3.
Une boule de poil descendit en trombe les escaliers et fila droit entre les jambes de Rem. Le petit intru le regarda un instant puis se frotta contre lui comme s’il l’avait toujours connu. Frédérique arriva peu après et resta en bas des marches, gênée de s’introduire ainsi dans l’antre du sorcier.
« Tu n’aurais pas vu McMittens ? J’ai cru le voir se glisser ici », demanda-t-elle.
En guise de réponse, Rem pointa ses pieds du doigt. La rousse s’avança et découvrit le félin en pleine séance de câlins.
« Il a un peu peur des chiens. Je voulais qu’il se dégourdisse les jambes tant qu’Alpha n’est pas là, mais ce petit coquin s’est faufilé jusqu’ici.
- Tant qu’il ne casse rien, ce n’est pas grave, répondit Rem en replongeant le nez dans son carnet.
- Qu’est-ce que tu fais ?
- Un inventaire. Enfin, j’essaye.
- Tu n’es pas trop inquiet ? Pour… ce démon qui en a après toi. »
Rem releva les yeux vers elle – Tony lui avait dit ? L'idée qu'une inconnue soit au courant de son passé lui déplaisait. N'allait-elle pas le voir comme une victime ? Comme un être vulnérable ? Il ne voulait pas de ces regards de pitié jetés dans sa direction. Il n'était pas qu'un jouet dont le destin avait toujours été décidé par d'autres ! À cette pensée, un poids tomba sur sa cage thoracique et sa vieille amie s'infiltra de nouveau dans sa tête : « Ah oui ? ». Il aurait aimé faire taire la petite voix pour toujours, cette vipère ne savait jamais quand s'abstenir.
« Pardon, je me mêle de ce qui ne me regarde pas, fit-elle en tordant ses doigts.
- En fait, je cherche comment nous protéger. Mais… je pourrais faire tous les talismans que je veux, ils ne défendent que la maison. Il y a tout un tas de moyen de parvenir jusqu’à quelqu’un.
- Est-ce que je peux t’aider ? Tu as peut-être des livres où je peux chercher ?
- Je doute d’y trouver une réponse. Et à vrai dire, j’ai peut-être déjà une piste. Pour certains ingrédients, je me fournis dans une boutique vaudou. Le propriétaire pourrait m’aider s’il est pratiquant.
- Le vaudou ? Ça existe aussi ?
- Oui, mais le cinéma en fait quelque chose de maléfique et l'a mélangé avec le hoodoo et la sorcellerie.
- Quelle est la différence ?
- Le vaudou est plus axé sur la spiritualité. Là où le hoodoo se contente surtout de magie élémentaire, un peu comme moi.
- Tu veux faire appel à un esprit ?
- Oui, ils sont puissants. Mais je ne les connais pas très bien, le vaudou est considéré comme inférieure à la Trame, les sorcières ne s’y intéressent pas.
- La Trame ?
- La source de la magie. C’est un flux qui parcourt toute la Terre.
- Et donc, tu veux demander la protection d’un esprit ?
- Oui. J’espère qu’il pourra tenir les sorcières à distance. L’ennui, c’est que je ne sais pas comment vérifier ce qu’est cette personne. Ce n’est peut-être qu’un passionné.
- J’imagine que quelqu’un qui s’y connait en vaudou doit avoir des connaissances que le commun des mortels n'a pas ? Pourquoi tu ne lui envoies pas quelque chose que lui seul pourrait comprendre ?
- Une sorte de message caché ? Oui, pourquoi pas. »
Un instant, il songea à la présence de cette femme dans la cave. Il avait longtemps imaginé que l’une d’entre elles finirait par y entrer, mais jamais qu’il ne s’agirait pas d’une menace.
« Aïe ! » fit-il dans un sursaut alors que McMittens avait décidé de le prendre pour un arbre.
L’adorable fauve avait planté ses griffes dans sa jambe et essayait de grimper, ignorant que son poids l’handicapait fortement, et que le tronc était moins résistant qu’il l’imaginait.
« Mittens ! Qu’est-ce que tu fais ? le gronda Frédérique d’une voix douce en l’attrapant. Excuse-le, il se prend encore pour un chaton. Je crois qu’il voulait monter sur la table pour te faire plus de câlins.
