.

— Vous avez... transformé Bobette jusque dans sa chair, vous l'avez façonnée depuis son adolescence juste pour une mission ? C'est un peu extrême, non ?

— L'avenir du monde est en jeu. Et puis elle était volontaire.

— Mais elle n'avait que dix-sept ans sapristi !

— Dans les années cinquante, quand nous l'avons recrutée, la plupart des jeunes filles travaillaient déjà à cet âge là.

Tintin fronce les sourcils.

— À mon époque aussi. Mais on ne leur taille pas le visage à coups de bistouri, on ne leur perce pas le nez ou la langue comme du bétail, et on ne leur injecte pas de l'encre sous la peau.

— C'est très fréquent ici et maintenant. Des millions de jeunes gens et de moins jeunes sont tatoués et percés, comme ils disent. Bobette ne semble pas en ressentir une quelconque amertume.

— Elle est censée être chez une tatoueuse aujourd'hui.

— Tout à fait. L'information nous est parvenue que Svetlana s'était fait faire un nouveau tatouage. Même s'il est situé dans un endroit particulièrement intime, nous avons préféré ne pas prendre de risque et suivre la logique jusqu'au bout.

— Et pour les yeux ?

— Rien de plus facile. Elle portera des lentilles colorées. Et puis même si les chirurgiens ont fait des miracles, des différences subtiles demeurent. C'est un risque que nous devons prendre. Nous ne lui demandons pas de berner le père de Svetlana ou ses proches, mais des personnes qui, s'ils la connaissent, ne sont pas nécessairement familiers. Les officiels bordures, Olric, ou les services de sécurité par exemple.

— Vous comptez l'infiltrer ?

— C'est effectivement le plan. Le soir du réveillon, le Président Znogoud donne une réception. Nous avons toutes les raisons de croire que son homologue russe y sera. Si c'est le bien cas, il sera forcément accompagné d'un officier de haut rang porteur de la malette d'activation des codes nucléaires. Bobette devra s'en emparer, et charger le virus dans le système.

— Le virus ? Que voulez-vous dire ?

— Oh pardon. Un virus. C'est ... heu, à comprendre au sens virtuel du terme. Une ligne de codes qui se propage à l'intérieur d'un programme informatique et le rend inopérant, comme un virus se propage à un organisme vivant et l'affaiblit voire entraîne sa mort. Je ne sais pas si je suis clair.

— Pas du tout. Je n'y comprends rien.

— Imaginez... heu... un interrupteur. Quand vous l'activez, il laisse passer le courant. C'est son travail, il est conçu pour ça. Un virus fera croire à l'interrupteur que quand on l'active, il ne doit pas laisser passer le courant. C'est infiniment plus complexe, mais c'est un peu ça. Imaginez la pagaille si du jour au lendemain les interrupteurs devenaient fous.

— Je crois que je commence à comprendre. Et vous pensez que Bobette peut s'infiltrer en Bordurie, approcher l'entourage d'un puissant président, s'emparer de la malette et des codes et... heu... injecter ce virus.

— Nous l'avons formée et entraînée pour ça.

— Et sous quel prétexte pensez-vous pouvoir la faire inviter à cette charmante petite fête ?

— Le père de Svetlana sera invité. Nous en avons la certitude. Mais ces dernières semaines, sa santé s’est fortement dégradée. L’homme est très âgé, il sera sous peu centenaire. Il est peu probable qu’il soit capable de faire le déplacement. Depuis deux ans d’ailleurs, sa fille l’accompagne partout. Il lui arrive aussi de le représenter lors de transactions majeures. Tout porte à croire que le vieil homme est en train de lui passer la main pour la gestion de ses affaires.

Tintin est de plus en plus sceptique. Tout cela ne lui dit rien qui vaille.

— Oui mais s'il s'y rend quand même ?

— Qu'il s'y rende ou pas, il faudra neutraliser la vraie Svetlana avant que Bobette n'entre en jeu et ne prenne sa place. Si le père est présent, nous retarderons le plus possible cette phase de l'opération et Bobette devra redoubler de précautions dans ses éventuels contacts avec le père. Si elle entre en scène juste avant la réception, perdu dans la foule et l'agitation, il n'y verra que du feu. Même s'il est présent, ce dont nous doutons fortement.

— Ca m’a tout l’air d’une mission suicide. Elle devra déjouer les services de sécurité, tromper le père de Svetlana peut-être, s’approcher suffisamment près de la mallette, neutraliser son porteur, parvenir à s’en emparer, à l’ouvrir, y injecter votre virus, puis enfin s’exfiltrer. Et tout cela seule.

— Elle ne sera pas seule. Vous l’accompagnerez.

— Moi ? Mais je suis journaliste, pas agent secret ! Pourquoi moi ? Vous devez avoir suffisamment de spécialistes de la Syldavie et de la Bordurie, probablement bien plus qualifiés que je ne le suis.

— Vous avez raison. Nous disposons de nombreux analystes et même d’agents de terrain très expérimentés. Mais personne qui connaisse le père de Svetlana comme vous, et nous pensons que cela pourrait aider à renforcer la couverture de Bobette.

— Que me chantez-vous là ? Je viens à peine de débarquer, et je ne connais pas ce Bogdanov !

— Vous vous trompez. Svetlana Bogdanov porte le nom de sa mère depuis sa naissance, pour des raisons de sécurité, probablement. Son père est connu sous le nom de Roberto Rastapopoulos.


* : Tintin arrive tout droit de 1944. Le bikini n'a été inventé qu'en 1946, il ne peut donc qu'être surpris et troublé devant la photo de Svetlana allongée sur la plage dans ce qui pour lui évoque des sous-êtements plutôt originaux.

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