Troisième ingrédient : les personnages

10 minutes de lecture

Voici un ingrédient crucial ! On peut raconter une bonne histoire sans avoir d’idée absolument géniale et novatrice, sans exceller au style, sans maîtriser parfaitement le rythme et même en laissant passer quelques incohérences. S’il aime votre histoire, le lecteur se montrera indulgent et fermera les yeux sur quelques défauts, voire même ne les remarquera pas. Mais si vos personnages sont mal soignés, s’ils n’inspirent ni empathie, ni dégoût, ni haine… c’est toute votre histoire qui tombe à l’eau.

Et c’est normal. Sans personnage, il n’y a pas d’histoire à raconter. On peut décrire un magnifique coucher de soleil et puis… et puis rien. Ce n’est pas une histoire, nul ne veut connaître la suite.

Les personnages peuplent votre récit, lui donnent de la vie et un caractère particulier. C’est à eux que l’on s’attache, que l’on s’identifie, c’est pour eux que l’on frémit, c’est d’eux que l’on tombe amoureux, c’est eux que l’on déteste… c’est à travers eux que l’on vit l’histoire. Et si ces personnages ne créent pas l’émotion, ne prennent que des décisions absurdes, contredisent la nature que vous leur avez primitivement établie, le récit perd tout son sel.

Il est donc primordial de leur accorder un soin tout particulier. Ils doivent être écrits en amont de l’histoire, en fait, chacun d’eux a sa propre histoire. Posez-vous la question pour vous-même : qu’est-ce qui fait que vous êtes qui vous êtes ? Votre passé, vos expériences, votre origine culturelle et sociale, votre physique, vos succès et vos échecs, tout cela conditionne vos réactions d’aujourd’hui et façonne vos objectifs pour demain, et pas seulement un pseudo-caractère dont vous auriez hérité à la naissance. Si le grand méchant de votre histoire est méchant parce qu’il est né méchant et a simplement décidé de le rester, ça manque tout de même un peu de relief, vous ne trouvez pas ? Et s’il n’y a pas de méchant, mais juste un antagoniste, est-il lui aussi né antagoniste ? Bref, c’est un peu pauvre et ça ne peut déboucher que sur une histoire pauvre. Ne jamais se lancer dans un récit sans être déjà un minimum familier de ses personnages. Et plus on l’est, mieux c’est.

Pire ! car bien plus complexe, votre histoire est le produit des rencontres de vos personnages et des étincelles qu’elles produisent. C’est encore une fois un travail délicat, mais veillez à soigner vos combinaisons de personnages. Bien sûr, pas de panique, vos personnages vont vivre par eux-mêmes. Et si tel est le cas, c’est sans doute le signe que vous avez plutôt bien fait votre boulot, car, bien construite, leur personnalité va ressortir et orienter votre trame parfois de manière inattendue. Mais si vous vous lancez dans une histoire, c’est qu’à un moment donné, vous avez imaginé un conflit, une opposition, et souvent cela implique divers individus. Vous devez donc savamment préparer ces personnages de manière à créer le conflit le plus intéressant ou le plus intense possible.

Sans même parler des conflits, certains personnages fonctionneront bien ensemble, créeront leur propre alchimie. Il est intéressant d’expérimenter les associations et de découvrir les bonnes dynamiques qu’elles peuvent créer, comme un Sherlock et un Watson, comme un Rocket et un Groot, comme un Fitz, un Œil de Nuit et un Burrich… Souvent, ces relations particulières surviennent un peu par hasard, un peu comme un effet secondaire. Veillez à les cultiver, dans ce cas, et prenez-en soin. Maintenant, il y a des recettes connues, comme les couples d’opposés ou le chef, le fidèle et le trublion. À vous de vous montrer subtil pour exploiter les harmonies de personnages.

Enfin, faites parler vos personnages. Ils doivent interagir après tout, ainsi que je viens de l’évoquer, et il se trouve qu’on a inventé un truc bien pratique pour ça : le langage.

J’ai parfois l’impression que certains auteurs ont peur de se lancer dans des dialogues. C’est compréhensible, je crois que c’est l’un des exercices les plus ardus de l’écriture. Produire des dialogues qui sonnent juste, des conversations intéressantes, créer de la vérité, de la crédibilité n’est vraiment pas évident. On peut avoir l’impression que ça sonne faux, que les ficelles qui agitent nos personnages sont trop visibles. Mais éviter l’écueil n’arrange rien. Il faut s’exercer, rectifier, refondre si ça ne fonctionne pas, mais il faut fignoler de bons dialogues. Bon sang, vous êtes censés être des spécialistes de la langue, non ? Alors utilisez-la, et n’ayez pas peur de les énoncer à voix haute pour tester leur justesse.

