Nouvelle vie?

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Il fait encore nuit. La lumière des premières ambulances et les premiers bruits dans le couloir réveillent Sarah. C'est l'heure de la relève entre les équipes soignantes de nuit et de jour.

L’infirmière entre dans la chambre avec un sourire bienveillant. Elle ajuste la perfusion et vérifie les constantes.

— Comment vous sentez-vous ce matin ?

Sarah hoche doucement la tête.

— Mieux, je crois.

— Tant mieux, vous verrez qu'à mesure que les jours vont avancer ça ira mieux. Mes collègues vont vous apporter un petit déjeuner léger. Prenez votre temps pour manger. Je suis en poste ce soir, alors on se reverra.

Sarah la remercie d'une voix faible. L'infirmière lui souhaite une bonne journée avant de quitter la chambre.

Peu après, une aide soignante entre avec un plateau. Un petit-déjeuner léger, composé d’un thé tiède, d’un yaourt nature et d’une biscotte, est posé sur la tablette roulante. Sarah tente d’avaler quelques bouchées, mais son estomac se noue rapidement. Une nausée désagréable la prend. Elle repose la cuillère avec un soupir, préférant attendre un peu avant de retenter.

Elle ferme les yeux un instant, essayant d'apaiser cette sensation inconfortable.

La matinée est rythmée par les allées et venues alternant entre le personnel soignant et celui chargé de l’entretien. Sarah a pu se lever prendre sa première douche qui fut salutaire, et faire quelques pas dans sa chambre après que sa sonde lui a été enlevée. Chaque mouvement lui rappelle la fragilité de son corps, mais aussi la force qu’elle doit retrouver.

Les douleurs vont finir par s’estomper avec le temps.

Dans l'après-midi, son téléphone vibre. C'est Valène, son amie de toujours, qui travaille maintenant en Europe.

— Val ma belle, ça me fait plaisir de t’avoir tu n’as pas idée.

Elles échangent quelques mots, rattrapant le temps perdu malgré la distance. Valène lui parle brièvement de son travail et de son quotidien, mais la conversation prend rapidement un ton plus intime.

Le père de son amie avait lui aussi été touché par un cancer il y a quelques années. Il était un véritable chef de famille, un être doux et profondément bienveillant. 

Il était toujours de bon conseil, sachant doser entre l’autorité et la confiance, un mari et un père merveilleux.

Pourtant, cet homme fort et robuste avait succombé en quelques semaines.

A cet instant Sarah comprend que la mort planait sur elle, agrippant son corps de sa main sombre.

Et comme Joe, elle ne la lâcherait peut-être pas…

Valène, comprenait mieux que quiconque ce que Sarah traversait. 

— Ma sœur, comment tu te sens ? 

— Te dire que je vais bien serait un grand mot, mais je vais me refaire, tu sais bien, je remonte toujours, il le faut…

La voix de Sarah se fit tremblante.

— J’ai peur Val, tu sais, peur que cette fois je n’y arrive pas.

— C’est normal d’avoir peur, répondit Valène. Tu as conscience de tout ce que tu as déjà traversé?

Et s’il t’arrivait quoi que ce soit, il serait trop content,ça lui ferait trop plaisir.

Sarah ne put retenir ses larmes.

Valène sentit la tension et les sanglots dans la voix de son amie.

— Je sais que c’est dur, mais tu n’es pas seule. Ne pleures pas, je suis là, même à distance.

Si je pouvais être à tes côtés, je le ferais sans hésiter.

— Je le sais ma sœur, je sais que je peux compter sur toi. Tu ne m'as jamais laissé. Même ce jour maudit où j’ai dû m'enfuir sans rien, tu étais là. Mais je suis terrorisée à l’idée de ce qui pourrait arriver à Roxy si je n’étais plus là. Qui prendra soin d’elle ? 

— Je te comprends mais ne vois pas le pire. Tu vas t’en sortir, tu vas y arriver encore une fois bon sang ! Je sais que c’est dur, mais tu n’es pas seule. Je suis là, même à distance. Si je pouvais être à tes côtés, je le ferais sans hésiter.

L’émotion était palpable, elle sentit une peur immense l'envahir, une angoisse silencieuse, les mots de Valène étaient comme une prière désespérée pour échapper à l’étreinte de l'ombre qui entourait Sarah. Dans ce moment de vulnérabilité, elle se demanda si elle serait capable de lutter, ou si la mort, et Joe, finirait par l’emporter.

Sarah se laisse, malgré ces idées noires réconforter par les mots de son amie. Valène avait toujours été une présence rassurante, une épaule sur laquelle s'appuyer.

— Je me sens si isolée parfois, Val. La maladie... c’est un combat que je n’avais jamais imaginé. Je ne vais pas pouvoir reprendre mon travail avant des semaines.

— Ta force, c’est de te battre, même quand tu te sens vulnérable. Et tu sais qu'un jour tout ira mieux, le karma rattrapera Joe. Et toi, tu vas t’en sortir. Et quand cette foutue maladie serra derrière, tu pourras enfin envisager de refaire ta vie. Tu mérites qu’un homme bon soit à tes côtés.

