Chapitre 7 : Le message et le coffret de cuir

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Un bruit sourd me tira violemment du sommeil. Trois coups, secs, contre le bois de la porte.

Je me redressai en sursaut, encore engourdi. La chambre était plongée dans une obscurité presque complète, à peine troublée par le halo d’une lanterne derrière le battant. Il devait être très tard, ou très tôt. Mon souffle formait une buée ténue* dans l’air froid.

— Milo, murmura une voix grave de l’autre côté. Viens. C’est important.

C’était Salvatore. Je n’avais pas rêvé.

Le sol en pierre me glaça les pieds. Enfilant rapidement ma tunique, je passai aussi le farsetto* que le valet m'avait trouvé, avant d’ouvrir lentement la porte. Le visage de Salvatore émergea dans la lumière vacillante. Il tenait une lanterne dans une main, un rouleau de parchemin dans l’autre.

— Tu es réveillé, dit-il simplement. Bien. Viens avec moi. Nous avons une chose urgente à faire.

Mon cœur battait encore au ralenti. Je faillis protester, demander pourquoi on venait me chercher en pleine nuit… mais je crois que je savais déjà que ça ne servirait à rien. Salvatore n’était pas du genre à donner des explications inutiles. Et malgré moi, je lui faisais confiance.

Nous traversâmes un couloir silencieux, nos pas résonnant faiblement contre la pierre. Dehors, à travers les vitraux sombres, la nuit semblait sans fin. Tout paraissait suspendu.

Salvatore s’arrêta devant une petite porte que je n’avais jamais remarquée. Elle donnait sur une pièce intime, éclairée seulement par deux chandelles aux flammes pâles. Une table en bois, un encrier, un rouleau scellé à la cire noire. L’air sentait le cuir, la cire fondue… et quelque chose de plus ancien encore.

— Cette nuit, murmura-t-il, nous devons réveiller un parchemin endormi.

Je frissonnai.

— Pourquoi maintenant ? Pourquoi la nuit ?

Salvatore m’adressa un sourire énigmatique.

— Parce que certaines vérités ne se dévoilent qu’à ceux qui savent écouter dans le silence.

Il déposa un coffret de cuir sur la table et en caressa un instant la surface, presque avec tendresse.

— Ce coffret renferme des fragments d’Histoire codés, dissimulés dans le tissu du temps. Et ce soir, l’un d’eux doit être déchiffré. Par toi.

Il déroula lentement un parchemin. Le texte, presque invisible, n’apparaissait qu’à peine à la lumière. Des lettres minuscules, des lignes entrecoupées de symboles inconnus.

— C’est une ancienne correspondance, codée selon un alphabet utilisé uniquement par les Passeurs. Ta tâche est simple : déchiffre-le.

— Mais… je ne connais pas ce langage…

— Les vrais Passeurs savent lire au-delà des signes. Tu as ce don, Milo. Ce texte est crypté, oui, mais il attend ta perception du temps pour se révéler.

Il désigna le médaillon autour de mon cou.

— Et si je me trompe ?

— Alors le message restera muet. Mais si tu réussis, nous aurons franchi une étape capitale.

Je m’assis. Le monde entier semblait s’être réduit à cette table, cette missive, cette nuit. J’attrapai la plume, l’encre sombre presque violette. J’effleurai les premiers signes.

— Je ne comprends même pas par où commencer.

— Regarde les répétitions, les intervalles, les symboles dissimulés dans la forme même du texte.

Je fixai la lettre. Peu à peu, des motifs apparurent. Une syllabe, puis une autre. La feuille frissonna sous mes doigts.

Un mot s’éclaira faiblement. Puis un autre. Et tout s’accéléra.

Je comprenais…

Guidé par une logique que je ne comprenais pas tout à fait, je traçai la dernière lettre. Un bruit sec retentit. Le coffret de cuir s’ouvrit tout seul.

À l’intérieur, un second parchemin.

Salvatore le déplia sans un mot, parcourut le texte rapidement, puis me lança un regard mêlé de satisfaction et de tension.

— Tu viens de réactiver une directive ancienne. Une instruction enfouie dans le passé, invisible aux yeux de ceux qui ne sont pas des Passeurs.

Je baissai les yeux. Les lettres vibraient encore.

Intervention validée. L’architecte secondaire pourra reprendre les plans. Le retard stratégique est enclenché. Conserver les apparences.

Le contact à la cour de L. Sforza recevra les éléments sous deux jours. Éviter toute interférence picturale. Maintenir la cible en position périphérique.

— C’est un ordre de mission ?

— Un ordre ancien que tu viens de faire revivre. Tu ne comprends pas encore sa portée, mais ton rôle cette nuit a été essentiel.

Je sentis une chaleur étrange m’envahir. Vertige. Fierté.

