5.

5 minutes de lecture

Tony était couché depuis un moment et attendait que son amant le rejoigne. Il voulait être certain qu’il allait bien. Mais Rem ne semblait pas vouloir venir, alors il se releva et descendit directement à la cave. Il ne pouvait qu’être là. En bas des escaliers, il entendit qu’on déplaçait des objets.

« Tu viens te coucher ? »

Sa question resta sans réponse. Rem poursuivit son assemblage sans même lui accorder un regard.

« Qu’est-ce que tu fais ? » insista Tony en avançant dans la direction du bruit.

Lorsqu’il trouva la table au bout de ses doigts, il la suivit jusqu’à sentir son bien-aimé proche de lui. Là, il glissa un bras autour de sa taille et le serra.

« Tu vas bien ?

  • Je sais que tu l’as entendu.
  • Isdarmelda ? Est-ce que tu veux en parler ?
  • C’est le nom que Varnith m’a donné après m’avoir amené en Enfer. Il signifie « celui qui appartient à Aspharoth ». C’est un de ses titres. Il n’y a pas vraiment d’équivalent dans notre langue, mais ça veut dire quelque chose comme « l’étouffeur d’âme ». Il en a beaucoup, mais il est particulièrement fier de celui-ci.
  • Tu crois qu’il va venir te chercher ?
  • Lui ? rit nerveusement Rem. Pourquoi devrait-il lever le petit doigt pour m’atteindre alors que des dizaines de sorcières sont prêtes à tout pour se voir accorder ses faveurs ? Il a plus d’une corde à son arc, mais la chasse ne l’intéresse pas. En revanche, laisser la proie s’épuiser et attendre qu’elle abandonne, ça, ça le fait marrer.
  • Tu crois qu’il ne te laissera jamais tranquille ? Qu’est-ce qu’il te veut ? C’est à cause de ce qu’a fait ta mère ? »

Rem posa sa main sur la sienne et la caressa soucieusement. Il avait tant espéré que son passé ne le rattraperait jamais sans vraiment y croire. Au fond, il avait toujours su qu’il ne pourrait y échapper. Mais aujourd’hui, il n’était plus seul. Et y mêler Tony le terrorisait. Il doutait de parvenir à le protéger.

« En partie. C’est à cause de ce contrat qu’il a pu me retrouver après que je me sois enfui et me trainer en Enfer. C’était ma punition. Ma mère a toujours pensé que je serai un être exceptionnel. Bien sûr, je suis son fils, comment aurait-il pu en être autrement ? Elle croyait que je serais plus puissant que n’importe quelle sorcière, et que de ce fait, me lier à un démon m’accorderait davantage de pouvoir. Elle pensait qu’à travers moi s’exécuterait la volonté de Varnith et qu’elle en serait récompensée.

  • À travers toi ? S’il… te possédait ?
  • Oui. Pendant les dix ans que j’ai passé en Enfer, il a essayé de me façonner à son image. Accepter ce qu’il me demandait, c’était devenir comme lui. Et la possession aurait été plus facile. Si je venais à partager sa façon de penser, alors j’aurais arrêté de me débattre. J’aurais même pris plaisir à le voir agir. Il aurait pu rejoindre notre monde et alors…
  • Mais tu t’es enfui ! le rassura Tony.
  • Tu ne comprends pas, fit-il, la gorge serrée. Je n’ai fait que repousser l’échéance. Je me suis dit que je pouvais vivre sans y penser. Mais il finira par m’avoir, il ne cessera jamais de me vouloir. Je l’ai humilié lorsque je lui ai échappé, et il me le fera payer ! J’ai peur qu’il s’en prenne à toi. »

Une larme glissa le long de sa joue, la première depuis leur rencontre. Une autre suivit, mais Rem s’interdit d’émettre le moindre bruit. Tony ne devait pas savoir qu’il pleurait. Ce dernier le serra dans ses bras ; il n’avait pas besoin de ses yeux pour comprendre. Il le connaissait, peut-être même plus que lui-même.

« Rem, dit-il d’une voix douce, il ne me fait pas peur. Et tu ne seras pas seul contre lui. Tu lui donnes trop d’importance. Ici, il ne peut pas t’atteindre, tu l’as dit toi-même.

  • Il enverra ses fidèles.
  • Tes talismans nous protègent, non ?
  • Ils ne sont pas infaillibles.
  • Les sorcières non plus. Tu sauras nous protéger, j’ai confiance en toi.
  • Eh bien pas moi ! Je ne peux pas lutter ! Entre celles pour qui je suis une abomination et qui veulent ma mort et celles qui voudront s’attirer les faveurs de Varnith-
  • On y arrivera, le coupa Tony. Ensemble. Dès demain, toi et moi, on trouvera des moyens de se défendre. Tu crois que je laisserais ce démon ou quelqu’un d’autre t’arracher à moi ?
  • C’est peine perdue.
  • Non, sauf si tu abandonnes. Est-ce que c’est ce que tu veux ? »

Tony avait-il toujours eu cette force ? Rem savait que non. Mais sa détermination le revigora et il se sentit durant quelques précieuses secondes, parfaitement capable d’affronter Varnith ou ses sorcières. Il refusait de décevoir son amant alors que celui-ci ne doutait jamais de lui.

« Non. Je veux qu’il me foute la paix.

  • Bien, je préfère ça ! Mais pour le moment, on a tous les deux besoin de dormir, alors au lit !
  • Je peux peut-être finir mon talisman avant ?
  • Non, ça attendra.
  • D’accord, fit Rem en lui emboitant le pas. Tony… Merci.
  • Je ne résiste pas à tes boucles brunes, tu le sais bien !
  • Je suis sérieux ! Je sais que je ne suis pas facile à vivre, pourtant tu es toujours prêt à me venir en aide.
  • Parce que je t’aime, gros nigaud ! Et je ne suis pas parfait non plus. J’ai mes failles moi aussi.
  • Tu ne les montres jamais.
  • Parce qu’aujourd’hui, je ne les laisse plus m’atteindre. Si tu m’avais connu quand je suis devenu aveugle, tu m’aurais trouvé bien différent.
  • Mais tu étais ado. C’est normal à cet âge de se sentir submergé. Moi, j’ai vingt-sept ans, et je n’arrive à faire face à rien.
  • Ce n’est pas une question d’âge. C’est une question de capacité, de vécu, de comment tu es entouré. Ma mère n’a jamais voulu me laisser me morfondre, elle m’a obligée à voir une psy qui m’a aidé à faire le deuil de ma vision. Mais il m’a fallu deux ans pour y arriver. Et encore… à cette époque, j’avais seulement accepté que ma vie ne prenait pas fin avec la perte de ma vue. Aujourd’hui, je me sens bien, je me sens à l’aise, voyant ou non-voyant, ça n’a plus d’importance. Ce n’est pas parce que tu m’as connu avec cet état d’esprit qu’il en a toujours été ainsi. »

Une lueur admirative passa dans les yeux de Rem tandis qu’il les posait sur son amant. Et un court instant, il espéra lui ressembler. Comme il serait fier alors, de pouvoir se tenir à ses côtés. Pour l’instant, il se sentait davantage comme un petit garçon à qui il fallait tenir la main.

Non.

Avoir besoin d’aide ne signifiait pas qu’il était un enfant. Contre un démon, tout soutien serait le bienvenue.

Annotations

Vous aimez lire Charlie V. ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0