— Oui, un homme ! tu parles. Je n’ai plus envie de faire confiance à qui que ce soit. Et pour le moment c’est le cadet de mes soucis. J’ai traversé beaucoup de choses, mais cette fois, c'est différent. Les enjeux sont plus grands, et je crains de ne pas être à la hauteur.

Valène prit une profonde inspiration avant de répondre.

— Chaque jour est une victoire, ma belle. Concentre-toi sur chaque avancée, et je suis là..

— Merci Val, merci d'être là. Je t’embrasse

Et elles raccrochairent.

Sarah reposa son portable.

Elle repensa à toutes ces années où Valène avait été présente pour elle, même de loin, un soutien indéfectible. Elles étaient devenues les sœurs qu’elles n’avaient jamais eu, inséparables. Valène avait quinze ans et Sarah dix-sept quand elles se sont connues. Elles avaient fréquenté le même lycée, et le même garçon, l’une après l’autre bien sûr. 

Ce souvenir les faisait toujours pouffer de rire. Elles étaient jeunes et insouciantes, et ne savaient pas que la vie ne serait pas toujours simple pour elles. Elles se comprenaient sans se parler, tout entre elles coulait de source comme si elles étaient de vraies sœurs.

Tout cela les avait rapprochés au fil du temps.

Un peu plus tard, un autre appel fit résonner la sonnerie de son portable. C’était Macinda, son amie depuis dix ans, depuis l'installation de Sarah à Sequim, sur la côte ouest, à quelques kilomètres de Seattle.

Elle était venue là, croyant pouvoir échapper aux griffes de son bourreau. 

Pensant que : “ la misère serait moins pénible au soleil”, comme l’avait chanté ce Français au Madison Square Garden.

Mais il n’en était rien…

Le simple son de la voix de son amie, lui apporte un réconfort familier. Macinda est pleine d'entrain, rigolote, toujours de bon conseil. Un soutien, un pilier. Une amie aussi précieuse que Valène, même si elles n'étaient pas amies d'enfance.

— Tu te souviens de notre premier café ensemble ? Tu avais l'air si perdue, et maintenant regarde-toi, tu es une battante! plaisante-t-elle.

Entre deux éclats de rire, Macinda mentionne sa propre nuit de travail. Elle est infirmière de nuit dans un autre hôpital de Seattle, habituée aux urgences et aux nuits sans sommeil.

— J’ai eu un patient hier soir qui m’a rappelé pourquoi j’aime mon métier. C’est fou comme certaines rencontres peuvent te marquer.

Sarah sourit à travers le téléphone, reconnaissante d’avoir une amie aussi dévouée et passionnée.

La lumière de fin d'après-midi adoucit l'atmosphère de la chambre.

Leur conversation se prolongea un peu, jusqu’à ce que Macinda doive filer se reposer avant sa prochaine garde. Elle resta un instant songeuse après avoir raccroché, réalisant à quel point les peu de famille qui lui restait, et ces amitiés étaient précieuses dans son combat.

Un mélange de fatigue et de pensées entremêlées lui serre la poitrine. Son regard glisse sur la table de chevet, où son carnet repose, fidèle témoin de ses tourments et de ses espoirs.

On frappa à la porte de la chambre. Roxy, sa fille, étudiante en droit à l'université de Seattle, fit son entrée avec une discrétion respectueuse.

Sarah, bien que visiblement affaiblie, afficha un sourire; soucieuse de préserver son apparence face à sa fille. Elle voulait lui épargner l'étendue de ses souffrances et les incertitudes qui l'assaillaient quant à l'évolution de son état. Elle laissait ce rôle à ses amies.

— Comment te sens-tu, maman ? 

— Ça va… mieux qu’hier. Mais ne t’inquiète pas, tout ira bien. Tu sais que ta mère est une battante, je vais m’en sortir.

En tout cas, Sarah l’espérait. 

Elle n’avait pas immédiatement informé sa cadette de sa maladie. Elle avait attendu d’avoir une date d’intervention avant de lui en parler, soucieuse de ne pas perturber le cours de ses études. Elle était toujours à ses côtés, même si sa vie était à Seattle maintenant. Elle ne s’était pas laissée embarquer dans les mensonges de son père et avait vu clair dans son jeu, peut-être même avant tout le monde. Roxy avait grandi vite, trop vite, et avait une maturité qui lui posait parfois problème dans ses relations amicales. S’était devenu une jeune femme avant l’heure, avec une idée bien précise de ce qu’elle voulait dans sa vie.

Elles échangèrent quelques mots, abordant des sujets légers, Sarah tenait à préserver une atmosphère apaisante. Puis, consciente des obligations académiques de sa fille, elle la laissa repartir, l’encourageant à se concentrer sur ses examens à venir.

Sarah se reposa toute la fin d'après-midi.

