La lumière est dans les yeux

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Le ciel est recouvert de nuages si secs qu’ils écorchent le regard.

Ils empêchent la terre d’être frappée du moindre rayon de lumière.

Pour s’éclairer, les étendues arides de ce monde se contentent d’une brume dont l’éclat a été passé au tamis. Il fait si sombre qu’au sein des quelques ruines dispersées dans les terres, les statues d’albâtre ne projettent pas la moindre ombre.

Entre les quelques vestiges de civilisations, il n’y a que quelques troncs asséchés qui se tordent année après année. L’univers paraît lentement pris dans une raideur cadavérique qui déforme des paysages autrefois resplendissants, où se déployaient sur des kilomètres des vallées et forêts verdoyantes.

Si la nature vestigiale en est à sa phase terminale, il demeure quelques hauts bâtiments qui sont autant de repères visuels dans ces étendues. Ces constructions plus impressionnantes que toutes les autres ont toutes des cheminées qui grimpent comme des buildings, jusqu’à effleurer le manteau céleste.

Les nuages se rappellent encore des fumées qui venaient se mêler à eux, du mélange de carbone et de particules de métal qu’elles recrachaient, qui ont fini par durcir la couverture autrefois molletonneuse du ciel.

Mais cela fait bien longtemps que ces usines ne crachent plus de fumée.

Au milieu des vestiges des industries, d’autres ruines bien plus modestes encerclent une colline. Elles grimpent le long des versants de cette dernière et s’arrêtent à mi-chemin, là où de nombreux troncs témoignent de l’existence passée d’un bois généreux qui jouissait des hauteurs et du soleil pour s’épanouir, protégé par la ceinture rurale qui le sanctifiait.

Là-bas, entre les arbres qui ne sont plus que des silhouettes décharnées, on entend le sol qui se froisse, avant que des gravillons ne roulent et dévalent les pentes.

Des orteils nus se plantent dans le sol. Grimpant en essayant d’épargner ses pieds déjà fort écorchés, un voyageur garde le regard tourné vers les hauteurs.

Une statue se situe au sommet de la flèche de l’église qui conclut l’ascension.

Sa tunique en haillons se balance mollement, à peine tenue par ses épaules chétives. Ses cheveux lisses et secs tombent en cascade et cachent l’essentiel de son cou dont les tendons saillissent comme s’ils se tenaient prêts à s’en dégager. Ses sourcils sont si épais que lorsqu’il lève ses yeux bruns et vitreux, il les voit en lieu et place du ciel.

Son front est troué en quatre points équidistants. Les plaies ne se sont pas refermées.

Jamais.

Sa bouche ouverte – ses lèvres bordées d’une écume de sable blanc – laisse s’échapper le son d’une respiration aiguë. Chacun de ses pas fait gagner une octave à ses expirations.

Mais il continue de grimper.

Le voyageur arrive à une arche de pierre assombrie par l’abandon. Les joints ont depuis longtemps cédé place à des lierres effeuillés, sans qui les roches finiraient par s’effondrer.

Ses doigts si fins et crochus qu’ils évoquent les pattes d’une araignée, glissent dans les interstices des blocs de granit. Ses ongles arrachent le peu de poussière de mortier qu’il reste encore. Il évolue maintenant dans une cour enceinte de murs fragiles. Là, la terre n’est pas plus humide ni riche qu’ailleurs, la sanctification du lieu n’a pas ralenti l’assèchement du monde.

Ses pieds s’appuient maintenant sur un sol couvert de cailloux autrefois blancs, aujourd’hui d’un gris passé, mais même s’ils n’ont pas la clarté d’autrefois, dans ce paysage de nuances sombres, l’allée paraît blanche et lumineuse.

Ses lèvres – dont il semble avoir dévoré la pulpe pour survivre – s’agitent et quelques mots psalmodiés les franchissent :

« La lumière est dans les yeux, la lumière est dans les yeux. »

Et en effet, là où il regarde, des ombres se projettent.

La grisaille devient plus claire en contraste.

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