- J’ai la côte avec les animaux. Le chat des voisins s’infiltrait tout le temps par la fenêtre pour venir me voir, avant qu’ils déménagent. »
Il glissa sa main entre les oreilles de McMittens qui fit mine de vouloir l’attraper. Rem la lui tendit et aussitôt, il se débattit des bras de sa maîtresse et atterrit sur la table. De là, il pouvait observer le jeune homme, un étranger qu’il ne connaissait pas, mais qui lui semblait être digne de sa présence. Il s’assit et le scruta de ses yeux or.
« Quoi ? Tu veux que je te donne quelque chose ? » lui demanda Rem en se penchant pour être à sa hauteur.
Il chercha aussitôt dans plusieurs cartons posés sur ses étagères puis sortit une plume de l’un d’eux.
« Est-ce qu’elle te plaît ? » fit-il en la présentant au chat.
McMittens la sentit de long en large, et accepta l’offrande d’un coup de patte. Il ne s’était pas trompé sur cet humain ! C’était un ami des animaux – quoi qu’en disait le contenu de la pièce.
« Rem, je voulais te demander, est-ce que ça te dérangerait si je restais un peu plus longtemps ? Je ne veux pas m’imposer, mais…
- Ce n’est pas à moi qu’il faut demander, c’est à Tony.
- Tony me dira oui, rit-elle, mais je voulais être certaine que ma présence ne te pèse pas trop.
- Je n’ai pas le sentiment que tu sois une sorcière, sinon je crois que tu me serais déjà tombée dessus. Pour être honnête, je ne dis pas que je suis parfaitement à l’aise, mais il faut que j’apprenne à lâcher prise. Ce n’est pas quelque chose que je contrôle, évidemment, mais… encore une fois, Tony a raison.
- Il est énervant, hein ? Il a toujours eu cette capacité d’analyser les autres.
- J’imagine que ce n’est pas inné. Tu sais d’où ça vient ?
- Son père. Il les a beaucoup fait souffrir, sa mère et lui. Tony a vu des psys dès l’enfance.
- Il m’a dit qu’il était mort.
- Pas assez tôt, si tu veux mon avis. Ce n’était pas quelqu’un de bien. Il est parti la première fois lorsque Tony avait un ou deux ans. Il menait une double vie avec une autre femme avec qui il a eu des enfants. Et lorsque celle-ci a appris l’existence de Tony, elle l’a mis dehors. Il est revenu auprès d’Adelina, la mère de Tony, et… il est reparti. Ça a duré quelques années, puis Tony a eu sa NOHL¹ et il a foutu le camp, définitivement.
- Ça explique pourquoi il ne le mentionne jamais.
- Je l’ai croisé une fois. Et j’ai eu le sentiment que c’était un homme égoïste qui tirait tout ce qu’il pouvait d’Adelina. Tony n’était qu’un jeune garçon à l’époque, il ne valait rien à ses yeux.
- Content qu’il soit mort », lâcha Rem en songeant que son amant n’avait pas besoin d’une telle personne dans sa vie.
Un bruit sourd suivi d’un miaulement joyeux attira leur attention ; McMittens venait de sauter dans un carton posé sur le sol. Ni l’un ni l’autre ne l’avaient vu se déplacer. Frédérique allait se précipiter sur lui de peur qu’il soit en train de faire une bêtise, mais Rem la stoppa :
« Il est vide, laisse-le jouer avec.
- Tu ne connais pas McMittens, il va t’en faire des petits bouts !
- Je préfère qu’il s’en prenne à un carton plutôt qu’à mes ingrédients », fit-il en haussant les épaules.
Le chat releva la tête et observa Rem quelques secondes, comme pour dire qu’il était d’accord avec lui. Puis il replongea le nez dans le carton où il roula sur son flanc gauche et sur le droit, avant de tirer sur l’un des coins avec ses dents. Rapidement, la cave résonna des cris sourds de sa victime qui perdit peu à peu de sa superbe.
Et c’est avec une fierté non dissimulée que McMittens remonta les escaliers, un petit bout marron dans la bouche.
¹. NOHL : Neuropathie Optique Héréditaire de Leber
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