Alors Sean est mort.

Pourquoi ai-je l’impression que tout le monde m’observe en classe ? Comme s’ils attendaient un discours de ma part sur cette perte tragique ? Il faudra patienter jusqu’à 11 heures 20 et la fin de la récré pour que la police arrive et interroge certains d’entre nous, à commencer par Max qui a l’air de connaitre l’un des flics. Puis vient mon tour.

« Vous étiez sa copine ?

— Exact.

— Ça allait entre vous ?

— Qu’entendez-vous par aller ?

— Vous vous êtes engueulés récemment ?

— Nous n’étions pas du genre à nous crier dessus, même quand cela n’allait pas.

— Excusez-moi, mais sa mort n’a pas l’air de vous chagriner…

— La vôtre ne me chagrinera pas non plus. Je peux retourner en classe ? On est proche des examens. »

Silence.

Les trois flics se regardent, un peu décontenancés.

« Encore une question. On l’a retrouvé avec un appareil photo sur lui. Il ne contenait qu’une seule photo, la vôtre. Savez-vous pourquoi ? »

Je suis étonnée qu’il ait pensé à moi dans ce moment-là, mais je réponds. J’explique le voyage en Grèce, le test qu’il devait accomplir à la soirée avec un de mes appareils (j’en profite pour demander si je peux le récupérer, mais malheureusement, c’est compliqué), le vol de 1600 euros et son comportement en dents-de-scie depuis mardi dernier.

Après une petite heure passée à discuter avec eux, ils me libèrent et me remercient.

Je regarde ma montre, la récré de midi a déjà commencé. Je vais chercher mon sandwich et comme à mon habitude, je vais m’assoir au muret. C’est moi ou les gens me fixent toujours ? C’est à peine pesant, les gars !

Dans un silence inhabituel, je déballe ma nourriture et mord à pleines dents ma première bouchée. Rien ne vient perturber mon repas, si ce n’est un bruit de fond. Mais dans ce bruit, en me concentrant, j’entends des « c’est la copine du mort » ou « comment fait-elle pour ne rien ressentir ? » On connait tous l’adage : le plus dur quand on perd quelqu’un, c’est que tout le monde vous le rappelle.

« Salut. »

Je me retourne, c’est Ed qui vient d’apparaitre. Je ne réagis pas, juste un signe de la main.

« Je viens de parler aux flics, toi aussi ?

— Mmmm, fis-je de la tête.

— Il te manque ?

— Non, répondis-je. »

Silence.

« En fait, je voulais te voir. Je… je… je dois te dire quelque chose d’important, concernant Sean. Mais je ne sais pas si je dois te le dire.

— Ne me le dis pas, alors.

— Tu ne veux pas ? »

Il a l’air surpris de ma réponse, je le regarde dans les yeux du plus sérieux possible.

« Il s’est suicidé, Ed, et je ne l’ai pas vu. Tu veux me dire quoi ? Que j’ai été une mauvaise copine qui se foutait de tout ? Si ça te soulage, vas-y. Raconte ! Sinon, laisse-moi passer à autre chose. »

Silence.

« D’accord, je comprends. »

Et il s’en va, me laissant de nouveau seule. Je me demande si ce n’est pas plus dur pour lui que pour moi. Ed n’est pas non plus du genre à s’entourer de beaucoup d’amis. Et cette école n’est qu’un passage dans nos vies, après tout. Il reste quoi ? Quelques semaines avant les grandes vacances.

Je t’aimais bien, Sean, et je suis contente d’avoir parcouru une partie de mon existence avec toi. Mais comme déjà discuté, on n’aurait été nulle part à deux sur le long terme. Moi, j’irai étudier la photographie, et puis ma vie d’adulte commencera. Et toi, tu viens de terminer ta vie d’enfant.