Suspendues à leur labeur

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Le frottement de l’air sur ses trichobotries a très tôt fait de l’agiter. Elle cherche alors du bout de ses pattes, un sol qu’elle vient de quitter. Si l’instinct lui a indiqué qu’elle pouvait sauter, son système nerveux, lui, semble ne pas apprécier les choses de la même façon.
Et lorsqu’elle passe, à quelques millimètres près de sa cible, la panique s’empare de son corps.
Et notamment d’un appendice, à l’arrière de son corps. Elle se replie sur elle-même, brandissant son derrière comme une arme et d’un orifice jaillit une lance blanche et visqueuse.
Le fluide s’accroche à la soie en hauteur. Lorsqu’elle se balance, tenu par le produit de ses entrailles, l’araignée balance ses pattes en l’air, paniquée.
Tous ses organes sensoriels sont droits comme des aiguilles. La créature s’accroche à sa corde organique, et progressivement, pose le bout de chacune de ses pattes dessus, avant de se hisser.
C’est difficile, elle ne connaissait pas le poids de son corps, et notamment de ce derrière qui se cachait à elle. Mais elle grimpe petit à petit, gagnant en aisance, manipulant la soie comme une couturière la laine.
Bientôt, elle retrouve le plancher des arachnides, et ses organes érectiles se relâchent lentement de toute cette tension accumulée. Bien vivante, l’araignée poursuit sa quête de lumière.

De plus en plus à l’aise, elle évolue maintenant sur les fils de soie comme on patinerait sur la glace. Ses pas sont davantage des poussées qui laissent ses pattes glisser le long de cordes subtilement lubrifiées.

Elle avance ainsi, jusqu’à ce qu’elle parvienne dans un espace où la lumière forme un trait si long qu’il joint les deux extrêmes de la verticalité.

L’abysse est fendu. De ce rai incandescent, jaillit des braises crépitantes qui pétaradent en se détachant de la plaie céleste. L’araignée essaye de voir jusqu’où cela monte, mais elle sent les poils de son dos au sommet de sa tête. Puis elle essaye de voir jusqu’où elle descend, mais il faudrait qu’elle s’arrache les mandibules pour regarder plus bas.

L’éclairage, lui permet de voir l’étendue de la toile, qui couvre l’entièreté d’un espace si vaste que l’obscurité est son horizon. Partout, au-dessus et en dessous d’elle, des formes acerbes affleurent. Elles suggèrent une méga-structure, une prison ou un berceau, dans laquelle elle serait née sans jamais le savoir.

Elle envisage la toile, et se rend compte que certains fils pendent en contrebas et au plafond. Différentes strates de la toile semblent se superposer, désormais déconnectées.

C’est alors qu’elle sent quelque chose tomber au-dessus de sa tête.
Elle se prostre, rentrant sa tête derrière quatre de ses pattes. Derrière son rempart de membres fins de poils hirsutes, qui vibrent en se tenant prêt à repérer la moindre irrégularité, elle sent un liquide tiède couler le long de son visage, et se glisser sous ses mandibules.

Soyeux, épais, lourd.

Gras.

Elle ose lever la tête, et découvre des formes torturées.

Des bâtons crispés, figés dans le temps, la chair dévorée par des éons de silence et d’immobilité.

Huit pattes recroquevillées sur un corps replié sur lui-même.

L’araignée regarde ses pattes, et compare avec les proéminences de cette sculpture de poussière sombre.

Ses yeux osent explorer les autres formes des myriades de toiles au-dessus et en dessous.

Des milliers.

Des milliers se sont éteintes. Suspendues par les fils de leur labeur.

Cette immobilité ressemble à un sommeil.

Mais d’instinct, elle sait qu’on ne s’en réveille pas.

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