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À la base, j’étais pas tellement pour.

C’est Eugénie qui souhaitait m’tenir les guiboles pendant des plombes avec son type. Me cause, me cause, me cause, me cause mais même en me concentrant, ça n’m’intéresse pas. C’est comme si elle s’appliquait à canaliser des efforts pour que ça soit régulièrement à chier. En vérité, j’pense que cette golienne cherche juste pour mon approbation. Que je lui raconte que c’est pas d’sa faute, qu’elle a raison, que l’autre c’est un connard et que tout ira bien.

Oui mais alors un autre verre parce que j’suis pas capable. Le serveur, garçon très moyen, m’refile ma pression pendant qu’les enceintes diffusent Some Say des Sum 41 et qu’Eugénie bifurque sur ses problèmes à la maison, c’qui me fait songer qu’le pater va encore s’plaindre que je lui raconte que dalle si j’l’appelle pas style bientôt. Eugénie revient furtivement sur son mec mais m’avoue qu’elle voudrait s’faire démonter par Daniel qui, je crois, est pédé. Oui, c’est vrai qu’il a quelque chose mais bon dieu, au royaume des imbéciles c’est pas lui qui renverserait le pouvoir, autant être honnête. Mais Victoire qu’elle me sort, je te parle pas d’ça, j’t’explique juste que je veux sa queue dans l’cul. Oui, d’accord, m’enfin, j’sais pas. J’soupire en fixant son haut extensible et elle s’avachit sur la table puis crache :

- De toutes façons, il est pédé.

- Je crois aussi.

- Ah bon ?

- Beh oui. Non ?

- Je sais pas.

- Moi non plus.

J’voudrais m’en aller, j’trouve cette situation d’un chiantisme défiant la légalité mais j’écoute jusqu’au bout par respect. Paraît qu’le serveur moyen me mate le derche. Tout le monde mate le derche de tout le monde ma belle, ça n’a aucune importance. Non mais toi, vraiment, y t’reluque depuis qu’on est là. Qu’est-ce que tu veux qu’ça me foute ? Non mais j’te le dis. D’accord.

Souviens-toi, Victoire, souviens-toi que tu n’as pas assez d’amis pour t’permettre de les insulter.

On arrête enfin de parler.

J’hésite à me lever pour enfoncer ma langue au fond de l’bouche du serveur mais je me dis que si c’est pour me dégoûter deux secondes après, autant rester assise. Oui mais comme ça, il arrêtera d’me reluquer. Ou pas. J’en sais rien. Après tout, c’est toi, Victoire, qui a pour habitude d’appuyer sur la plaie lorsque ça saigne afin d’assourdir la douleur ; ça doit juste être ça. Peut-être mais justement, c’est pas certain.

J’allume une clope en pensant, sans trop savoir pourquoi, à ce que Chirac pourrait bien foutre en ce moment. Eugénie veut un café. Le serveur amène un café et, effectivement, y regarde plus ma cheutron que son plateau à la con c’ui-là.

J’voudrais m’en aller.

Réussi à larguer Eugénie et son ras-du-cou élastique en prétextant que le pater est en ville. Elle sait qu’il me manque et, en tout état de cause, elle avait terminé de me raconter tout ce qu’elle avait à me raconter depuis la dernière fois qu’on s’était vue, à savoir hier. Ouvre un journal intime meuf ou fais un CAP coiffure, j’en sais rien.

M’arrête au parc où j’crame Axel et Julien allongés sur l’ventre, dans l’herbe, avec une carabine à plomb chacun sous le bras. Zieutent des machin-choses avec une paire de jumelle qu’y s’passent et s’repassent de temps à autres. C’est étrange, j’ai l’impression d’avoir déjà vécu cette situation.

Continue Le Prince de Machiavel sur le premier banc libre que j’ai déniché mais une salope d’obèse lesbienne (sans doute) s’est mise à photographier les canards derrière-moi en riant grassement. Sans déconner et ça continue, en plus ! Mais qui peut faire autant de bruit sans s’en apercevoir, c’est pas permis ! Meuf, c’est des putains de canards ! Qu’est-ce qui te fait marrer dans les canards ?! Je me retourne pour être sûre, y’en a deux qui se battent pour un morceau de pain. Et c’est ça qui te fait rire ? Putain. C’est quand même pas légal…

Obligé d’me tirer du parc, plus envie d’lire.

J’croise Clément qui me fait signe de la main. En train de garer sa moto devant la bibliothèque. L’aime bien Clément, il est sympa. Y m’demande si je veux l’accompagner, puis comme ça, je pourrais le conseiller. D’accord. En montant les marches vers le rayon adulte, y me souffle :

- Hé, Victoire, t’as commencé le devoir d’histoire ?

- Quel devoir ?

- Le devoir.

- Ah oui, le devoir.

- Tu l’as commencé ?

- Je sais plus, j’te dirais.

On s’arrête devant les livres de philosophie et on se conseille des trucs. Y connait pas bien les penseurs classiques alors ça l’arrange que je sois là parce que je connais un peu. Il acheté les Pensées de Marc Aurèle, me prévenant que si c’est d’la daube, ce sera d’ma faute. J’ai la dalle. On redescend dehors et Clément enfourche sa moto puis m’remercie de mon aide. Silence.

