Chapitre 1 : La dévastation

14 minutes de lecture

DOCINI

— Où suis-je ?

— Tu le sais très bien. Tu ne veux juste pas l’admettre.

Une quinte de toux l’ankylosa. Tant d’opacité l’empêchait de discerner correctement ses alentours : imposante silhouette ailleurs, elle se fragilisait sous l’épaisseur de la brume. De l’escarbille maculait sa longue chevelure dorée tandis qu’elle progressait sur un sol noirâtre, couvert d’aspérités. Mais au moment où ses yeux azurs se dilatèrent, elle réalisa où elle se situait.

Et ses veines se glacèrent comme jamais.

Au cœur du panorama ravagé s’étendaient les ruines. Il est trop tard. Je ne peux que témoigner. Je ne peux que déplorer. La fumée grise s’exhalait par-dessus vitres brisées, les toits arrachés, les portes démolies et les murs détruits. Là où les flammes avaient dominé, l’existence s’éteignait. Une cité naguère paisible, bariolant de nuances lorsque foisonnait l’activité, désormais le centre d’une vision ineffable.

Elle était incapable de savoir combien de dépouilles gisaient sur le tapis de cendres. À la naissance des sanglots s’inclinait le corps de cette femme affaiblie, traumatisée, impuissante. Genoux et bras ripaient sur les pierres coupantes pour un éclair de douleur si minime comparé à ce qu’elle subissait.

— Pourquoi m’avoir envoyée ici ? C’est un supplice de constater que je n’ai rien pu faire, que je…

— Car il le fallait. Ce ne sont pas les Terres Désolées qui se présentent devant toi. Ces ruines ne sont le résultat d’aucune magie. Au nom de la lutte contre cette essence naturelle, les destructions engendrées pourraient être pires que la catastrophe d’Oughonia.

Déjà les mots résonnèrent dans l’esprit tourmenté de Docini Mohild. Immergée ici-bas, d’apparence impotente, elle était pourtant équipée de tout son attirail. Sa houppelande ivoirine, striée de lignes diagonales rouges et bleu, surplombait sa cotte de mailles, et d’acier luisaient brassards, épaulières et jambières. Une cape ambrée descendait jusqu’à sa ceinture argentée sur laquelle pendait sa longue épée au fourreau mordoré.

Je suis censée être une guerrière redoutable. À quoi me sert cette force s’il m’est impossible de l’employer à bon escient, de brandir ma lame à temps ?

L’inquisitrice se rembrunit sous les yeux de l’autre femme. Mains croisés, sourcils arqués, Hatris s’était posée sur un rocher depuis elle observait le cataclysme depuis un angle différent. Docini détourna le regard afin de mieux la détailler. À bien des égards, la mage présentait un physique insignifiant : par-dessus son visage rond aux fines lèvres et aux iris marrons s’emmêlait une épaisse chevelure flavescente. Une robe smaragdine unie accentuait sa petite taille et sa minceur, en parfait contraste avec la carrure de Docini.

Elle détient un grand pouvoir. L’esprit sans le corps a été en mesure de produire ce paysage aussi terrifiant. J’imagine que Zech a conscience qu’une mage de cet acabit vit en lui.

— Hu hu ! s’écria Hatris. Je ne suis pas le centre d’attention de cette scène.

— Pardon, fit Docini. Mais lorsqu’on t’a décrite, on parlait juste d’une voix. J’ignorais que tu avais généré ton propre monde. Les possibilités de la magie sont définitivement infinies.

— Un compliment, donc ? La plupart du temps, cela dit, je vois exactement le même chose que Zech. Les horreurs de ces terres où malgré nos efforts, les mages continuent d’être persécutés.

— Et tu t’en inspires pour déployer les tiennes. Pour que je prenne conscience.

— Pas seulement toi. Tu occupes une position privilégiée, puisque tu es la deuxième personne, après Zech bien sûr, à apercevoir mon corps tel qu’il l’était avant que les inquisiteurs radicaux me tuent. Enfin, pour être plus précise, la projection de la façon dont je me souviens de mon corps. Que je sois tombée sur toi a été pratique pour développer mon propos.

— Tant que cela ?

— Hé oui ! Bientôt, sans doute, tu t’en rendras compte. Docini Mohild, j’avais peu entendu parler de toi avant ces dernières semaines. Et alors, crois-le ou non, la seule évocation de ton nom suffisait à faire frissonner les geôliers !

Le cœur de l’inquisitrice manqua un bond. Il lui était difficile de se détacher de cet environnement, toutefois s’accrochait-elle à cette conversation. Moi, j’inspirerais la peur ? Dire qu’il y a encore peu, ils me dédaignaient, me tabassaient, et je ne ripostais même pas.

