La cosse

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Lorsque ses yeux s’ouvrent à nouveau, la machine est notifiée de son temps de veille.

Environ quarante-deux jours.

À ses pieds, elle voit de nombreuses formes organiques qu’elle ne se souvient pas avoir vues lors de sa mise en veille. Enroulées autour de ses jambes, s’insinuant jusqu’entre les plaques de fer qui la recouvrent, des plantes grimpantes s’épanouissent.

La machine soulève l’une de ses jambes, et force pour pouvoir se dépêtrer de cette étreinte. Elle lève la tête, et découvre que partout autour d’elle, les plantes ont envahi le sol pourtant stérile.

Après analyse, ces fleurs sont connues de ses banques de données.

À perte de vue, des poinsettias. Une variété particulière, l’Euphorbia milii, très spécifique, une fleur couverte d’épines.

Quant à savoir pourquoi elles ont poussé, voilà un mystère que ses banques de données ne sauraient résoudre. Elle analyse plus précisément une fleur proche, et découvre que de la matière organique d’une nature inconnue pousse dessus. Son pistil est rosâtre, comme un bouton de fleur qui suinte de sébum.

Très curieux. La machine enregistre l’information et se remémore son objectif.

Le sommet de la montagne.

Elle fait un pas en avant, et marche à côté d’un épais buisson de fleurs, si dense que même dans le paysage désormais floral de vert et de rouge rosé, il paraît incongru. Elle passe ses mains autour des feuilles qui masquent l’origine du buisson et elle découvre un corps enseveli…

dont des tiges et des fleurs jaillissent.

Il semble que l’homme ait servi de terreau. Destin à nouveau curieux, sa matière organique n’est pas suffisamment décomposée pour enrichir le sol, d’autant que les racines se sont immédiatement formées dans son corps.

Rien n’est cohérent avec le fonctionnement d’un végétal.

En poursuivant son observation, la machine repère une curieuse raideur cadavérique qui a maintenu en l’air le bras et la main de l’humain. En se rapprochant de cette dernière, elle découvre une forme étrange, une protubérance organique de la taille d’un melon qui a poussé dans sa paume.

C’est végétal et organique. Ça ressemble à deux lèvres closes rosâtres réunies en une cosse.

Il y a même des traces de gerçures sur les moitiés de cette chose. C’est si singulier que la machine approche sa main pour tirer la cosse.

Lorsqu’elle la saisit, elle se met à remuer sous ses doigts de fer.

Mais la machine n’a pas de scrupule à la tirer et à l’arracher de la main du cadavre, emportant avec elle un enchevêtrement de racines, tiges et veines amalgamées.

Du sang mêlé à de la chlorophylle coule de la plaie qui a éclaté la main comme une fleur de chair.

La machine ne saurait identifier si elle vient de nuire à un être humain, ou d’enrichir sa banque de données d’une nouvelle connaissance.

En tout cas, la cosse palpite dans sa main, et les lèvres remuent en faisant vibrer les racines végétales et organiques :

« Emmenez-moi… au sommet de la montagne. »

La machine pose les lèvres-cosse dans la paume de sa main, et la regarde.

Elle n’a jamais vu un humain semblable. C’est un propriétaire bien singulier. Il est même possible qu’à l’instar des perruches et perroquets qui peuvent formuler des mots, ce ne soit pas à proprement parler un propriétaire digne de ce nom.

Mais son ordre est cohérent avec le dernier ordre en date.

La machine se sent autorisée à répondre :

« D’accord, mettons-nous en route. »

Elle s’exécute, sous les respirations saccadées de la cosse, qui tire avec elle une traînée de racines qui emmènent avec elles des organes qui palpitent.

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