Pestilence

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                Mon épouse balaya l’air devant elle de nombreuses fois, jusqu’à ce que je la saisisse et que je décale le canasson de devant le portail.

                — Elles cherchent l’air frais. Laisses-les passer et tu seras tranquille.

                Les mouches nous ont laissé tranquille sitôt qu’on s’est poussé, mais l’odeur, c’était une autre histoire…

— C’est normal que ça pue comme ça ?

— Des plaies infectées, des gangrènes… Tout ça, ça ne sent pas la rose, je te l’accorde… Ça ne sent pas la mort, c’est pire…

— Pourquoi tu nous as emmené là ?

                Je sens au ton de sa voix qu’elle a une furieuse envie de vomir tandiq qu’elle descend de son chevla

— Les Quatre ont nos enfants. Si je ne les bats pas, ils resteront prisonniers… Mais je doute qu’Elle les laisse vivre bien longtemps…

— Bien… Et on sauve lequel des trois ?

                Je baisse les yeux quelques secondes.

— Je n’en sais rien du tout…

                Elle me regarde avec surprise, alors je m’explique.

— Je n’ai pas eu le temps de voir qui a capturé qui. Et j’aurais été bien incapable de faire un choix… Alors je m’en suis remis au hasard.

                Elle me regarde et me gifle.

— Au hasard ? pour sauver nos enfants ?

                Je hausse les épaules.

— Il parait qu’il fait bien les choses. La preuve, je t’ai trouvé d’abord, ce qui fait que tu pourras t’occuper des enfants quand nous les délivrerons, me laissant ainsi la possibilité de me battre librement.

                Elle me saisit par le col et arme le poing, mais je l’arrête d’un mouvement négatif du doigt.

— Vu comment je suis à l’heure actuelle, j’ai peur que ça te brise la main…

— Déjà que tu me brises les couilles !

                J’en ai la machoire pendante.

— Alors ça, ça fait mal…

                Elle me repousse avec force.

— T’as intérêt à les sauver tous.

— L’inverse est inenvisageable.

                Elle me fusille du regard en serrant les dents.

— Si je me rappelle bien de ce que tu m’as dit à notre rencontre, ton boulot, ta spécialité même, c’était plutôt l’élimination, pas la rescousse ou l’exfiltration.

— Oui.

— Alors comment comptes-tu les aider si tu n’es pas un sauveteur, mais un tueur.

                Le regard froid, le ton distant, j’énonce une vérité qu’elle ne voulait pas entendre, une évidence qu’elle ne voulait pas voir.

— En tuant les preneurs d’otages. Plus de preneurs, plus d’otages. Tu le savais avant même de poser la question.

                La bouche entrouverte, elle me dévisagea avec stupeur avant de demander.

— Mais… Et Elle ? Elle nous laissera tranquille après ?

                Je fais non de la tête.

— Elle aussi devra mourir… Seulement après, nous serons libres…

— Et que deviendra celui qui aura tué la Mort ?

— Je… Ne sais pas…

— Moi je sais !

                Derrière nous, une dizaine de mètres je dirais. Je me retourne en dégainant mes couteaux de combat, ma femme braque mon fusil, et nous la voyons. Pestilence. Mon épouse en a des haut-le-cœur. Un corps bouffit, couvert de pustules purulents et de plaques de peau nécrosée, les yeux embrumés par la fièvre et le corps gonflé par la maladie, elle se tient debout, un grand sourire édenté aux lèvres et les mains levées.

— Ne tirez pas. Je n’ai pas l’intention de me battre. Récupérez votre gamin, je ne le supporte plus !

                De derrière elle sort notre aînée, qui court vers nous en pleurant tandis que Pestilence s’assoit.

— Un gamin qui veut faire médecine… Il a fallu que moi, Pestilence, je tombe sur une emmerdeuse de future médecin… Récupérez-la et qu’elle ferme sa gueule !

                Notre fille ainée se jette dans les bras de sa mère en pleurant, et ma femme lâche le fusil qui ballotte sur ses flancs pour l’étreindre.

— Tout va bien ma chérie ?

— Elle m’a insulté…

                Je regarde les filles puis Pestilence.

— Pas de combat ?

— Non… En fait, j’ai même un marché à te proposer.

                Je range mes lames, intrigué.

— Je t’écoute.

— Le fait que tu ais sorti tes couteaux prouve que tu ne sais pas utiliser les pouvoirs de Famine. Je peux t’apprendre, et te donner les miens en même temps.

                Je suis sceptique.

— Et tu veux quoi en échange ?

— Deux choses… Que tu m’excuses pour ta mère, et que tu me libères…

                Je suis choqué.

— Je te demande pardon ?

— Je veux mourir… je n’en peux plus d’être constamment malade… D’être Pestilence… Je ne serais plus jamais humaine, alors qu’au moins on me laisse reposer en paix…

— Et pour ma mère ?

                Pestilence baisse la tête.

— J’étais en service commandé… Mais ça t’aidera peut-être de savoir qu’elle avait un cancer avant mon arrivée ?

                Je fronce les sourcils en m’avançant vers elle, poings serrés et colère au taquet.

— Quel genre de cancer ?

                Le regard triste de Pestilence ne me fait pas flancher.

— Tu vois ceux dont on guérit ? Ce n’était pas un de ceux-là… Même sans mon intervention, elle serait morte en cinq ans. Dans le meilleur des mondes.

                Je suis juste devant elle, et je meurs d’envie de la frapper.

— Ne fais pas ça… Ma peau est recouverte de plein de sécrétions dégueulasses… Tu n’as pas envie de toucher ça… Ce que je te propose est plutôt… Gagnant-gagnant, non ?