Il se trouve que les dialogues, en plus, font partie des morceaux les plus savoureux d’une histoire. Quel plaisir d’assister à un bon échange verbal ! Il y a des récits qui tournent essentiellement autour de cet exercice. Si l’on prend les films de Tarantino, ils sont émaillés de somptueux dialogues et, parfois, on devine presque que le film entier n’est qu’un prétexte pour nous les servir comme un mets délicat.

En outre, la parole est un excellent moyen de façonner vos personnages. Ce qu’ils disent, la façon dont ils le disent, le vocabulaire employé, les réactions qu’ils ont face aux autres… tout cela en dit long sur eux et contribue à les faire connaître au lecteur. Nous-mêmes, nous ne faisons connaissance qu’à partir du moment où l’on discute.

Et j’ajouterai également que, contrairement à une description, lors d’un dialogue, le temps de la narration est égal au temps de la fiction. En fait, un dialogue, c’est en quelque sorte une scène d’action. On ne s’ennuie pas. C’est immédiat, ça lasse beaucoup moins vite qu’un portrait. Et puis je pense que le lecteur préfère découvrir le personnage à travers ses actes et ses paroles, se forger son propre avis, que de lire l’opinion de l’auteur et de devoir s’en accommoder, quitte à finir par ne pas être d’accord.

La position de Laurent

Ainsi que m’en a fait part l’ami Joe, un jour que je lui confiais que j’aimais mes personnages, cet amour est nécessaire si l’on veut écrire une bonne histoire. Il faut vivre à travers eux, pouvoir se mettre à leur place, pour les faire réagir adéquatement, pour les rendre tangibles et rester fidèle à leur nature. Ça ne veut bien sûr pas dire qu’ils ne peuvent pas évoluer, changer, au contraire, mais le processus doit se justifier et suivre un cheminement naturel.

Encore une fois, cela ne doit pas être une contrainte ni un frein. Un jour, discutant avec un autre ami auteur, il m’expliquait avoir lu qu’il fallait parfois savoir contredire l’essence du personnage pour qu’il soit authentique. Même si tout semble indiquer qu’il prendra à gauche, lui faire prendre à droite sur un coup de tête. En effet, nous sommes tous susceptibles de craquer, de commettre une erreur, d’agir de façon imprévisible, de surprendre. Ceci doit néanmoins rester exceptionnel, sous peine de perdre en crédibilité. Traiter un personnage présenté comme honnête et probe, mais passer son temps à lui faire commettre des sales coups tuera à coup sûr la vraisemblance de votre histoire.

Alors, en fin de compte, comment est-ce que je procède ? Eh bien je commence par jeter mes idées sur le papier, comme pour les idées. D’ailleurs, certains personnages, certaines combinaisons de personnages ou interactions de personnages figurent parmi ces idées. Cette étape peut se faire en même temps que la première ébauche de votre histoire et peut aider à incorporer au sein du casting des caractéristiques nécessaires au récit. Si vous avez besoin d’une trahison, quoi de mieux que d’incorporer un traître à la distribution (et de justifier la traîtrise de ce personnage).

Après ce premier croquis, j’écris un bref historique pour chacun de mes personnages principaux, pour tous ceux que j’estime nécessaires et dont je vais devoir traiter, même partiellement, la psychologie. Je n’utiliserai peut-être qu’un petit fragment de cette préparation au final, mais elle va m’aider à me sentir plus à l’aise avec mes protagonistes et à mieux justifier leurs attitudes. Bien sûr, la longueur de cet historique peut grandement varier, en fonction de l’importance du personnage dans l’intrigue, de son âge, de ses accomplissements…

Il n’est pas nécessaire de trop détailler, il s’agit surtout de cerner une personnalité, un tempérament, éventuellement des aspirations, les lignes directrices de sa conduite.

Voici un exemple :

-Le roi Aldric Thorn (44 ans) : il n’est pas né prince, mais bâtard et ce sont ses vassaux qui l’ont mis sur le trône, ce qui suffit à comprendre dans quelle estime ils le tiennent. Homme de valeur et défenseur des anciennes traditions, il n’a pas choisi de régner mais s’acquitte de ses responsabilités avec tout le dévouement dont il est capable. La vie ne l’a pas épargné malgré tout, la perte de ses père et frère en ont fait un très jeune roi déjà confronté à une guerre, des événements qui l’ont poussé à épouser une autre femme que celle qu’il aimait. Plus récemment, il a laissé son fils héritier partir pour une croisade dont il n’est pas revenu et son épouse, qui le tient pour responsable, ne vit plus à la cour mais dans la demeure de son père avec leur fille. Lui-même est plus amer et austère qu’autrefois et se laisse parfois ronger par le remord.

J’aurais pu ajouter des détails, comme qui était celle qu’il aimait vraiment, pourquoi, ce qu’il lui est arrivé, ses victoires et défaites pendant la guerre… Mais il s’agit d’un personnage de l’Empire de la Nuit, une vaste saga, et mon travail de préparation m’avait déjà fait raconter guerres et croisades dans le détail, et notamment la mort de la demoiselle aimée, lors de l’élaboration du background.