Docini avança d’un pas. Quand ses guêtres frôlèrent le corps d’une enfant, des larmes la submergèrent toute entière. L’empyreume s’empirait, l’obscurité s’intensifiait. C’était comme si ce décor tout entier échappait au contrôle de Hatris, juchée au même endroit, devenue insensible par l’excès.

— Nul ne reste indemne après leur passage, déplora l’inquisitrice.

— Hélas, confirma Hatris. Depuis si longtemps, maintenant. Par peur de la mort, je me suis réfugiée dans une relique, attendant mon heure. Avais-je le potentiel de changer les choses dans le corps de Zech ? J’étais bien contente qu’Emiteffe tue Kalhimon, oui… Mais je n’avais pas anticipé combien Godéra était dangereuse.

— Oh, je l’ai vue venir… Elle m’a toujours terrifiée. Je nourrissais pourtant l’espoir que son inarrêtable rage ne soit orientée qu’envers moi. J’avais tort. Et j’étais trop faible pour l’arrêter. Si je n’agis pas au plus vite, alors ce cauchemar deviendra réalité.

— Tu reviens de loin, Docini. Semblable à Zech, en ce sens : tu avais rejoint le mauvais camp, il suffisait juste d’un peu d’aide pour t’ouvrir les yeux. Je me doute que ton parcours a été tumultueux, mais te voici. Cheffe de l’inquisitrice modérée de Belurdie. Libératrice de mages. Parée à affronter sa propre aînée.

— Je n’en suis pas si sûre…

— Nous nous allierons. Assez perdu de temps dans cette froide cellule : la guerre a tout juste débuté.

Sur ces mots s’amplifièrent davantage les rafales de vent. Une sensation vivace, clouant Docini sur place, alors que s’affadissait la vision. Les structures perdaient en netteté, l’odeur se dissipait, mais la pénombre ne promettait guère de disparaître.

Frappa la réalité en un clignement d’œil. Sursautant, l’inquisitrice se retrouva de nouveau face à Zech. Dans cette pièce envahie par l’humidité, où l’embrasure laissait entrevoir l’architecture tentaculaire des lieux. Docini haleta face au jeune homme dont elle s’était détachée du contact : lui aussi pantelait. La brillance de ses longues mèches orangées et l’éclat de ses yeux bleus s’étaient ternis tandis que sa figure avait encore plus pâli. Docini s’attarda surtout sur sa carrure. Il est amaigri… Ils l’ont torturé longtemps, et nous l’avons seulement retrouvé maintenant.

Libéré de ses liens, Zech tenta de lever le bras, mais même cela lui coûtait trop d’efforts.

— Merci, murmura-t-il d’une voix faiblarde.

— Désolée d’être arrivée si tard, s’excusa Docini.

— Il ne faut pas… Ce repaire est bien caché. Godéra m’a envoyé ici dans l’espoir d’arracher Hatris de ma tête. Ils n’ont jamais réussi, bien sûr. J’aurais cru qu’ils auraient fini par me tuer, mais vous êtes intervenus avant.

— Me voilà rassurée. Mais il faut encore te sortir d’ici ! Dois-je t’aider à bouger ?

— Ça devrait aller, je crois… J’espère que Janya va bien aussi.

Peu d’assurance flottait sur les traits ravagés du jeune homme. Une moue compatissante distordit les lèvres de Docini, et d’une volte-face hésitante, elle dégaina son épée. Mieux vaut être prudente. Où sont les autres ? Il a raison de mentionner Janya… Elle poussa l’entrebâillement de l’épaisse porte grise déjà lézardée. Sitôt dans le couloir, certaine que Zech savait se mouvoir, elle resta prudente. L’adversité demeure-t-elle ? Je ne perçois plus aucun tintement.

Docini et Zech cheminaient lentement le long de cette allée. Vacillaient les flammes des torches fixées sur la brique usée, éclairant un passage de sinistre vacuité.

— Tu impressionnes toujours Hatris, confia Zech.

— Je l’en remercie, dit Docini, manquant de s’empourprer. Mais je ne cherche pas l’admiration, juste l’efficacité.

— C’est honorable… Ça lui a fait du bien de s’adresser, non que ma compagnie lui dérange. Nous étions désespérés, tout ce temps. À la recherche d’une aubaine, sachant qu’en revoyant la lumière du jour, nous devrons combattre de nouveau.

— On m’avait décrite Hatris autrement. Optimiste à toute épreuve, au rire si atypique.