Mais aussi un soupçon d’inquiétude. Pourquoi cette lettre avait-elle été scellée jusqu’à moi ?

— C’est… une vraie lettre ?

— Elle a été écrite il y a des années, mais elle dormait. Tant qu’aucun Passeur ne l’avait réactivée, elle n’existait pas. Maintenant qu’elle a été lue, son contenu peut prendre effet.

— Et cette… cible ?

— Quelqu’un d’instable. Trop jeune, trop impulsif. Il fallait le tenir à distance, pour son propre bien.

Je baissai les yeux sur le parchemin. Le cœur battant.

— Et moi, je viens de rendre cette lettre réelle ?

Mes doigts tremblaient. La plume échappa presque.

— Oui. Sans toi, ce texte serait resté un souvenir muet. Mais un Passeur peut relier le passé et l’avenir.

Un frisson me parcourut.

Salvatore posa brièvement sa main sur ma nuque.

— Tu es plus doué que tu ne le crois. Ces épreuves ne sont que le début.

Je hochai la tête. Fièrement perdu, mais plus solide qu’hier.

Il verrouilla le coffret sans un mot puis enroula ensuite le parchemin et le rangea.

Je le regardai faire, puis, soudain, une question me traversa.

— Salvatore ?

— Oui ?

— Pourquoi… pourquoi ce n’est pas toi qui as déchiffré la lettre ? Tu es un Passeur aussi, non ?

Il se figea. Ce n’était qu’un instant, une fraction de silence. Mais je le vis. Il ne s’attendait pas à ma question. Il se redressa lentement, les mains posées sur le coffret. Ses yeux brillèrent à la lueur vacillante de la torche.

— Je l’étais. Comme toi, j’ai porté un médaillon. J’ai traversé des siècles, écouté des rois, observé des batailles en silence. Mais un jour, j’ai… failli.

Un Passeur qui a trahi ? Qui n'a pas été à la hauteur ?

Cette idée me glaça plus que je ne voulais l'admettre.

Il fit une pause, comme s’il pesait ses mots. Sa voix était toujours posée, mais un peu plus grave.

— Certains choix ne laissent pas indemne. J’ai pris une décision à un moment… un geste, que d’autres ont jugé dangereux. Trop risqué. On m’a privé de l’usage de mon médaillon. Pas parce que j’étais incompétent. Parce qu’on ne me faisait plus confiance.

Il me lança un regard calme, mais je devinais une blessure ancienne, profonde.

— Je ne peux plus décrypter certains textes. Pas entièrement. Il y a dans les encres temporelles une trace… une sorte de verrou que seuls les Passeurs encore "accordés" peuvent franchir. Et moi, depuis ce jour… je suis tenu à l'écart. Je n'ai plus le droit d'intervenir.

— Mais… tu n’as pas essayé de récupérer ton droit ?

Il eut un sourire sans joie.

— Certains murs ne se franchissent pas. Ou alors… il faut d’abord les reconstruire en soi.

Je le regardai en silence. Pour la première fois, Salvatore me sembla moins parfait, moins intouchable. Et étrangement, plus humain.

Il posa une main sur mon épaule.

— Tu as encore le don, Milo. Ne le gaspille pas. Et ne perds jamais de vue que chaque décision a un prix. Ce soir, tu as réveillé une lettre. Mais tu as aussi réveillé une chaîne de conséquences. Il te faudra en assumer chaque maillon.

C'était grisant... et terrifiant. Comme si j'avais appuyé sur un bouton sans lire l'avertissement.

Je sentais mon cœur battre plus vite. Pas de peur, pas de fierté non plus. Juste… de la gravité.

— Repose-toi, dit-il enfin. Le jour va bientôt se lever. Demain, nous sortirons de ces murs. Tu as vu des cartes, tu as lu des lettres. Il est temps de rencontrer des hommes.

Je me levai.

— Mais… ce message, c’était important ?

Il hésita encore, regardant la torche.

— C’est une trace. Une empreinte entre deux époques. Certains artistes, bâtisseurs ou penseurs ont été guidés. Parfois, un mot au bon moment sauve un siècle entier.

Je déglutis. Une flamme étrange s’alluma en moi.

Salvatore se leva.

— Retourne te coucher.

Dans le couloir, alors que je regagnais ma chambre, une pensée me traversa.

Et si ce n’était pas moi qu’on mettait à l’épreuve… mais ma capacité à obéir sans poser de questions ?

Je chassai l’idée.

Elle n’avait pas de sens.

Mais dans le silence du couloir, quelque chose en moi se mit à veiller. Comme un petit gardien intérieur, méfiant, qui venait de s'éveiller.

Et tandis que je refermai la porte de ma chambre, je crus sentir sur ma nuque une brise qui ne venait de nulle part. Comme si l'Histoire elle-même me suivait à la trace.

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