2.

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Remington se prépara à recevoir de la visite – il attacha ses cheveux bouclés en queue de cheval et il veilla à aérer pendant qu’il faisait le ménage. Puis il attendit Tony. Celui-ci rentra plus tard qu’à l’habitude et lorsqu’il arriva, il était seul.

« Tu ne devais pas me ramener quelqu’un ? l’interrogea-t-il.

  • Si, si… Mon amie attend dehors avec Alpha.
  • Eh bien, fais-le entrer !
  • Ok. »

La tension dans le corps de Tony jaillissait par tous ses pores, mais Rem fit mine de ne rien voir. À force de refuser de rencontrer son entourage, j’ai fini par lui faire honte, se désola celui-ci. Soudain, le border collie arriva en trombe dans la pièce, heureux de voir son second maître. Il vint s’asseoir devant lui pour être débarrasser de son harnais et Rem l’en libéra aussitôt. Lorsqu’il releva la tête, il fit un bond de surprise et sa respiration se coupa. Une femme d’une trentaine d’année venait d’entrer, suivie par Tony qui percevait déjà l’anxiété de son bien-aimé.

« Rem, je te présente Frédérique », fit celui-ci d’une voix douce.

En l’absence de réponse, il comprit que son amant était déjà submergé par ses pensées. La jeune femme était-elle une sorcière ? L’avait-elle manipulé pour l’atteindre ? Étaient-ils en danger ? Tony lisait en lui comme dans un livre ouvert ; il n’y avait rien de difficile à cela, Rem répétait constamment ses craintes.

« Eh bien, dis quelque chose ! ajouta-t-il devant son silence.

  • Qu’est-ce que tu veux que je dise ? le gronda Remington en toisant Frédérique.
  • Bonsoir, pour commencer ?
  • Au revoir serait plus approprié, grommela-t-il en croisant les bras, le cœur battant à tout rompre.
  • Elle sait déjà tout à ton sujet, avoua Tony. Elle a besoin de ton aide
  • Tu m’as menti. Tu as dit que ton ami s’appelait Fred. Tu as parlé de sa compagne. Tu m’as volontairement induit en erreur !
  • Tu veux vraiment qu’on se dispute maintenant ? »

Tony s’approcha et posa une main contre son torse – Rem était tendu, même s’il essayait de ne rien laisser paraître. Il se sentit désolé de lui infliger une telle souffrance, mais il était décidé à le faire sortir de sa coquille. Et il connaissait Fred depuis toujours, elle n’était pas une sorcière. Sa main remonta sur sa joue puis il lui chuchota :

« Je suis désolé de t’avoir menti. Je te promets que je me ferai pardonner.

  • Je ne veux pas l’aider, répondit-il en attrapant son poignet. Fais-la sortir d’ici !
  • Ne laisse pas ta peur te commander, s’il te plaît !
  • Ma peur a sa raison d’être ! le gronda-t-il. Est-ce que tu crois que tout ce que je t’ai dit est faux ? Les sorcières sont d’ignobles femmes pleines de ruses !
  • Réfléchis deux minutes ! Si c’était une sorcière, elle n’aurait pas besoin de toi contre cette chose.
  • Pourquoi faut-il que tu sois si insouciant ? pesta-t-il en serrant les poings. Est-ce que tu veux perdre tout ce qu’on a ?
  • Aide-la ! l’exhorta Tony qui pensait que tenir bon l’obligerait à céder.
  • Tu n’as jamais cru à tout ça, avoue-le !
  • Bien sûr que si, mais écoute-moi ! se radoucit-il. Je te demande de me faire confiance. Tu ne crains rien avec elle. »

Les yeux verts de Rem glissèrent d’un trait sur la femme. Elle n’avait pas bougé, les bras serrés contre son corps frêle et le regard fuyant. Ses longs cheveux roux ne suffisaient pas à masquer son inquiétude. Certes, elle n’avait pas l’assurance d’une sorcière. Mais peut-être attendait-elle de le voir à l’œuvre avant d’agir ?

« Fred, explique-lui ce qui se passe », l’encouragea Tony.

Elle fit quelques pas timides dans leur direction, puis tira nerveusement sur sa veste en jean avant de dire :

« Ça a commencé après que j’ai essayé de communiquer avec ma femme. Elle est décédée il y a deux mois d’un cancer. J’avais l’impression de ressentir sa présence autour de moi, alors je me suis dit que je ne perdais rien à essayer. Un peu après notre premier contact, j’ai cru la voir derrière moi ou dans les reflets des miroirs. Et puis, il me semblait même la sentir me toucher et… là, c’est devenu effrayant. Maintenant quand je dors, je me sens comme si on essayait de m’étouffer. J’ai même cru voir… quelque chose une fois au réveil. »

Au fur et à mesure qu’elle avançait dans son explication, le corps de Rem se raidit. Son regard passa brièvement sur Tony qui avait glissé sa main dans la sienne.

« Je ne peux pas vous aider, déclara-t-il.