Il était déjà vingt heures quand l’infirmière de jour réapparut pour lui administrer une nouvelle dose d’anti-douleur pour la nuit.

Après cette brève visite, elle reprit son carnet et jeta un coup d’œil par la fenêtre. Les va et vient des ambulances s’étaient calmés en cette fin de journée, et la nuit était tombée, laissant Sarah avec ses pensées. Elle l’effleura du bout des doigts avant de l’ouvrir, laissant l’encre fixer ce que les mots, parfois, peinent à exprimer.

La crémaillère…

La soirée s’était étirée jusqu’aux confins de la nuit, portée par une insouciance fragile, presque oubliée. Comme c’était bon de se retrouver avec ses amis. Les grillades qu’avait géré comme un chef le nouveau compagnon d’Erine, avaient eu un vif succès. Tout le monde riait avec légèreté, une merveilleuse soirée pour cette nouvelle vie.

Dans l’élan du moment, Sarah avait saisi sa guitare, effleurant quelques accords sous les regards amusés de ses convives. Ceux qui la côtoyaient depuis l’adolescence comme Valène, l’avaient connue chanteuse dans un petit groupe de rock qu’elle avait formé avec quelques amis. Leur succès resta très local, ils reprenaient les titres de leurs groupes préférés, Kansas, U2, Toto, et quelques morceaux de Bob Dylan.

Tous ces groupes des seventies que Sarah adorait. Mais ils  avaient aussi composé un ou deux morceaux. Dans l’enthousiasme du moment, ils étaient persuadés qu’ils  deviendraient des stars un jour.

Joe l’avait observée un instant, un sourire en coin, avant de déclarer : 

— Attends-moi, je vais chercher la mienne. Il s’était éclipsé, la laissant suspendue à cette promesse.

Allait-il revenir ? 

Puis, à peine quelques minutes plus tard, il était réapparu, guitare en main, le regard pétillant d’une lueur indéchiffrable.

Leurs accords s’étaient croisés, leurs mélodies entremêlées, comme si elles s’étaient toujours cherchées. Ils chantaient tous les deux, Joe avait une belle voix, les autres les accompagnaient, mais elle était happée par lui, les autres n’existaient plus, portés par cette harmonie inattendue, ce moment était comme suspendu hors du temps.

La nuit s’était effacée, cédant la place à la pâleur de l’aube. Les rires s’étaient peu à peu adoucis, les voix feutrées s’étaient mêlées à la brise tiède. Peu à peu, les invités s’étaient éclipsés, les abandonnant à la quiétude d’un jardin en désordre. Joe avait aidé Sarah à ramasser les derniers verres, à redonner un semblant d’ordre à ce décor imprégné des vestiges de leur insouciance. Le jour pointait déjà à l’horizon lorsqu’ils s’étaient assis, un dernier café entre les mains. Les premières lueurs effleuraient son visage, et elle aurait voulu retenir cet instant, le figer, le garder un peu plus longtemps. Puis il s’était levé. Joe est reparti comme il était venu. Elle l’a regardé s’éloigner, sa silhouette se fondant dans les premières lueurs de ce nouveau jour..

Sarah était restée là, troublée. Troublée,et impatiente de le revoir, elle n’en avait pas eu assez. 

Il avait su faire. Avec ses yeux verts, son sourire charmeur et ses notes de musique:

Comme un bonbon acidulé, irrésistible au premier regard… Mais qui, une fois en bouche, arrache plus qu’il ne régale.

Après le départ de Joe Sarah prit une bonne douche, et s’allongea en peignoir sur son lit. Elle était épuisée, mais son esprit n’arrivait pas à s’apaiser.

Elle scruta les étoiles par la fenêtre de toit. Fragiles, et lointaines, elles scintillaient encore, dans le ciel teinté des premières lueurs d’un matin d’été à Long Island. Elles s'effaçaient lentement à mesure que l'aube se levait, une lueur douce commençait à dessiner les contours du monde autour d’elle.

Joe.

Ce nom résonnait dans sa tête, lourd de tout ce qu’il représentait.

Un frisson parcourut sa peau encore humide sous le peignoir, elle remonta sur elle le drap. Elle ferma les yeux un instant, mais son visage se dessinait avec clarté, comme une ombre persistante.

Ce matin-là, elle regarda les étoiles disparaître une à une, comme si la nuit elle-même se retirait pour faire place à la lumière. Peut-être qu’il en serait de même pour elle ici et maintenant, ou du moins elle l’espérait. Le souvenir de l’aube, dans son silence, semblait lui offrir une chance de se réinventer et guérir de ces maladies.

Le passé s'éclipsa, tout doucement, et elle se laissa emporter par le sommeil, sa douleur s’était calmée avec les antalgiques que lui avait administré l’infirmière. Elle ferma les yeux, le souffle plus calme, une pensée persistante se faufilant dans son esprit : 

“et maintenant  ?”

Mais la vérité restait la même, elle ne pourrait jamais effacer tout ce qu’il avait laissé derrière lui.

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