La graine
Ce n’est que dans le sillon des larmes que la statue se met à changer d’aspect. Le voyageur regarde le phénomène et déglutit. Il ne peut s’empêcher de contempler le liquide qui s’amoncelle dans l’ouverture alors que de plus en plus, une forme plus sombre point dans la cavité.
 Les larmes convoient avec elle quelque chose.
C’est d’abord juste sombre, comme du sang si coagulé qu’il en devient caillot, mais à mesure que la lumière rencontre l’objet, sa forme ovale et sa couleur écarlate se dévoilent.
Puis, il sort de l’œil, dépasse son orbite et tombe.
Le voyageur tend sa main pour le réceptionner.
 Lorsque le fruit du corps de la statue tombe dans sa paume, il sent d’abord le liquide gras qui se dissémine dans les plis de ses mains, collant sa peau. Cette texture, lui rappelle son enfance, quand il jouait près des vieux troncs d’arbres.
Ce liquide ambré qui durcissait au point de former des bulles qui n’éclataient pas quand il essayait de les percer.
De la sève.
Et ce petit ovale écarlate est une graine.
Dans sa robe fine échancrée au centre pour révéler une chair plus claire en dessous, elle a l’air parfaitement normale.
Sauf que son enveloppe vibre légèrement, palpite.
Et la statue est prise des mêmes tremblements.
L’orbite creux d’où s’écoule toujours le fluide toise le voyageur. Il sent ce regard le traverser jusque dans ses entrailles.
La graine dans la paume de sa main, se penche dans une direction. Il regarde là où le germe pointe, mais ne voit d’abord que le mur de l’église.
Le visage de la statue se tourne dans la même direction.
Certain d’avoir reçu un ordre céleste, le voyageur se précipite hors des murs de l’église pour regarder là où on lui suggère de voir.
Sous l’épaisse couche de nuages, loin devant lui, une montagne semble grimper jusqu’à traverser le ciel.
Des kilomètres les séparent. Mais la graine se penche d’autant plus lorsqu’il contemple la montagne.
Sa destination.
Et tous les paysages qui les séparent : son voyage.
Il dévale la pente de la colline, laissant derrière lui l’église qui retombe dans le silence.
Sa vie, par miracle, a désormais un sens qui lui paraît évident, il palpite au creux de sa main. Il n’y a aucune pensée rationnelle qui pourrait faire battre plus vite son coeur. Il sait.
C’est tout, il n’a pas besoin de plus.
Si son esprit a des ailes pour se voir franchir les lieues qui le séparent de son objectif, les crevasses qui lézardent le sol sont de réels obstacles pour son corps. Une première faille – à peine de la largeur d’un fossé – met timidement à l’épreuve sa capacité à sauter. Il se réceptionne sans problème de l’autre côté de ce précipice d’un mètre de large.
Là où il va, le sol est si sec que la terre devient poussière qui roule au gré des vents, et les crevasses s’élargissent à mesure que le monde paraît se flétrir, rongé par sa déshydratation.
Il avance dans les ruines de grands complexes où de gigantesques canalisations sont désormais visibles, tant le sol s’est affiné au fur et à mesure des sécheresses. Les pipelines affleurants sont crevés en certains points, signe des pillages qui ont eu lieu quand la civilisation s’est effondrée.
Désespérés, les rares survivants étaient allés chercher l’eau qui servait désormais à refroidir les serveurs alimentant les modèles de langage. Seuls les résidus de calcaire à l’intérieur des pipelines, révèlent qu’ils ont un jour convoyé de l’eau.

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