  • Remington-
  • Un esprit ne fait pas ce genre de chose, Tony ! En général, on ne les remarque même pas. Oublie les films et leurs clichés du mauvais esprit ! Il est très rare, vraiment très rare qu’ils restent après leur mort. Lorsque c’est le cas, il s’accroche à une personne, un objet ou un lieu et finissent par dégénérer avant de disparaître après plusieurs années. Ils ne font pas tout ça ! Ça n’aurait pas d’intérêt !
  • Alors, qu’est-ce que c’est ? l’interrogea Frédérique, une lueur inquiète dans le regard.
  • Quelque chose à laquelle je ne veux pas me mesurer. »

Il n’y avait qu’une seule chose qui lui faisait plus peur que les sorcières : les démons. Rem en avait enduré un pendant dix ans et la seule évocation de ces êtres le faisait se fermer comme une huitre.

« Tes talismans ne pourraient pas l’éloigner ? demanda Tony en caressant sa paume.

  • De… De quoi on parle ? bégaya Fred.
  • Un démon. Je doute que l’éloigner soit suffisant. Ils ont l’éternité devant eux et sont des êtres patients. Il vous suffirait de manquer de prudence juste une fois pour qu’il s’en prenne à vous.
  • Alors, qu’est-ce qu’on peut faire ? ajouta Tony.
  • Moi je ne ferai rien. Tu sais pourquoi.
  • Tu crois que ça pourrait être tu-sais-qui ?
  • Non.
  • Alors de quoi tu as peur ? Tu sais comment la débarrasser de cette chose ou pas ? » insista-t-il sur un ton ferme.

Rem avait compris qu’il ne le lâcherait pas tant qu’il n’aurait pas aidé son amie. Il était le seul à pouvoir le faire, mais le risque était grand. Affronter un démon, c’était risquer qu’un autre le retrouve. Voyant qu’il ne répondait rien, Tony poursuivit plus bas :

« Tu as déjà eu la force de t’opposer à l’un d’eux. Pourquoi c’est différent maintenant ?

  • J’ai fui, lui rappela-t-il. Ce n’est pas ce que j’appelle s’opposer.
  • Il fallait du courage pour le faire.
  • Oui, eh bien, ma vie était en jeu !
  • Et aujourd’hui, c’est celle de Fred. Sauf qu’elle ne sait pas comment se défendre. »

L’idée de la laisser à son sort traversa l’esprit de Rem, néanmoins Frédérique ne l’avait pas attaqué et son air terrorisé lui paraissait sincère. Et Tony la connaissait depuis longtemps. Rien n’indiquait qu’elle était une sorcière et celles-ci étaient habituellement les fidèles servantes des démons. Si chaque muscle de son corps restait tendu, le jeune homme finit par laisser son empathie le submerger.

« Il faut… un grand miroir, dit-il en prenant une profonde inspiration, on a qu’à prendre celui de l’entrée.

  • Pourquoi un miroir ? l’interrogea Fred en s’avançant d’un pas.
  • Ils reflètent la vérité, rien ni personne ne peut cacher ce qu’il est face à eux. C’est pour ça que vous avez cru y voir quelque chose. Ce qui n’était pas visible pour vos yeux l’était dans votre miroir. Et ce sont aussi des portes.
  • Donc ces choses peuvent entrer dans notre monde via les miroirs ?
  • Non, sinon ils seraient bien plus nombreux. Il leur est difficile de venir jusqu’à nous.
  • Mais, qu’est-ce qu’il me veut ? Me posséder ?
  • Non, les possessions sont extrêmement rares. En revanche, ils peuvent vous pousser au suicide ou au meurtre, ou à faire tout un tas de chose dont vous ne seriez pas capable seule. Ils vous fatiguent puis vous influencent. Ça dépend des personnes, certaines sont plus résistantes. Mais il leur suffit d’une faille, un traumatisme émotionnel comme la perte d’un proche par exemple. Dès qu’ils vous sentent vulnérables. Et là, ils ne vous lâchent plus.
  • Il te faut autre chose ? s’enquit Tony.
  • Oui, descendons à la cave. »

Rem passa devant puis attrapa sa main pour l’aider à descendre les escaliers. Il se dirigea ensuite vers ses étagères et commença à disposer sur la table plusieurs ingrédients. Un peu plus loin, Frédérique découvrait la pièce, les yeux ronds ; les rangées garnies jusqu’au plafond de récipients lui firent l’effet d’une caverne d’ermite. Toutefois, voir toutes ces choses la rassura sur ce qu’était Remington. Tony le lui avait présenté comme étant un « as dans le domaine des esprits » et elle s’était attendue à voir une boule de cristal et des bougies dans chaque coin de la pièce. Et lorsqu’il avait utilisé le mot « sorcier », elle s’était montrée sceptique. Ces choses-là n’existaient que dans les contes et les films, n’est-ce pas ?

« Vous… vous allez faire quoi ? demanda-t-elle en s’approchant de la table. Un sortilège pour le tuer ?

