Terreau

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Ses pétales se déploient, épais, rouges, généreux, pleins de vie. Son pistil jaune tranche avec la grisaille permanente.

Cette explosion de couleurs distrait le Voyageur de la terreur qui le saisit. Il approche ses doigts pour mieux les passer le long des pétales, d’où goutte un sang sec, presque granuleux.

C’est à ça que ressemble sa fin.

Il sent grouiller partout dans son corps les mêmes boutons floraux prêts à éclore.

Il ferme les yeux. Il a mal jusque dans les plaies qui encerclent son crâne, où il sent une pression qui grandit jusque sous la peau de son visage.

Le temps presse.

Le pénitent grimpe à nouveau, il court à présent, au diable ses pieds qui s’enflamment de douleur, ses jambes qui se raidissent de crampes.

Sa course le rapproche toujours plus de la silhouette.

Il est à proximité maintenant. Les jambes de l’inconnue sont rongées par la rouille, son corps figé par le poids de l’acier. Dénudée en maints endroits, révélant son armature qui protège des câbles mal agencés.

Quelle ironie !

Quelle ironie que ça soit sur cette machine éteinte qu’il doive se reposer pour souffler. Il aimerait pouvoir poursuivre sa fuite en avant vers le sommet, que son sprint n’ait pas de fin.

Mais à présent, jusque dans la plante de ses pieds, il sent des racines fouiller le sol et s’agripper.

Ses doigts s’accrochent au métal. Il cherche le regard de la machine, sa main pulsante de la graine qui n’en finit de gonfler.

Ses yeux fous, sa vue, troublée par la douleur, croisent ceux de verre de la machine, qui ne peut répondre à sa supplique muette.

Jusque dans son orbite droite, il sent quelque chose croître, pousser à l’arrière de son œil.

Il serre les dents, tandis qu’une larme roule sur sa joue. Sur sa peau, la poussière en contact avec le liquide lacrymal se désagrège en un instant.

Son corps tremble, des fleurs éclosent dans son dos, dans son cou. À l’intérieur de son ventre, des tiges s'épanouissent et s'enroulent autour de ses viscères.

À combien de fleurs donnera-t-il vie ?

C’est ce qu’il se demande en souriant, alors que sa larme tombe de sa mâchoire, et chute sur l’épaule du robot, roulant sur l’acier de son plastron, allant jusqu’à faire fondre partiellement le métal.

« Grimpe au-dessus des nuages... »

Supplie-t-il à une machine qui ne lui répondra pas.

À ce moment précis, son mépris pour les machines ne peut survivre à son besoin de présence.

Est-ce par désespoir qu’il entend ce cliquetis ? Est-ce l’écho de sa propre voix dans son esprit et dans les entrailles métalliques qui lui répondent et lui assurent qu’il n’est pas tout à fait seul dans son agonie ?

Il ne le saura pas.

Et de toute façon, la vérité n’a jamais été que le domaine de la certitude d’un instant.

Bref comme une seconde ou comme une vie.

Ça n’a jamais vraiment compté.

À ce moment, il sait pourquoi il se tient debout. Il frappe l’épaule du robot, comme s’il encourageait un ami, et s’en détache en avançant de quelques pas.

Des ronces croissent des trous de son front, lui octroyant la couronne d’un pénitent, tandis que sa chair, totalement offerte à la graine, fait jaillir toujours plus de fleurs, dont les pétales effacent rapidement son corps de la vue du ciel.

Les poinsettias poussent sur lui, sur son terreau fertile, et se servent de son corps qui s’effondre pour se répandre sur le sol.

De leur pistil, perlent de petites boules de chair qu’elles lui ont arrachées.
Qu’il leur a offert.

Ses lèvres désormais face au sol se raidissent sur un sourire comblé.

Tandis que la main qui tenait la graine, se soulève et offre le germe, désormais si gros qu’il remplit sa main, palpite dans sa robe déchirée.

La larme de lumière, après avoir coulé le long du robot, termine sa course dans le sol.

Cela faisait plusieurs années qu’il n’avait pas été aussi humide.

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