Le regarde décarrer.

J’me demande pourquoi j’accepte encore d’me faire fourrer par Frédéric. Il sait baiser mais c’est tout. En plus, il avait suffi d’un claquement de doigt pour lui faire baisser son froc, y’avait rien d’excitant. Il sait juste baiser. Putain d’Frédéric.

Deux imbéciles se mentent sur un banc public et un vieux chien traverse la route.

J’attends mon car. Je crache sur l’abribus. Puis j’attends mon car à nouveau.

Rentrée chez-moi, je mets Jours Étranges dans le lecteur puis j’vais prendre une douche.

Ça fait deux heures que j’fixe le plafond, nue, en écoutant la même chanson en boucle. Trois joints cramés. Je pense à Axel puis Julien, me demande c’qu’y foutaient avec leur carabine à la mords-moi l’nœud. Eugénie m’appelle sur mon portable mais j’réponds pas.

J’voudrais m’remettre à peindre. Un jour, peut-être.

J’hésite à m’toucher. La flemme.

Damien m’filait plus d’orgasmes que Frédéric mais Damien s’est barré parce que j’arrivais pas à le faire jouir. Lula a tenté puis elle a fait courir le bruit qu’il avait un petit sifflet (ce qui est faux).

J’allume la radio sur Noir Désir puis ça passe à Jacques Brel. Vous écoutez Nostalgie ! Oui, effectivement. Je change de station et un journaliste raconte que c’est la merde, tout explose, même les gens. Ensuite, un éditorialiste répond qu’c’est la faute des autres et puis un autre lui réplique que c’est surtout la faute des riches. Un analyste démographe dit qu’oh lala, ce n’est pas possible et puis maintenant, le bulletin météo mais avant des images de ce qu’il se passe en direct en Syrie. Après les prévisions pour demain, un ministre dont j’ai zappé le nom explique que y’en a marre d’entendre que sur le Coran de la Mecque, je vais te fumer dans les rues de Paris mais le journaliste en face lui répond que c’est faux, le Coran interdit de fumer. Un chanteur révolutionnaire d’après ce qu’y raconte s’penche visiblement sur son micro et crache que les fils de pute au pouvoir s’prennent pour des rois et que dans la matrice, on se fait violer.

J’regarde l’auteur assis sur le rebord du lit qui grimace en haussant les sourcils. J’me retrousse les manches pour bouger et puis j’change de station pour que Goldman m’explique qu’il suffira d’un signe, un matin et tout et tout.

J’attrape mes clefs, enfile le minimum syndical et descend dans la rue, au fond de la nuit.

J’fais le tour de Paul Long en m’arrêtant quelques minutes pour observer la cour du lycée depuis les hauteurs, les reflets d’argent contre les murs blancs et les jeux d’ombre sur le local à vélos.

L’auteur m’glisse qu’il pensait ne jamais vieillir. Qu’il continuerait sa mission de ne rien craindre. J’dis qu’c’est sûr. Bon, allez, redescendons vers la place Clémenceau, nous y trouverons… deux anarchistes sans-abris (pléonasme) dans l’parc qui me proposeront, donc, de m’arrêter pour partager un joint.

Un mec et sa donzelle.

Ensuite, on traîne ensemble sur les trottoirs, droit dans le noir. Sous les feux, on se raconte des histoires même si je ne dis rien, cernée par les voitures qui s’engagent. Les lumières clignotent et on avance. J’entends une canette de bière s’ouvrir. Deux. Trois. On m’en passe une. J’en vide une bonne partie avant de m’essuyer les lèvres d’un revers d’la manche. Comme ça qu’on fait à Dublin.

J’achète trois douiches au jambonneau dans une épicerie scintillante de néons et on s’les bouffe devant les rails près de la gare routière. L’un des anars me raconte des mythos aussi gros que Magalie pendant que l’autre récite du Rimbaud. Une étoile nous fait des appels de phares et deux mouches se posent sur mon épaule et m’disent qu’on s’reverra avant la fin. J’rigole nerveusement puis le chatoiement sanglant d’une voiture nous bouscule tandis que d’la fumée vient conquérir jusqu’à nos arpions. Frissonne de froid lorsque l’un des anarchistes m’tend une clope, j’dis que d’accord. Un train passe. J’allume ma cigarette en regardant la locomotive s’enfuir dans l’horizon clair de nuit. J’trouve un cédé brisé dans l’herbe et même deux capsules de bière que j’ai pas encore. J’entends quelqu’un dire que l’important, c’est d’y croire. J’hausse les épaules, sceptique et l’auteur soupire. Une tape dans le dos, j’me retourne et attrape le joint qu’on me tend, où tout ça nous emmènera qu’on m’demande. Je tire sur le tarpé et réponds et que c’est certain.

Je fais craquer mon cou et puis mes mains.

Hm, le croissant d’aurore alors on se fait, on se fait comme des adieux. Le temps de ramasser une nouvelle capsule et les anarchistes ne sont plus là. L’auteur explique que y’a eu un coup de vent.

Je décide de rentrer.

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