Un manque de manque

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Le voyageur continue sa route dans les champs où ne poussent que roche et poussière. Exposé au vent, il lève son bras pour protéger son visage des grêlons secs qui s’abattent sur lui.

Plusieurs fois il trébuche mais à chaque fois il trouve la force de se redresser. Il trouve alors une crevasse assez large et profonde pour s’en servir de tranchée. Lorsqu’il s’enfonce dans ce couvert de fortune, il s’abaisse pour éviter que son visage ne soit fouetté par les bourrasques et ce qu’elles emportent. Dans ce renfoncement, il sent ses pieds s’enfoncer dans l’épaisse couche de sable et de poussière qui y a trouvé refuge.

Cette lutte pour avancer, il l’a mené tout au long de cette dernière année. Il n’a fait que chercher de la nourriture, de l’eau, et des abris de fortunes. Désormais, il avait l’objectif qui lui permettait de donner un sens à toutes les douleurs qui le tenaillaient.

Il avance, replié sur lui-même, malgré les tensions dans le bas de son dos et dans ses cuisses, il poursuit.

Lorsque les vents s’apaisent, il pose le pied sur le bord de la tranchée et se hisse à l’extérieur.

Autour de lui désormais, il aperçoit d’autres vestiges.

Des carcasses de voitures, à perte de vue. Il y a encore la trace de quelques grillages qui servaient d’enclos à ces vestiges du passé. Le voyageur faisait encore partie de la génération qui avait le permis et trouvait encore un sens à avoir une voiture.
Mais tous les jeunes gens y voyaient de moins en moins de sens. La réalité augmentée, les technologies de communications et les services de livraison, avaient rendu l’utilité des véhicules personnels presque caduque.

Du haut de ses quarante ans, il y voyait encore un intérêt. Il a toujours vécu dans un monde où la voiture était un symbole en plus d’un outil, au volant de sa Chrysler, il se rappelle s’être senti adulte, libre.

Il ne comprenait pas quand on lui disait que les choses qu’il possédait le possédait.

Surtout venant de jeunes gens, qu’il trouvait possédés par leurs téléphones, dépendant des intelligences artificielles.
Désormais il savait que tout cela n’était qu’une question d’époque et de repère. Que ne donnerait-il pas pour ce faire à nouveau traiter de vieux con, et pouvoir rendre la pareille ?

Il se tourne vers les usines qui se trouvent à l’autre bout de la décharge de voitures. Elles sont sur son chemin.

Le Voyageur détaille chaque modèle. Il peste à chaque fois qu’il croise une Renault et toutes ces gammes de Clio qu’il éxècre. Il n’aimait que les véhicules américains aux moteurs puissants et robustes, du moins, c’est ce qu’il aimait croire, avant qu’il ne cumule les problèmes avec ses voitures et ne doivent commander pour une fortune des pièces de rechange à l’autre bout du monde et attendre des livraisons qui prenaient des semaines.

C’était stupide. Se dit-il en continuant sa procession. Mais c’était aussi son loisir, sa marque de fabrique, une part sociale de lui-même qui s’exprimait par ses goûts et ce qu’il consommait. C’était normal.

Normal comme l’automatisation de tous les biens. De la sécurité à l’éducation, de la nourriture au divertissement, tout était conditionné et produit en masse. Une profusion de tout qui avait créé un manque de manque si parfait qu’il s’était construit sur l’idée que tout cela était normal.

Il n’a jamais compris que ces normes étaient déjà des privilèges.

À présent qu’il n’y avait plus que des ruines et des vestiges autour de lui, il avait compris tout cela. Sa condition passée ne lui a jamais été aussi claire qu’à présent

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