                Je regarde mon épouse et ma fille. La seconde pleure encore, mais la première opine du chef. Je me retourne vers Pestilence.

— Bien. Apprends-moi. Et après, je te libèrerais de ta condition. Mais avant, dis-moi ce que je deviendrais quand je vous aurais vaincu, puis quand j’aurais tué la Mort.

                Pestilence sourit et me fait signe de m’assoir à ses côtés. Je m’exécute et sors un paquet de cigarettes d’une des poches ventrales de ma veste de treillis.

— Nous vaincre fera de toi l’équivalent de ce que les humains appellent un dieu. Pas des religions monothéistes, plutôt polythéiste. Un être, une spécialité.

— Alors la Mort serait Hadès ?

— Sa fille, en fait… Elle l’a tué dans son sommeil et absorbé son pouvoir.

— Et si je la bats ?

— Alors tu seras l’équivalent de deux de ces dieux.

— Je pourrais avoir une vie normale ?

— Je ne peux pas le garantir… Les autres entités n’apprécieront peut-être pas la situation… Mais s’ils ne sont pas idiots, ils ne s’en prendront ni à toi, ni à ta famille. En regroupant tant d’énergie, tu pourrais l’emporter même s’ils étaient trois ou quatre contre toi… Et là, je ne parle que des plus forts d’entre eux…  Ce qui est certain, c’est que tu seras immortel.

— Et si je ne veux pas de ces pouvoirs ?

— Redistribues-les, comme Elle avec nous et les Prêtres… Une fois vidé de cette énergie, tu seras… humain…

                J’opine lentement du chef en assimilant les informations, avant de reprendre.

— Et concernant les pouvoirs ?

                Mon épouse et ma fille se sont rapprochés, suivies de près par le cheval de Famine, tandis que Pestilence sourit. Elle siffle entre ses dents puis se tait, et je comprends vite pourquoi. Des bruits de sabot se font vite entendre, suivis de peu par un destrier au pelage pale et galeux survolé par un essaim de mouches. Son regard fiévreux reste pourtant vif, et il vient docilement se positionner aux côtés du cheval de Famine.

— Petit cadeau. Lèpre. Morbide et lui sont amis.

                Ma femme regarde Pestilence avec surprise.

— Morbide ?

— Le cheval de Famine. Il ne vous contaminera pas. Mais vos adversaires s’approchant trop près, si. Et les mouches sauront vous protéger des tirs. Quand à Morbide, de par son poids, il est le plus rapide et le plus endurant.  Celui de Guerre, Arsenal, brûle tout sur son passage, et celui de Conquête, Étendard, est immortel. Quant aux pouvoirs…

                Pestilence tend la main, et une immense faux s’y matérialise dans une épaisse fumée blanche.

— les Quatre ont tous une arme. J’ai la faux, Guerre a une épée à deux mains, Conquête un arc et Famine… Lèves-toi et mets-toi en garde.

                Intrigué, je m’exécute. De la fumée noire s’enroule autour de mes bras avant de former deux immenses boucliers, alors que je murmure.

— La balance de la disette…

                Pestilence me regarde en souriant.

— Tu es instruis, c’est bien. La balance de la disette, en effet. Les deux plateaux forment chacun un bouclier. J’ignore combien d’armes tu peux invoquer en même temps. Ni même si tu pourras toutes les invoquer… Mais si tout marche comme pour nous, il te faudra de moins en moins de concentration pour les faire apparaitre.

                Ma femme intervient.

— Il n’a pas eu besoin de se concentrer, là…

                Pestilence sourit.

— Parce que c’est moi qui les ai fait apparaître. Mais il va falloir qu’il s’entraîne.

— Et mes aptitudes physiques ?

                Pestilence tourne son regard malade vers moi.

— Avec le temps. Mais le stress ou le danger peuvent aussi être des facteurs déclencheurs.

                J’opine du chef.

— Il y a-t-il autre chose que je dois savoir ?

— Deux. Famine et moi avons un don que Guerre et Conquête n’ont pas. Si tu te concentre sur ton sens du toucher, tu peux affaiblir grandement quelqu’un par la Famine ou le recouvrir de Pestilence au moindre contact physique.

— Bien, alors je vais garder mes gants pour l’instant. Quoi d’autre ?

— Tu es propriétaire du royaume de Pestilence, et bientôt du mien. Leurs résidents obéiront à tes ordres. Les Dalleux sont déjà tiens, les Galleux le seront bientôt. Il te restera à prendre les Fighters et les Conquistadors. Si nos peuples sont pacifistes, ceux de Guerre et Conquêtes sont plus… vindicatifs et agressifs… Mais nos peuples savent quand même se battre, même s’ils ne font pas le poids en un contre un. C’est tout.

                Une fois encore, j’opine du chef.

— Je te remercie Pestilence.

— De rien. Maintenant, remplis ta part du contrat. Libères-moi.

                Elle me tend sa faux et je m’en saisis et la sous-pèse, avant d’affermir ma prise. Je regarde ma femme, et elle comprend ce que je pense, avant d’enfouir le visage de notre fille dans ses bras, alors que Pestilence gueule.

— Hey, la merdeuse, tu as déjà de belles connaissances. Accroches-toi, et tu feras un bon médecin. C’est la maladie qui te le dis.

                J’entends ma fille pleurer, et un merci s’élève, arrachant un large sourire et une grosse larme à ma future victime qui murmure.

— Je suis prête. Vas-y.

                Trois secondes plus tard, l’affaire est réglée. La faux disparait, et une fumée pâle s’échappe du coup tranché pour venir s’enrouler autour de moi sans même me laisser le temps de me remettre de mon meurtre de sang-froid. Puis, comme pour Famine, c’est le trou noir.

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