Par contre, toujours dans l’Empire, j’ai des personnages nosferatus, des mortels devenus immortels. Ces personnages-là ont souvent eu un historique bien plus long. D’une part, leur vie a été plus longue et donc plus remplie (et c’est toujours intéressant de connaître leurs sentiments et opinions au sujet des événements historiques traversés), mais en plus je devais raconter une vie mortelle et une autre, immortelle, les pourquoi, les comment, les changements qui s’étaient opérés depuis lors dans leur personnalité, leur nouveau statut… Bref, ceci donne un aperçu assez clair de la démarche.

Sinon, au risque de passer pour un sadique fini, une sorte de psychopathe littéraire, moi ce que j’aime ce sont les personnages qui meurent. C’est l’un des grands atouts des récits aux multiples narrateurs, il n’y a pas un héros principal qu’on est certain de retrouver jusque dans les dernières pages. Et ceci accroît considérablement la tension dramatique, surtout si les personnages appréciés sont exposés au danger. Pas besoin de passer tout le casting à la moulinette, bien sûr, pas besoin d’en faire trop et de donner des airs de boucherie à votre histoire. Mais si l’un de vos drames implique la mort d’un personnage, veillez à soigner la chose, un trépas ça se prépare.

Pour un effet optimal, n’hésitez pas à suggérer un avenir au futur défunt, créez-lui des opportunités, des espoirs sur le point d’être comblés et dont le lecteur attendra l’avènement. On ne doit pas sentir que, comme le personnage est sur le point de disparaître, son avenir n’existe déjà plus. L’idéal est également de justifier sa mort, qu’il meure parce qu’il est comme il est. Trop téméraire, par exemple, ou parce qu’il s’est épris de la mauvaise personne… en tout cas, une mort soudaine et sans rapport aucun avec la personnalité du protagoniste laissera une impression d’arbitraire et de gratuité. Et si vous êtes particulièrement retors, n’hésitez pas à le rendre sympathique, le drame n’en sera que plus amer.

Aussi, n’oubliez pas de traiter un minimum l’après. C’est-à-dire qu’on doit sentir également que votre personnage laisse un vide, une place vacante. Il doit manquer aux personnages restants, voire ça peut être une bonne opportunité de les faire évoluer. Un deuil laisse inévitablement des traces.

Enfin, comment faire un bon personnage, quels sont les critères ?

Tout ça est très subjectif. Je crois qu’en principe, dans la plupart des cas, il s’agit de générer de l’empathie. Votre personnage doit donc être, si possible, profondément humain, avec tout ce que ça implique de défauts et de désirs frustrés de perfection. Une certitude en tous cas : un personnage trop parfait ne déchaînera pas les passions. Ne tentez pas de rendre votre « perso sympa » trop sympa. N’oubliez pas que trop gentil n’est pas loin de naïf. Sauf si bien sûr votre personnage est censé être naïf, mais dans ce cas c’est très bien puisqu’il s’agit d’une faille.

La plupart des gens un tant soit peu critiques exècrent également les clichés. C’est vrai que si votre personnage ressemble à s’y méprendre à une armée d’autres, campés dans le même genre d’histoires, il va perdre de son aura. Mais le cliché représente également une occasion : la surprise. Ce peut être un bon moyen de détourner subtilement le canevas initial, de taire une partie des facettes du personnage pour ne montrer que l’évidence, ce que tout le monde voit au grand jour, pour révéler ensuite au lecteur son improbable profondeur cachée.

Au final, les personnages qui m’ont mis les plus grosses claques sont une rareté et je pense qu’il est très difficile d’arriver à les produire. Il s’agit de ces personnages que l’on perçoit d’emblée d’une certaine façon, par exemple on les déteste, et ensuite, progressivement, à mesure qu’on les découvre, on comprend pourquoi ils sont comme ils sont, et là c’est le revirement total. Le meilleur exemple qui me vient à l’esprit est le personnage de Jaime Lannister, qui est un chef d’œuvre d’élaboration, de justification et de justesse. Un tel personnage vaut un puissant twist à lui seul.

Pour conclure, je ne ferai que répéter le besoin impératif qu’il y a à soigner cet aspect de votre histoire. À mon sens, c’est l’ingrédient qui distingue le plus les différentes concoctions. Globalement, rien ne ressemble plus à un roman policier qu’un autre roman policier, rien ne ressemble plus à une romance qu’une autre… si ces différentes histoires valent la peine d’être découvertes, si elles finissent par se distinguer les unes des autres, c’est avant tout parce que les personnages qui les peuplent sont différents, y réagissent différemment et finissent par provoquer des situations différentes. Prenez grand soin d’eux.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Laurent Vanderheyden ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0