Ma première fois

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J’ai fait comme elle a dit, j’ai passé mon bac, avec la mention « de justesse », et je me suis engagé. Ça m’a permis de fuir ma famille, parce que depuis l’accident, la violence avait redoublé, et que j’avais de plus en plus de mal à ne pas répondre aux coups… J’ai passé les examens de sélection haut la main, j’ai intégré un régiment de combat, fini major de ma promo, et là tout est parti en couille… À peine arrivé en Unité, je me suis fait convoquer dans le bureau du Colonel… Dire que j’étais inquiet serait un euphémisme… Quand on est convoqué comme ça, c’est qu’il y a un problème… Un grave problème…

J’ai attendu au repos réglementaire devant son bureau pendant une demi-heure avant d’être appelé à entrer, ce que je fis en exécutant mon plus beau salut, avec une présentation aux petits oignons. Mais c’est Elle qui m’a dit de me mettre au repos. Je suis resté con… Elle était là, aux côtés du Colonel et d’un autre mec que je ne connaissais pas, avec cet éternel sourire aux lèvres.

— Salut beau gosse, je t’ai manqué ?

Je n’ose pas répondre… Et si j’étais le seul à la voir ? Je passerais pour un fou…

— Oh, rassure-toi, ils sont tous les deux comme toi.

Là, j’avoue que j’étais soulagé.

— J’ai fait en sorte que tu sois muté. Tu vas intégrer les forces spéciales. En fait, tu vas intégrer des forces spéciales au sein des forces spéciales… Une équipe d’hommes et de femmes comme toi. Tu y apprendras à maîtriser tes pouvoirs et tu t’acquitteras de ta dette. Et tu pars maintenant.

— Mais… Et mes affaires ?

Son sourire se fait encore plus grand… Qu’Elle est belle !

— Elles sont déjà en train de partir. Et elles seront sûrement chez toi avant toi.

J’ouvre de grands yeux.

— Je dois retourner chez mes parents ?

Les deux hommes sourient alors qu’Elle se met à rire.

— Mais non, gros bêta. Tu vas avoir un logement de fonction. Mais par contre, tu retournes dans ce secteur. Désolée…

Je suis sous le coup, je dois bien l’admettre… Mais je ne réponds pas, j’ai bien compris que je n’avais pas mon mot à dire… Je redresse la tête et demande.

— Autre chose ?

Son sourire disparait.

— Oui. Au secrétariat du corps, il y a une femme. Il me la faut. Aujourd’hui. Profite que le bâtiment est vide à part elle et nous. Et ne te tâche pas, parce que dehors tu auras du mal à le justifier.

L’effroi. C’est tout ce que je ressens en cet instant. J’y suis, au moment où je dois payer ma dette. Au moment où je deviens un assassin… Je cherche du courage quand Elle sourit de nouveau.

— Elle bat sa fille et abuse de son fils.

Ça peut sembler idiot, mais d’entendre ça m’a donné du courage. J’opine du chef et réponds.

— Reçu.

Son beau sourire s’élargit.

— Tu es si gentil.

Je salue et ressors, avant d’aller vers le secrétariat. La femme est là. Une civile, une petite quarantaine d’année, brune et frisée aux cheveux qui blanchissent, elle ne lève même pas la tête quand je rentre.

— Venez soldat, vous devez signer votre ordre de mutation.

Je m’approche et contourne le bureau pour finir derrière elle, à chercher une solution. Derrière nous, son portemanteau, et dessus, une écharpe dont je me saisis alors qu’elle tire une feuille à elle.

— Signez en bas à dro…

Elle ne pourra pas finir sa phrase, l’écharpe vient de passer autour de sa gorge, croisée à l’arrière pour faciliter le serrage, pendant que je pousse le dossier de son fauteuil à roulettes en avant pour accroître ma force, à tel point que j’en ai mal. J’attends volontairement une dizaine de minutes, pour être sûr, avant de desserrer un peu, puis je noue l’écharpe contre son cou, avant de trainer le corps vers la fenêtre et de nouer l’autre extrémité au radiateur. Une fois que je suis sûr que le nœud tiendra bien, je la bascule dans le vide. Cette partie du bâtiment est invisible parce que tournée vers la forêt, ils ne la trouveront pas de sitôt. Je sors de son bureau avant de sursauter. Elle m’attendait. Peut-être même qu’Elle m’a observé… En tout cas, Elle a l’air triste.

— Il paraît que le premier est le plus difficile.

— Je ne sais pas… Je n’ai pas encore fait le second, et je suis encore sous le coup de l’adrénaline…

— Si tu t’effondres ce soir, je serais là pour te réconforter, je te le promets…

Elle dépose un baiser sur mes lèvres et quitte le bureau. Je cours à sa suite, mais, stupeur, Elle n’est déjà plus là. L’homme que je ne connais pas si, en revanche. Et il me fait signe de le suivre. Je m’exécute en silence. Il me parle de ce qui m’attend, de comment il est devenu un prêtre de la mort, mais je reste silencieux… Il me dépose en bas d’un immeuble et me temps des clés. Troisième étage, porte de gauche, me dit-il. J’acquiesce et sors du véhicule, puis me rends dans mon nouveau chez-moi. Mes affaires y sont rangées dans des meubles flambants neufs, j’ai un ordinateur, une télé, un bureau, un canapé, une table basse, une machine à laver, une cuisine équipée et un frigo plein de bouffe… Même ma console et ma chaine Hi-fi qui étaient restées chez mes parents sont là… Ce studio est pas mal, et pourtant, je ne parviens pas à me réjouir… Je m’assois sur le lit, les yeux dans le vide, et je craque… Le visage dans les mains, je me mets à pleurer… Quand de fins bras blancs m’enlacent.

— Mon pauvre chéri… Crois-moi, tu as bien fait… Ses enfants s’en sortiront mieux avec leur père…

— Mais j’ai tué…

— Surprenant, de la part d’un militaire… Allez, regarde-moi…

Je tourne la tête, et son sourire chaleureux chasse ma peine, alors qu’elle prend mon visage à deux mains pour m’embrasser.

— Je suis là pour toi… Je suis toute à toi…

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