Démission

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                J’ai donc intégré cette équipe secrète au sein des secrets… Et c’était vrai, ils étaient comme moi. Certains d’entre eux étaient sympas, vraiment, et je crois que dans un autre contexte, on aurait pu devenir amis, de vrais amis j’entends… Ils n’étaient pas nombreux, sur les trente-cinq personnels, ils n’étaient que quatre… Olivia, Christophe, Denis et Gérard, quatre fous furieux qui m’apprirent les ficelles du métier et les notions de base de mes nouvelles aptitudes. Le truc, c’est que tout le monde a une capacité spéciale, deux pour les plus chanceux, et personne n’a les mêmes… Mais moi… Y a un peu tout qui fonctionne en fait… Alors les quatre mousquetaires m’ont conseillé de ne le dire à personne… Ça ferait des jaloux… Visiblement, ils sont nombreux à rechercher Ses faveurs, et ils ne comprendraient pas que moi je sois autant gâté d’entrée de jeu sans avoir fait mes preuves…

                Pendant quatre ans, j’ai traîné ma bosse partout sur terre, soi-disant à servir les intérêts de mon pays, et à m’acquitter de ma dette. J’ai pris des coups, j’ai pris des balles, j’ai pris des vies, persuadé que ce que je faisais était bien. Et Elle venait me voir régulièrement, me félicitant à sa manière, me réconfortant parfois, me soignant souvent… Son sourire était Sa meilleure récompense, si envoutant, si gratifiant… Je me sentais aimé et apprécié pour ce que je faisais pour elle, j’avais enfin de la reconnaissance et de la gratitude, et c’était si bon pour moi, moi qui ai attendu ça toute ma vie…

                Puis en deux mille dix, deux évènements ont bouleversé mon esprit… Commençons par le premier. Nous sommes en juin, et en Chine. Nous traquons un trafiquant de drogue depuis trois semaines quand nous débarquons enfin dans son petit chez lui. Je vous brosse le tableau vite fait, rafales, rafales, blessés, morts, explosions, sang, rafales, rafales. On a rejoué Rambo, Die Hard et Terminator, mettant littéralement le village à feu et à sang. Par chance, le village concerné n’était peuplé que de ses hommes de main. C’est du moins ce qu’Elle m’avait dit… Mais j’ai eu une surprise en arrivant dans son bunker sécurisé. Il y avait à ses côtés une femme et trois enfants, dont un nourrisson. Et cinq gardes du corps, mais ils n’étaient plus des nôtres quelques secondes après que je sois entré. C’est d’ailleurs ces tirs qui ont fait pleurer le bébé et m’ont arrêté dans ma charge furieuse. Je suis resté là, mon fusil d’assaut baissé, à contempler cet homme se tenant courageusement entre sa famille et leur mort…

                Quand le reste de l’équipe est arrivée, je ne sais pas pourquoi, j’ai fait comme lui, je me suis interposé. Christophe m’a dévisagé, surpris et presque en colère, avant de parler.

                — Tu fais quoi ? Tu le protèges ?

— Pas lui, eux. Mettons que la femme soit coupable, mettons que des enfants de… Dix et cinq ans ? Soient coupables… Pas le bébé. Qu’est-ce qui le justifie ?

— Sa seule naissance.

                C’était Sa voix. Je La reconnaîtrais entre mille. Elle était là, à croire qu’Elle était toujours là… Elle fend le groupe et s’approche de moi, son sourire si doux me paraît soudain moins chaleureux, plus… Faux et manipulateur.

— Comment une naissance peut nous rendre coupables ?

— L’ardoise de sa famille est trop chargée.

                Je perds mon calme.

— Dans ce cas, nos enfants aussi méritent et mériteront la mort ! Rien que moi, tu m’as demandé plus de mille sept cents vies !

— C’est différent.

— Non ça ne l’est pas ! Chaque vie a un prix ! Celle d’un être innocent vaut bien plus que tout cela !

                Son sourire s’accroît.

— C’est donc ça… Tu veux renégocier ta dette ? À combien estimes-tu la vie d’un bébé ?

— Je ne l’estime pas, elle n’a pas de prix. Et tu ne la prendras pas !

                Cette fois-ci, Son sourire se fige. Quand elle me répond, sa voix a perdu en douceur, elle est devenue rauque, outretombesque.

— Tu crois pouvoir t’interposer entre cette âme et moi ?

                Je vois de la peau tomber de sa joue.

— Je crois, oui. Parce que tu ne te salis pas les mains, jamais. Tu enverras tes prêtres, et je pense être largement en mesure de les vaincre. Tous.

                Sa joue est décomposée, l’os est à nu, et Sa décomposition continue.

— Je peux reprendre ce que je t’ai donné !

                Mon sourire augmente tandis que ses cheveux tombent par poignées entières et que mon sourire se fait sarcastique.

— Et annuler ma dette ? Je paie pour voir !

                Elle n’est plus qu’un squelette en robe d’été. Et Elle sent le jasmin… Je déteste cette odeur autant que celle de la lavande.

— Si j’avais su que ta morale surpassait ton désir d’amour, je ne t’aurais pas sauvé la vie !

                Je sourcille.

— Alors c’est ça ? Tu me manipulais ?

— Bien entendu. Qui pourrait vouloir d’un minable comme toi, assassiné par sa propre mère ? Tellement lâche qu’il s’enfuit au lieu de la combattre et se jette sous un camion !

                Je fronce les sourcils. Ca ne s’est pas passé comme ça, je le sais, et je pense qu’Elle aussi. Elle cherche à me déstabiliser, mais je ne rentre pas dans son jeu. À l’école de l’humiliation, elle ne vaut pas mes parents. Au lieu de ça, je la nargue.

