La Muraille Céleste

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L’ascension de la montagne ne pose pas la moindre difficulté à la machine, sauf lorsque le convoi organique s’accroche à une roche. Chaque fois, elle revient sur ses pas pour décoincer la masse et poursuivre sa route.

Ensemble, elles progressent lentement. Le robot est notifié de la baisse de sa batterie en temps réel.

Soixante-seize pour-cent pour l’instant. Cette valeur ne devrait pas baisser trop significativement tant que la connectique interne demeure en bon état.

La machine lève la tête et voit désormais le mur horizontal des nuages. Plus elle grimpe, plus elle détecte que l’air est saturé de pollution rémanente qui ne peut s’échapper de l’effet de serre. Elle pénètre désormais dans une densité de carbone qui serait mortelle à un humain. Le mélange de plantes et de chair qu’elle emporte avec elle se nourrit de la pollution, des feuilles d’un vert impérial croissent sur les poumons. Des veines végétalisées remplacent progressivement le sang à mesure qu’il finit de s’écouler dans le sillage.

La machine analyse ce curieux phénomène, et l’enregistre. Dans sa main, la cosse respire et continue de psalmodier les quelques mots qu’elle est capable de prononcer :

« … Au sommet de la montagne… »

À proximité de la muraille céleste, les vents s’intensifient, ils deviennent si forts que la guirlande, maintenant plus végétale qu’organique, flotte dans l’air comme un étendard.

Le robot est à quelques pas de la masse sombre des nuages. Ils sont toujours aussi opaques.

Si bien que lorsque la machine les atteint, sa tête s’enfonce dans la masse avec difficulté. Elle a beau forcer sur ses jambes, leur densité est telle qu’elle ne peut les franchir en marchant.

Interpellée par cette nouvelle donnée, elle approche une de ses mains pour toucher la masse nuageuse. Sous la pression de ses doigts d’acier, l’écume de pollution se désagrège lentement.

Il faut qu’elle se creuse un passage. Handicapée par la cosse, mais incapable de l’abandonner, elle accroche son écharpe végétale autour de son cou, laissant pendouiller les lèvres jointes comme un pendentif.

Elle plonge ses doigts dans la masse nuageuse, et creuse, progressant lentement dans la muraille de pollution.

En enlevant des morceaux, un liquide épais et sombre coule sur les bras de la machine. Une sorte d’huile, dont elle analyse la composition.

De l’eau. Des rejets industriels de toutes sortes, du plastique, des résidus de goudron.

La machine considère cette mixture avec intérêt, la regardant couler entre ses doigts.

Puis négligemment, secoue ses mains pour s’égoutter de cette matière. Elle ne pourrait même pas servir à graisser ses articulations.

La cosse, elle, se tortille pour que le liquide ne glisse pas entre ses lèvres.

Le robot poursuit son ascension, privée de la moindre lumière, dans son tunnel de nuages saturés.

La mélasse continue de lui couler dessus, saturant ses articulations et s’infiltrant dans son armature. Lentement, les mouvements de la machine sont handicapés par les rejets des nuages.

Ce surplus d’effort a un coût significatif.

Vingt-deux pour-cent.

La décision logique serait de revenir sur ses pas, trouver un moyen de recharger la batterie, ou la remplacer.

Mais le chemin du retour risque de mettre à plat la batterie. Et la cosse continue de murmurer :

« … Au sommet de la montagne… »

C’est un ordre.

Les minutes s’égrènent.

En dessous de dix pour-cent, la machine est programmée pour fonctionner en mode d’économie d’énergie. Les lumières de ses yeux s’éteignent, la dextérité fine de ses doigts se réduit, lentement, son corps devient plus lent.

La cosse sent la machine ralentir.

Mais le robot poursuit son labeur.

La lumière commence à poindre, derrière les quelques couches qui les séparent de l’autre côté de la muraille céleste.

C’est l’affaire de quelques coups de plus.

Un coup.

Deux pour cent.

Un autre.

Un pour cent.

Les doigts s’enfoncent dans le peu qu’il reste et tirent alors que les jambes de la machine ne répondent plus.

Elle peut à peine écarter le voile pour laisser s’infiltrer quelques rayons de lumière qui éclairent son visage où toutes les diodes viennent de s’éteindre.

Elle se fige devant la lumière, ses doigts libérés, le reste de son corps, piégé dans la muraille céleste.

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