— Le visage qu’elle adore arborer. Hatris est plus complexe que ça. Plus… triste. Ce ne sera pas la dernière conversation que tu auras avec elle.

Docini médita sur ces propos. Sans être mage, je me retrouve en connexion si proche… Le flux doit circuler en moi, dorénavant. Elle était si focalisée qu’elle n’aperçut pas la première, même si elle les avait franchies en sens inverse. Zech l’empêcha de glisser, puis toutes deux descendirent d’autant plus vite qu’ils aperçurent une pléthore d’ombres s’étendre en contrebas.

Leurs camarades avaient remporté l’assaut.

Une multitude d’inquisiteurs modérés peuplaient cette salle qu’ornaient des oriflammes par-dessus les tables en pierre calées entre les râteliers. Par leurs capes flamboyantes, par leurs longues tuniques bariolées ou leurs solides cuirasses, et l’acier comme principale protection, ils se méprenaient à la branche radicale. L’exception se trouvait sur leur poitrine, où fulgurait un symbole d’orbe en lieu et place de l’épée.

Et pendant que tout un chacun louangeait, hormis les radicaux réduits à l’état de cadavres ou de prisonniers, une seule inquisitrice retenait l’attention de Docini. Ouf… Elle est vivante. En forme. Presque souriante.

Tout ce temps à guerroyer n’avait guère déparé la douceur de ses traits. Ces derniers mois, sa sveltesse s’était affermie, et l’épée en acier lui seyait tant que sa tunique ivoirine ajustée à sa taille. Sur son faciès satiné où creusaient ses fossettes s’ouvraient des yeux bruns qui dévoraient inlassablement son amante. Au mépris du regard d’autrui, quoique des sourires étiraient leurs lèvres, Édelle Wisei se jeta sur sa partenaire.

Le cœur de Docini battit la chamade au moment où elle embrassa sa partenaire. Paupières closes, ses doigts s’enroulèrent autour de ses lisses cheveux châtains, tandis qu’Édelle l’enlaçait autour de la taille. Nous nous sommes retrouvées après une séparation si éphémère. La cheffe la fixait tant que les paroles autour d’elles se diffusaient en imperceptibles échos. Du baume la submergeait comme ses muscles s’étaient détendus.

Après une minute à profiter du moment, Docini s’orienta vers ses subordonnés, sans pour autant lâcher Édelle. Ils se focalisaient sur Zech qui avait à peine achevé de descendre les escaliers. Parmi eux se précipitait Taarek Diosis. Tout juste l’ancien prisonnier cilla, avant de finalement reconnaître son partenaire de toujours, hoquetant de stupéfaction. Une cape pourpre attachée aux épaulières, Taarek avait récemment troqué le symbole de l’épée pour celui de l’orbe, pour que plus jamais il ne fût confondu avec les inquisiteurs radicaux. La sombreur de sa carnation égalait celle de ses cheveux crépus mi-longs comme son nez camus s’effaçait face à l’intensité de ses iris mordorées.

Lorsqu’il prit son ami dans ses bras, soulignant un effarant contraste de carrure, Docini soupira de soulagement. Depuis combien de temps sont-ils séparés ? La scission de l’inquisition paraît si lointaine… Tous aperçurent les pleurs de joie de Zech et applaudirent en conséquence. Le jeune homme s’était effondré sur son partenaire qui le tenait fermement et qui pleurait tout autant.

— Je ne t’ai pas rejoint lorsque c’était nécessaire, se dolenta Taarek. Je me suis enfui au lieu d’assumer une position. Si j’avais fait un choix différent, ce jour-là… Tu n’aurais peut-être pas torturé.

— Tu ne pouvais pas savoir, pardonna Zech. C’était une décision difficile… L’important, c’est que tu sois là. Sains et saufs… Même si vous avez dû faire des sacrifices pour me délivrer. Est-ce que ça en valait la peine ?

Taarek opina avec assurance. Zech continue d’exprimer ses hésitations. Qui suis-je pour l’en blâmer ? Il resta à proximité de son ami au moment où une nouvelle voix perça dans la clameur.

— Zech ! s’écria-t-elle. Tu ne salues pas une autre vieille amie ?

L’accolade se fit plus brève. Elle est là, en forme. Même si elle tente de dissimuler ses cicatrices. Janya avait un teint de peau similaire et une chevelure attachée en chignon à Taarek et compensait la finesse de son gabarit par sa grande taille. Des haillons semblables à Zech la ceignaient, sans altérer la fermeté de ses traits et de ses yeux. En dépit de son sérieux coutumier, malgré les lacérations récoltées durant son incarcération, elle continuait de sourire.

