28 décembre. Vol de nuit.

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Vingt-trois heures.

Sur le tarmac, deux silhouettes en treillis noir, accompagnées d'un homme coiffé d'une casquette de marin et d'un autre en blazer, se dirigent vers l'Airbus A400M de l'armée de l'air française. Parvenus au pied de la rampe d'accès, Morane étreint Bobette tandis qu'Haddock serre vigoureusement la main de Tintin sous l'oeil blasé du membre d'équipage chargé de l'embarquement.

— Bonne chance à vous deux, fait Morane en saluant à son tour Tintin.

La jeune fille et le reporter s'engagent sur l'escalier qui donne accès à l'avion. Elle se ravise et fait brusquement volte-face.

— Fanchon ! J'ai oublié Fanchon !

Elle dévale les quelques marches, paniquée.

— Fanchon ? demande Haddock.

— C'est sa poupée, répond Morane.

Il a l'air aussi paniqué que la jeune fille. Le dispatcher intervient :

— Nous devons partir, maintenant. Nous n'allons pas retarder le départ pour une poupée !

— Il a raison, Bob, fait Tintin.

Bobette, elle, est presque hystérique. Pas question qu'elle embarque sans sa poupée Fanchon ! Étrangement, Morane approuve. Il attrape la main de Bobette et court avec elle jusqu'au véhicule des services aéroportuaires en criant à Tintin, Haddock et au militaire stupéfait :

— Donnez nous dix minutes, quinze tout au plus !

***

Minuit trente, quelque part au-dessus des Balkans. Cela fait maintenant une heure que, bercés par le ronronnement des moteurs, Tintin somnole doucement, Milou installé sur ses genoux. L'interphone crachote, un message du pilote le sort de sa torpeur.

— Dix minutes jusqu'à l'objectif...

Bobette se lève de son siège et entreprend de vérifier une dernière fois leur matériel. Tout y passe : parachute principal et de réserve, leur paquetage, le harnais de Milou, l'oxygène et les masques, le GPS... Même sa poupée Fanchon a droit un dernier regard avant que Bobette ne la glisse dans une poche de sa combinaison. La jeune fille est terriblement soucieuse.

— Tout va bien, fait Tintin ?

— Si on veut. La température extérieure à 10.000 mètres est de moins soixante cinq degrés. Impossible de sauter dans des conditions pareilles. Nous devrons descendre à 8000 mètres, mais la température y sera encore de moins cinquante deux degrés. Pour sauter plus bas, l'avion doit pénétrer en profondeur dans l'espace aérien syldave, nous serions à portée des défenses aériennes tant russes que bordures. On n'a pas le choix.

Elle demeure un moment silencieuse avant d'ajouter :

— Préparez-vous à avoir atrocement froid, Tintin. Si vous vous entêtez à emporter Milou, il faudra le porter dans ce sac capitonné et y ajouter cette bouillotte. Il faudra attendre 6.000 mètres pour espérer repasser au-dessus des moins quarante degrés, soit environ six minutes de vol plané, et quatre minutes supplémentaires encore pour espérer passer la barre des moins trente. Et nous ne serons alors encore qu'à 4.000 mètres. Nous allons passer au total plus de vingt minutes, trente peut-être, à des températures polaires extrêmes.

Tintin déglutit.

— Mais vous ... vous avez déjà fait ça, n'est-ce pas, Bobette ?

La jeune fille maugrée.

— Oui, mais là ça reste pour moi un record. Je ne vous cache pas que je suis très inquiète.

— Avons-nous le choix ?

— Non. C'est une occasion unique, elle ne se représentera pas. Nous devons le faire.

Elle ajoute, sur le ton de la plaisanterie :

— Et puis ce sera une première mondiale ! Je ne veux pas rater ça.

— Que voulez-vous dire ?

— Je ne suis pas certaine que ce genre de saut ait déjà été effectué en tandem.

Elle sourit. Bien que l'habitacle ne soit baigné que d'une lumière rouge diffuse, elle perçoit la pâleur de Tintin. Elle lui donne un petit coup de poing amical sur l'épaule et lui lance un clin d'oeil.

— Ne vous inquiétez pas ! À l'entraînement, avec le mannequin qui vous remplaçait, ça s'est toujours très bien passé. Lors des derniers sauts en tous cas.

***

À la seconde où ils se lancent dans le vide, c'est une formidable gifle qui les cueille. C'est comme si l'air, terriblement compact malgré sa rareté, les percutait comme l'aurait fait un autobus. Le froid glacial qui s'introduit par les interstices du casque et du masque à oxygène cingle leurs chairs, provoquant de violentes douleurs au niveau du front et de la mâchoire. Les deux jeunes gens, attachés l'un à l'autre, tournoient sur eux-même de manière totalement désordonnée à une vitesse effarante, telle une toupie ou pire, comme un gyroscope subitement devenu fou. La rotation est si rapide et si saccadée que déjà, Tintin sent ses tripes se serrer. La chute vertigineuse lui semble durer une éternité et pourtant, elle n'est longue que d'une dizaine de seconde. Car déjà, Bobette, dans le dos du reporter, est parvenue à stabiliser la vrille infernale. Quelques ajustements encore et les voilà maintenant qui plongent à près de deux-cents kilomètres heure droit vers les nuages, au-dessous d'eux. Et tout à coup, c'est comme si un énorme élastique venait freiner leur descente infernale, il semble même à Tintin qu'ils sont tirés vers le haut par une main géante, invisible. Coincé entre Bobette dans son dos et le paquetage qu'il tient sur son ventre, le voilà qui plane, suspendu à une immense voile noire. Pauvre Milou, il doit être terrorisé.

Mais très vite, le soulagement fait place à la douleur. Déjà, malgré les gants épais et les rangers fourrées, ses mains et ses pieds s'engourdissent. Ses orteils et ses doigts lui font mal, c'est comme si des milliers d'aiguilles venaient s'enfoncer dans ses chairs. Il a si froid que malgré le masque à oxygène, il peine à respirer. C'est tout son corps qui se comprime à tel point que ses poumons refusent de s'ouvrir. Mais il faut tenir.

Les minutes lui semblent durer des heures. Il ne sent plus ni ses mains ni ses pieds, désormais, et une barre douloureuse lui traverse le front. Il voudrait juste se laisser aller, une petite voix lui suggère de piquer un petit somme. Une autre, plus aigüe, lui fait écho. Il ne peut pas s'endormir ! Le coton dans lequel il baigne l'y invite cependant. A moins qu'ils ne soient tout simplement en train de traverser la couche nuageuse. Tout à coup, la ouate se fait plus dense, plus opaque. Un noir d'encre.

Le jeune homme sombre dans l'inconscient.

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