— Peut-être, mais non seulement tu m’as laissé te baiser par tous les trous comme une grosse chienne, mais en plus tu m’as sucé après que je t’ai défoncé le cul. Alors si je suis une merde, tu as été la pute d’une merde. Qu’est-ce qui est le pire ?

                Je vois Sa main se crisper, avant qu’elle appelle quelqu’un. Christophe. J’aurais appelé la même personne. Sa force prodigieuse sera un atout en un contre un. Il soupire, donne son fusil à Olivia et s’avance en retroussant ses manches.

— Désolé vieux, mais il ne me reste que trois vies à payer… Peut-être qu’avec la tienne, ma dette sera réglée.

— Possible…

— Tu sais que ce n’est pas contre toi, hein ?

                Je souris.

— Pareil. Mais ce n’est pas pour autant que je te laisserais gagner…

                Il charge et frappe comme un sourd, mais son poing atterrit dans ma main. L’impact fait vibrer l’air et exploser les écrans et verres de lunettes, mais je ne bouge pas, et Christophe me regarde avec terreur. Il faut dire que je n’ai pas vraiment été franc avec eux. J’ai fais croire à tout le monde que j’avais de super réflexes, mais je ne leur ai jamais parlé du reste… Je serre sa main jusqu’à la réduire à l’état de pulpe sanguinolente et le relâche, mais lui ne lâche pas l’affaire. Son poing gauche s’abat avec violence sur ma joue, mais là aussi, malgré la puissance de frappe, je ne bouge pas, alors que ses doigts se brisent à l’impact. Ensuite, j’agis aux réflexes. Mes mains frappent ses oreilles, puis j’attrape son col et écrase mon front sur son nez. Après quoi je lui envoie un violent coup de pied dans les joyeuses, puis explose son nez en sang sur mon genou, avant de le saisir par le col et de le tirer à moi en le faisant pivoter et de passer mon bras gauche sous sa mâchoire et de le relever. Tout a été si vite que les autres n’ont pas fini de me mettre en joue quand Christophe et son gilet pare-balles viennent renforcer ma protection, alors que je sens au plus profond de moi que je n’ai pas besoin de ça.

— Dis-leur de baisser leurs armes où Tu perds un de Tes précieux prêtres.

— Vous ne m’êtes pas précieux, et vous n’êtes pas irremplaçables. Il y aura toujours des gens effrayés par la Fin qui seront prêts à me donner leur âme.

                Juste ce que j’espérais.

— Vous avez entendu, les gars. Vous n’êtes rien pour Elle… Nous ne sommes rien pour Elle…

                Olivia semble prête à pleurer quand elle crie.

— Je t’en supplie arrêtes ! Nous Lui avons juré fidélité ! Elle nous a sauvé la vie !

— On parle de La Mort, bordel ! C’est aussi Elle qui vous l’ôtait ! Qui nous dit qu’Elle n’a pas provoqué nos accidents ? Vous voyez bien, Elle l’a dit, nous ne sommes rien. Juste des pions.

                J’utilise une autre de mes aptitudes, et ma main droite devient tranchante comme la plus affutée des lames.

— La preuve, elle ne bronche pas alors que je vais tuer l’un d’entre nous…

                Je murmure à l’oreille de Christophe.

— Je suis désolé…

                Son ton me glace d’effroi. Il a compris ce que je veux leur faire comprendre, et il semble être le seul.

— Fais ce qu’il faut pour qu’ils te croient… Mais je te préviens, s’ils restent en Son pouvoir, tu ne connaîtras plus jamais la paix… Elle va lâcher les Quatre Cavaliers sur toi.

— Je n’ai pas peur…

— Alors je pars en te faisant confiance. Adieu.

— Adieu…

                D’un geste vif, je lui tranche la gorge. Mais j’ai dû mal contenir ma force, parce que sa tête entière se décroche de son cou… Son sang macule mon visage et mes vêtements, et j’ai envie de vomir tant je me sens horrible. Mes collègues sont pétrifiés. C’est la première fois que l’un des nôtres meurt. Et que l’un des nôtres se rebelle. Elle, par contre, ne bronche pas, et prend la parole calmement.

— Nous aurions pu gouverner le monde. Mais tu as fait un choix. Mes Quatre seront sur ton dos jusqu’à ta mort.

— Ou la leur… Si tu tiens un tant soit peu à eux, toi, ou moi… Oublie jusqu’à mon existence.

                Je ne dis plus rien et saute. Je traverse le plafond du bunker, et les six étages au-dessus pour atterrir sur le toit de la maison, puis m’en vais en bondissant sur plusieurs centaines de mètres à chaque fois. Quand j’arrive dans mon appartement, je m’écroule à genoux devant la porte et pleure. Aujourd’hui, je sais que personne ne viendra me réconforter… Du moins, c’est ce que je pensais… Ce qui m’amène au deuxième évènement ayant tout changé.

— Tout va bien ?

                Je redresse la tête, les yeux rougis par les pleurs et le visage rougis par le sang pour faire face à une femme belle comme un ange qui provoque chez moi un réel trouble, comme si chaque molécule de mon organisme réagissait à ce seul spectacle. Elle me dévisage avec peur, avant de se reprendre, une forte inquiétude dans les yeux.

— Tout ce sang… Vous êtes blessé ?

                Je fais non de la tête.

— Vous allez bien ?

                Je refais non de la tête avant de bredouiller.

— Dure journée…

                Elle m’offre un sourire plein de compassion, avant de s’accroupir devant moi.

— Venez avec moi, je vais vous offrir un café.

                Et c’est ainsi que je rencontrais ma voisine de l’étage au-dessus.

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