— J’imagine que c’est fait, dit Zech en haussant les épaules.

— Ils ont essayé de te détruire et ont échoué, se réjouit Janya. Bon, tu n’es pas au meilleur de ta forme, mais on te remettra d’aplomb bien vite !

— Il ne s’agit pas seulement de moi… Tu étais prisonnière !

— Ils m’ont laissée tranquille, comparé à toi… Je suis même étonnée qu’il ne m’ait pas exécutée. Toi, par contre… Je pensais à Hatris. Comment se sent-elle, d’ailleurs ? A-t-elle subi toute la souffrance qu’ils t’ont infligé ? Je ne veux peut-être pas savoir…

— Je ne parlais pas d’elle non plus…

Plus Zech s’exprimait et plus il semblait blêmir. Davantage que nous tous, il doit se reposer. Docini pencha la tête, gardant sa main sur celle d’Édelle, et avisa combien le jeune homme la dévisageait.

— Cheffe, souffla-t-il. Loin de moi l’idée de paraître dramatique, mais… L’heure est grave. Hatris le murmure, je le confirme. J’ai longtemps pensé qu’il suffirait d’arrêter Godéra. Maintenant, même si elle représente toujours une menace, elle n’est qu’une figure parmi tant d’autres.

— Tu entends quoi par là, Zech ? s’inquiéta Taarek. Nous surveillons toujours ses faits et gestes, mais depuis la bataille de Thouktra, aucun mage, garde ou inquisiteur modéré ne l’a croisée !

— D’après ce que j’ai entendu, elle ne se repose plus juste sur son inquisition.

Un froid s’abattit subitement. Murmures et frissons se propagèrent dans une salle où l’allégresse périclitait. Faute de trouver quoi formuler pour rassurer ses subordonnés, Docini les héla, et ils se dirigèrent vers l’extérieur en la talonnant. J’étais consciente que Godéra était tenace. Mais la symbolique est bien présente…

Le chemin vers la sortie était jonché de cadavres, aussi entendirent-ils les pleurs de leurs ennemis prisonniers. Les nuances éclatantes de leurs tenues contrastaient avec l’anthracite des murs et même de la corniche placée au-dessus de la lourde porte d’entrée. Alors qu’une brise glaciale s’infiltrait sous les vêtements de Docini, elle songeait à ses anciens confrères et consœurs dont elle devait enjamber les dépouilles.

Ils ont fait le mauvais choix. Certains ne s’en apercevront jamais, d’autres passeront leur vie derrière des barreaux pour en méditer. Qui peut encore être raisonné ? Une bonne partie de l’inquisition modérée prouve que c’est possible. Mais pour les autres… Je ne dois pas avoir peur de verser le sang. Je ne suis plus l’ombre de personnes qui me haïssent. Je suis l’épée qui se dresse contre eux.

Docini fut la première à regagner l’extérieur où s’amoncelaient des nuages gris. D’autres corps emplissaient le creux d’une vallée qu’emplissaient les érables argentés et une sensation de froid submergeait les vivants postés de part et d’autre du fleuve Chetlas, à la bordure des frontières belurdoises, enthelianaises et myrrhéennes. Mais le clapotis de l’eau ne promettait pas d’apaiser leurs esprits tant jaillirent leurs autres compagnons.

— Ha, voilà ! s’exclama une femme que Docini reconnut aussitôt. Vous les avez sauvés ! Je savais que vous y arriveriez ! Entre alliés, on ne s’abandonne jamais.

Un timbre chevronné modelait sa voix déjà grave. Sous ses ordres suivaient des dizaines de gardes enthelianais qui se distinguaient peu avec leurs broignes ou brigandines en fer ou en cuir, mais dont le soutien était sans faille. De bleu flamboyait la tenue de leur cheffe hormis son heaume conique qu’elle ôta d’un geste sec, dévoilant les pointes de sa chevelure noire. Sur sa figure blafarde creusaient des cernes et ses yeux semblaient s’être jaunis récemment.

Je l’ai connue après les tragédies qu’elle a subies… Elle feint d’être en forme, mais je peux ressentir son mal-être.

— Vendri ! interpella Zech. Je ne t’ai pas vue depuis… Notre séparation.

— Je sais, répondit la garde. Si j’avais prédit ce qui vous arriverait, je vous aurais accompagné…

— Personne ne t’en veut pour quoi que ce soit, rassura Janya. À Thouktra, c’était l’horreur. Nous n’avons même pas assisté à la bataille. Nous n’avons pas su les protéger. Nos geôliers nous ont raconté ce qu’il s’était passé. Jawine assassinée… Je ne l’ai pas connue longtemps, mais c’était une femme courageuse et déterminée. Ça a dû être tellement dur pour toi…

— Pour moi, oui. Mais ce n’était rien comparé à Fliberth.

