« Les gens ont des étoiles qui ne sont pas les mêmes… quand tu regarderas le ciel, la nuit, puisque j'habiterai dans l'une d'elles, alors ce sera pour toi comme si riaient toutes les étoiles. Et quand tu seras consolé, tu seras content de m'avoir connu. » Antoine de Saint-Exupéry

Lorsque j’étais petit garçon, il n’était pas rare qu’avec mes frères et sœurs, nous nous retrouvions le soir au coin du feu, pour entendre Père et Mère nous raconter des histoires. Envoutés, nous en demandions encore, et encore, jusqu’à ce que les flammes finissent par se tarirent, sous un ciel piqué d’étoiles.

Le monde ressemble toujours à un conte, lorsqu’on est un enfant. Et puis on finit par grandir. Et les couleurs étincelantes et les rires d’autrefois laissent place au gris et au froid glacial de la vie d’adulte. Les frères et les sœurs s’éloignent, s’en vont. Ne restent que les souvenirs. Le noir d’un linceul et le rouge du sang d’un père et d’une mère sur les doigts tremblants d’un enfant.

J’ignore où se trouve le reste de la famille, à présent. La dernière lettre de Xander remonte à des années. Deux pages entières d’insultes, du Xander tout craché. Adrian a disparu depuis longtemps, bien avant le « drame ». Catalina…Non. Il est inutile d’en parler.

Et il y a moi. La bonne âme de la famille, Gabriel, anciennement « Nathan ». Mais Nathan est mort avec ses parents dans une tempête créé par sa jeune sœur. Et ne reste plus qu’un paladin, un chasseur de sorcières parmi d’autres.

Parfois, je lui en veux. Si elle n’existait pas, Xander serait peut-être un peu moins en colère. Adrian et Père ne se seraient probablement jamais disputé, et j’aurais encore une famille, à l’heure qu’il est…Je ne la déteste pas. Mais quand dans mes cauchemars, je vois les yeux vides de mes parents, que je sens la chaleur de leur sang sur mes mains, j’aimerai qu’elle soit morte à leur place.

C’est peut-être le cas. On dit des Ecoles qu’elles vous changent. Là-bas, les mages sont sous la constante surveillance des paladins, afin d’apprendre la juste et bonne utilisation de la magie. Peu y parviennent, certains finissent même déments, infirmes, ou les deux. Un prix lourd à payer, mais justifié, car même si certains prétendent le contraire, la magie est dangereuse. C’est pour cela que les paladins, dont je fais partie, surveillent attentivement, épiant le moindre signe de dérapage. Certains mages réussissent à trouver l'équilibre, à utiliser leur magie pour le bien. Mais d'autres sombrent dans l'obscurité, entraînés par le pouvoir qui les consume.

A cause de la magie, j’ai vu des gens devenir des monstres impitoyables. Des femmes cracher du feu, des hommes se transformer en pierre. J’ai vu une fillette d’à peine dix ans faire naitre la tempête qui a littéralement briser mes parents en morceaux sous mes yeux. C’est pour que cela cesse que j’existe. Les années ont passé depuis cette nuit tragique, et je me suis consacré corps et âme à traquer ceux qui abusent de la magie, cherchant à prévenir d'autres drames. Peut-être que dans cette quête incessante de responsabilité, je cherche inconsciemment à expier mes propres péchés, à trouver un sens à la tragédie qui a frappé ma famille. Les nuits, je me tiens devant le miroir, cherchant des réponses dans mes propres yeux. Parfois, je me demande si Catalina, où qu'elle soit, ressent la même culpabilité, si elle comprend le prix de sa magie déchaînée qui m’a tout arraché. Si Xander, ou qu’il soit, pense encore un peu à son petit frère, ou si Adrian aime toujours autant les pommes.

Pourtant, malgré mes voyages et mes combats, une vérité demeure inaltérable : la magie a façonné ma vie de manière irréversible. Chaque pas que je fais, chaque mage que je confronte, est une tentative de rendre hommage à mes parents et de réparer les erreurs de ma sœur. C'est un chemin sans fin, mais peut-être, à la fin de cette route tortueuse, je trouverai la paix que j'ai cherchée depuis si longtemps. Et peut-être, dans le silence des étoiles, retrouverai-je la famille que j’ai tellement cherchée.