  • Non, je suis un bien piètre lanceur de sort, répondit-il en ignorant son regard, et on ne peut pas les tuer. Je vais fabriquer des talismans, quatre pour chez vous et un que vous porterez.
  • Et le miroir alors ?
  • Une fois chassé de chez vous, il attendra aussi patient qu’un chat qui guette une souris. Donc il va falloir le piéger à l’intérieur du miroir pour le renvoyer d’où il vient.
  • Il n’ira pas dans ce miroir de son plein gré, n’est-ce pas ?
  • Non, bien sûr. Ce serait nous facilité la tâche. Je vais graver des runes dessus qui vont l’attirer, ce sera comme un aimant pour lui. Mais c’est vous qui allez devoir l’y conduire.
  • C-Comment je fais ça ? fit-elle avec crainte.
  • Après avoir placé les talismans chez vous, vous reviendrez ici.
  • C’est tout ?
  • Eh bien, le démon sera en colère, il se pourrait que vous ayez des visions mais… il ne peut pas s’en prendre à vous physiquement. Et le talisman vous protégera. Comme il s’est lié à vous et qu’il n’aura plus accès à votre logement, il vous suivra. »

Sur cinq carrés de tissu de différentes couleurs, Rem déposa un morceau de bois de sorbier, de l’argile rouge et de la cendre de sauge noire ainsi qu’un clou de fer noirci. Il plaça ensuite un os dans un mortier qu’il broya avant de l’ajouter par-dessus les autres ingrédients.

« Dîtes, comment ça marche ? Ça sert à quoi tout ça ? l’interrogea la rousse qui l’avait observé avec attention.

  • Tout est question de symbole. Plus il est fort, mieux ça fonctionne.
  • En quoi est-ce différent de jeter un sort ?
  • Le sort vient de la personne. Mais dans la création de talisman ou d’élixir, la magie vient des éléments eux-mêmes. Ici nous avons du bois de sorbier, de l’argile rouge et un os de chien pour la protection, la cendre purifie et le clou est là pour fixer le tout. Aucun sort ne pourra rompre l’enchantement du talisman, il faudrait le désassembler pour le rendre inactif. »

Il plongea plusieurs fils de lin rouge dans un mélange de sel et de myrrhe puis ajouta :

« Il vous faudra placer chaque talisman dans un mur. J’ai pris des tissus de couleur différente pour ne pas que vous vous trompiez. Chacun devra être à la bonne place, sinon ils seront moins efficaces. »

Il tira le carré de tissu bleu vers lui et tandis qu’il y ajoutait du cristal de roche, du sel gemme et de la racine de valériane, il lui indiqua :

« Le bleu devra être positionné au nord. »

Il en ramena ensuite un autre devant lui et y joignit une plume de geai, de l’écorce de bouleau et de l’encens d’oliban.

« Le vert, à l’est. »

Le troisième fut garni de charbon de bois sacré, de quartz fumé et de quelques baies de genévrier.

« Le rouge, au sud. »

Coquille d’escargot, sel marin, millepertuis noir et armoise comblèrent le dernier.

« Et le marron, à l’ouest. Vous devriez le noter pour ne pas oublier », lança Remington à Frédérique qui se jeta sur son téléphone.

Chaque sachet fut refermé avec le fil de lin rouge, puis il les lui tendit.

« Et celui que je dois porter, vous ne lui ajoutez rien de spécial ? demanda-t-elle.

  • Non, ce n’est pas nécessaire.
  • Est-ce que je devrais le garder sur moi toute ma vie ?
  • Le plus longtemps possible, par sûreté. »

La jeune femme se sentit bien démunie, armée des pochettes en tissu et de la promesse de leurs contenues. Une part d’elle restait sceptique, mais l’autre lui disait que ce qu’elle vivait depuis plusieurs semaines n’était pas naturel. Que risquait-elle à faire ce qu’il lui disait ?

« Ne vous en faites pas, vous ne risquez rien, la réconforta Rem en voyant la peur passer dans son regard.

  • D’accord. Alors, je rentre, je place les talismans et je reviens ici, c’est ça ?
  • Oui, en attendant, je vais graver des runes sur le miroir. »

Frédérique hésita un instant, la peur de se retrouver nez à nez face à cette chose la terrifiait, protégée ou non par un talisman. Mais elle s’était mise dans cette situation seule et renoncer maintenant aurait anéanti les efforts de Tony et Remington. Elle ne pouvait pas se dégonfler maintenant.

« Bien, alors, j’y vais ! Vous serez prêt à mon retour, hein ? »

Rem acquiesça d’un signe de tête puis elle remonta les escaliers. Dès qu’ils entendirent la porte claquer derrière elle, Tony s’inquiéta :

« Tu crois que ça va aller pour elle ?

  • Ouais, il ne pourra rien lui faire.
  • Et toi, ça va ?
  • Tony… Un démon… Si je voulais qu’il me retrouve, je n’aurais pas fait mieux.
  • Tu t’inquiètes trop.
  • Et toi, pas assez. »

Rem retourna à l’étage, attrapa un couteau et commença à entailler l’encadrement du miroir.

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