Le Chœur
Le Chœur de l’église reprend en canon l’écho de chacun de ses pas. Les sons rebondissent sur la roche, les vitraux fendus avant de disparaître dans les failles qui lézardent les hauts plafonds arqués.
S’il n’y a pas de voix pour l’accueillir, au moins la pierre, le verre et le bois répondent à ses pas.
Il avance au milieu des bancs plongés sous un linceul de poussière. Ces lieux n’ont pas attendu que la pollution n’efface l’essentiel de la vie de ce monde pour se vider.
La science et le commerce ont eu raison de la foi dans le cœur des hommes… mais pas dans les édifices à sa gloire.
De chaleur ce monde n’en manque pas. Étouffante, lourde, saturée, l’air est si épais qu’on pourrait en couper des tranches et nourrir l’humanité si elle n’en était pas morte.
Mais il n’y a bien qu’ici qu’il se sent contenu, accueilli, son âme lovée dans le berceau d’un seigneur suggéré par les mains liées entre elles des statues, mais dont il n’a jamais eu ni conscience, ni connaissance.
C’est le bonheur de s’être retrouvé dernier de ce monde qui l’a poussé à explorer les derniers lieux que ses jambes n’ont jamais foulés.
Ses pieds étaient couverts des cloques de toutes les terres de tous les continents qu’il a foulés. Les dernières années de l’humanité ont poussé plus loin la mobilité, le voyage aux quatre coins d’un monde qui était devenu accessible par les mers et les airs. Comme tous ceux de sa génération, il n’avait été lié à aucun sol, aucune racine n’avait eu de prise ni dans ses jambes, ni dans son cœur.
Encore moins dans son esprit.
Il a fallu qu’il soit seul, sans plus qu’aucune âme ne vive autour de lui, pour qu’il se rende compte que dans ce mode de vie basé sur le mouvement et la stimulation permanents, il l’avait toujours été.
Seul.
Et il se rappela aux rares moments de silence et d’ennui.
Les rares moments où il n’avait ni téléphone dans sa poche, ni ordinateur dans son sac, ni écouteurs sur ses oreilles.
Il s’est souvenu de sa solitude.
Et l’angoisse fut telle qu’il préféra l’ignorer. La forclore.
Et cette fuite dans le voyage et la distraction a épaissi le voile de nuages au-dessus de sa tête.
Bientôt, l’angoisse ne pouvait plus rejoindre le ciel. Elle commença à se cogner contre ce qui obstruait la lumière.
Et comme les angoisses de tous ses contemporains, elles infectèrent l’humanité, les poussant dans une fuite en avant encore plus brutale.
Jusqu’à ce que cela… cesse.
Sauf lui.
Et parmi toutes les statues d’albâtre qui priaient le long du chemin vers le Chœur, il y en avait une sur un piédestal, au bout du chemin, qui ouvrait les bras.
Ses traits pourtant fondus par le temps et l’érosion, il devine encore dans ce visage minéral l’expression d’une sincère compassion. Ému de se voir accueilli par la pierre, il contemple la face de la statue en esquissant un fin sourire.
Il attend quelque chose. L’ombre portée de la statue est gigantesque, elle semble gravir le mur du Choeur jusqu’au plafond. Il regarde la projection croître à mesure qu’il s’approche encore de la statue. Bien que ce mouvement soit celui d’une ombre, il dégage plus de vie que tout ce qu’il a croisé sur sa route.
Mais lorsqu’il touche enfin les mains de la statue, du bout de ses doigts, la texture est froide, et rugueuse.
Les traits fondus lui paraissent alors bien plus tristes.
Ses yeux s’abaissent, tandis que de sombres pensées embrument son esprit.
Ils lui reviennent alors, les jours où il priait que la mort retrouve son chemin.
Et il ne peut s’en vouloir qu’à lui-même, si la lumière est dans son regard, les ténèbres aussi.
Le voyageur ne peut faire porter à cette pauvre statue, la responsabilité dans ses humeurs volages, qui ne cessent d’aller et venir au gré des pensées qui balaient son esprit comme une feuille dans le vent.
Il ne voudrait qu’une chose.
Un mot.
Un geste.
Une chaleur quelconque.
Il voudrait qu’un de ses sens lui dise qu’il n’est pas seul.
Lorsqu’il relève ses yeux, ses pupilles se dilatent en toisant le visage d’albâtre.
Là où il n’y avait qu’un renfoncement à l’endroit où il y eut un jour un œil, il y avait désormais une fente…
… d’où suinte un liquide transparent et épais.
Il est légèrement trouble. Le voyageur, la main tremblante le long de sa cuisse, a envie de porter ses doigts à ce visage de pierre, juste pour être sûr.
D’épaisses larmes roulent sur la joue aride. L’humidité s’infiltre dans la roche et cette dernière semble se ramollir, devenir de plus en plus claire et…
… rosâtre.

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