— Fliberth… Où est-il d’ailleurs ?

— Il est parti. Le chagrin le submergeait tant qu’il se sentait incapable d’assumer son rôle de meneur de la garde enthelianaise. J’ignore quand il reviendra… ni même s’il reviendra.

Vendri se pinça les lèvres ce disant, et la morosité se transmit à ses interlocuteurs. Voilà pourquoi je n’ai pas rencontré ce Fliberth. Où qu’il soit, j’espère qu’il va bien. Peut-être qu’il ne sait même pas que j’endosse désormais le rôle d’Emiteffe. Tenter une approche lui était futile, car regards et hochements de pleine signification s’échangeaient déjà. Entre ces figures atterrées témoignaient des inquisiteurs taciturnes, incapables de combler le mutisme.

Au-delà des armes rengainées et des mines rembrunies s’érigeait pourtant un inébranlable bastion. D’aucuns s’attifaient des robes typiques associées à leurs rôles, d’autres avaient favorisé de légers renforcements en cuir. Nos alliés qui nous secourent en retour. Beaucoup de ces mages observaient minutieusement le repaire, depuis les tours tutoyant la canopée à ces entrailles s’enfonçant sous les racines et buissons du sol boueux. Mais il y en avait un qui s’intéressa particulièrement à Zech.

À première vue, ce jeune homme à la peau claire paraissait insignifiant. Une veste en velours verdâtre aux boutons métalliques soulignait sa mince stature tandis que sa queue de cheval surmontait son faciès imberbe où ressortaient son nez aquilin et ses yeux bleus. Tous étaient cependant conscients du rôle qu’il endossait. De l’aura qu’il extériorisait par sa simple présence.

Saulen Diasan. Est-ce enfin l’opportunité pour lui de se mettre en avant ? Son père était un mage connu, et ma sœur l’a décapitée sans la moindre pitié pour son état. Désormais son pouvoir est plus grand que jamais… Pas seulement le sien.

Le mage se plaça par-devers Zech qu’il fixa profondément. Face à une telle insistance, le jeune homme peina à soutenir le regard : ce fut comme si un jet de foudre l’avait fendu. Nombreux étaient les témoins à rester pantois sous la puissance canalisée.

— J’ai compris, souffla l’ancien prisonnier. Ton père, paix à son âme, était censé être le réceptacle de l’esprit d’Emiteffe. Ce rôle t’incombe, maintenant.

— Depuis plusieurs mois, confirma Saulen. Et de nous tous, tu es peut-être le seul à me comprendre. Une mage habite aussi ta tête en permanence.

— Et Hatris est très différente d’Emiteffe, crois-moi.

Zech et Saulen parvinrent à rire bien que ce fût éphémère. À défaut de les rejoindre, Docini esquissa un sourire qu’imita sa compagne dont elle tenait toujours la main. De belles retrouvailles en dépit des circonstances. Ne serait-il pas maintenant temps de partir ? Ils s’apprêtèrent à accomplir un demi-tour lorsque Vendri toussota, manquant de vaciller.

— Autre chose à annoncer ? s’enquit Édelle.

— J’avais oublié, signala-t-elle. J’ai reçu des nouvelles de Dathom Eltecan, le chef de l’armée enthelianaise. Il a été envoyé par les souverains du pays et a commencé le soulèvement de ses troupes. Il nous retrouvera en temps voulu.

Soudain Docini lâcha la main de sa bien-aimée. Des mots se calèrent d’abord dans sa gorge comme des frissons courbèrent son échine. Si l’armée enthelianaise nous aide, cela ne peut vouloir dire qu’une chose… Elle prit la parole au milieu d’un groupe d’alliés estomaqués :

— Alors nous y sommes, déclara-t-elle. Ce que tu suggérais plus tôt, Zech ?

— Je le crains, dit le concerné. Pendant longtemps, du moins ici, c’était une guerre presque privée. Juste deux branches d’une même inquisition en conflit. Gardes et mages nous ont ensuite rejoints. Escarmouches, attaques de repaire, enlèvements étaient censés rester entre nous.

— La bataille de Thouktra était le point de non-retour, déclara Vendri. Tôt ou tard, il fallait que ça se généralise. Les positions ont été assumées. La Belurdie reste alliée à l’Empire Myrrhéen. L’Enthelian soutient la cause des mages. Ce n’est qu’une question de temps, au mieux de semaines, avant qu’il n’y ait une déclaration de guerre.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Saidor C ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0