Chapitre 2 : Réunion attendue (1/2)

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JIZO

Les îles Torran sont derrière nous. Mais les souvenirs demeurent.

Jizo quémandait rarement la solitude. Lorsque venait la fatigue, accompagnée des susurrements de l’opiniâtre présence, il préférait s’allonger auprès de ses deux amies. Des réminiscences le hantaient certes toujours, mais les endurer en devenait plus aisé grâce à leur soutien.

J’ai de la chance qu’elles soient là. Pour combien de temps encore ?

— D’obscures pensées t’accablent, constata Vouma. Il faudra y remédier. Pour les événements qui suivent tu te dois d’être en forme… Et pas que physiquement.

Le hublot latéral filtrait les rayons solaires qui éclairaient la pernicieuse silhouette. À la coruscation de ses yeux mordorés s’opposait la noirceur de son teint. Petite et grêle femme au visage oblong, elle affectionnait toujours porter des chemisiers en coton et un foulard vert à hauteur de son collier ambrée. Ainsi se présentait son ancienne maîtresse, d’esprit tangible et de corps rejeté, écartant les bras pour mieux se mettre en exergue.

Même le soupir de son ancien esclave échoua à la faire vaciller.

— Le temps passe et tu ne me laisses jamais en paix, se plaignit Jizo.

— À quoi t’attendais-tu ? répliqua Vouma. Je ne peux errer sans m’adresser à toi, sinon je me lasserais bien vite dans ces conditions. Quoiqu’être témoin de ce que tu vis est déjà trépidant.

— Trépidant ? Tu auras beau prétendre le contraire, tu admets donc que la violence te divertit.

— Quelle accusation ! Elle me révulse du plus profond de mon être, mais dans mon état, je suis bien incapable d’aider !

— Comme si les notions de courage et de bonté habitaient ton corps d’autrefois…

Étendu sur le modeste lit calé au coin de sa cabine, Jizo se détourna de son ancienne maîtresse dont il entendait encore les râles. Il en esquissa un sourire qui s’effaça aussitôt quand il revint sur la lettre posée entre les plis de la couverture.

Si souvent il l’avait relue. J’ai toujours du mal à croire que c’est réel… La destination me permettra d’en avoir le cœur net. Peu de doutes étaient cependant permis : il avait reconnu leur écriture tout comme leur signature. Tréham et Wenzina, illustres guerriers dimériens, mais surtout ses parents, étaient partis en quête pour le retrouver. Ils affirmaient être arrivés à Lunero Dogah, depuis lequel ils avaient espéré le rejoindre, toutefois un conflit de nature imprécisée les y avait retenus. Ils avaient promis de le régler avant d’entreprendre la mer.

Jizo n’avait pas eu cette patience. Soutenu par ses deux amies, il s’était aussitôt jeté sur le premier navire en mesure d’accélérer les retrouvailles.

Plus rien ne nous retenait à Ymaldir Hadoan, de toute manière. Il ne reste plus qu’à tourner la page de cette débâcle… Si seulement c’est possible.

Les souvenirs assaillaient par intermittences. Crissait le sordide rire de Cynka lorsqu’elle expirait le dernier souffle, jetant la lance vers l’enfant tant protégé. Une scène vécue selon chaque angle, chaque temporalité, où le moindre geste aurait pu changer le cours des événements. Il avait brandi son sabre sans l’affecter. Il s’était dressé sans pouvoir le secourir.

Est-ce que les sanglots d’Irzine se sont apaisés ? A-t-elle trouvé la paix ? Je lui ai écrit une lettre et elle n’a jamais répondu…

Soudain la porte grinça, interrompant brutalement ses réflexions. Mais l’ombre qui se découpa par-delà le vantail révéla une silhouette prompte à le rassurer. Ses étroits yeux bruns ainsi que ses joues creuses s’inscrivaient sous ses longues et libres mèches de jais. Depuis son séjour sur les îles Torran, elle affectionnait les tuniques à galons et les amples pantalons en coton, lesquels s’accordaient à son gabarit fuselé. Jizo sentit ses muscles et ses membres se soulager dès qu’il avisa sa présence, d’autant plus que Vouma restait alors en retrait.

Parfois j’aimerais qu’elle reste en permanence auprès de moi. Voilà bien une volonté égoïste… Elle a sa propre vie à mener, et c’est le hasard qui a fait converger nos destins. Une main tendue vers son ami, et avec un sourire forcé sur une mine atrabilaire, Taori pointa du doigt le couloir d’où elle venait.

— Nous y sommes, annonça-t-elle.

Jizo se releva en croisant le regard attendrissant de son amie. Il plia la lettre qu’il posa dans la poche de sa tunique anthracite et étriquée avant de rejoindre Taori à qui il hocha la tête, tentant de s’insuffler de l’enthousiasme.

— Combien de fois as-tu relu cette lettre ? s’enquit la mage.

— Beaucoup trop, avoua Jizo. Non qu’elle n’ait aidé à vaincre le traumatisme et la culpabilité… Mais ça nous donne un nouvel objectif. J’ai toujours du mal à y croire.

— Justement, nous le saurons très bientôt.

Taori opina à son tour, après quoi ils gagnèrent le couloir de la caravelle. Aussitôt se heurtèrent-ils aux hommes et femmes d’équipage habillés d’épais gilets écrus, lesquels circulaient de part et d’autre de la passerelle. La plupart étaient d’une musculature imposante qui exhorta Vouma à les admirer. Nous avons voyagé longtemps avec eux, pourtant nous connaissons à peine leurs prénoms… La destination a importé davantage que le trajet. Parmi cette multitude, où chacun s’adressait à l’autre d’une voix forte et guttural, leur autre amie les accueillit d’un vif signe.

Jizo se précipita vers elle à brûle-pourpoint. Les coudes sur le bastingage, elle gratifia son compagnon d’un franc sourire étirant ses lèvres pulpeuses. La noirceur de ses cheveux lisses dont elle avait attaché une messe en tresse s’accordait avec celle de sa peau libre de toute imperfection. Une veste violette en velours soulignait sa sveltesse : autrefois si grêle, son parcours avait renforcé sa carrure pour mieux ressembler à celle de son camarade de toujours.

Rares étaient les occasions atténuant son optimisme. Du moins était-ce le cas avant le décès de Larno : depuis lors, plus jamais Jizo n’avait décelé une véritable gaieté sur ses traits. Elle essayait, elle esquissait, et échouait. Nwelli a résisté si longtemps. Elle a affecté, comme nous tous. Sans son idéalisme, comment pouvons-nous tenir ?

— Comment tu te sens ? demanda-t-elle.

— Quand je pense à l’avenir ? fit Jizo, relâchant les bras. Je l’ignore. J’avais renoncé à l’idée de revoir mes parents un jour.

— Je te l’avais dit. Ne jamais perdre espoir ! Ils ne t’avaient pas abandonné.

— Dans leur lettre, ils s’excusent d’avoir pris le mauvais chemin. Qu’est-ce qu’ils voulaient dire ?

— Tu leur poseras directement la question ! Moi aussi, j’ai plein de questions à leur poser. Comment leur rencontre avec leurs amis pirates s’est passée, pour commencer.

— Heureux de savoir qu’ils ont triomphé de l’adversité. Ils naviguent sûrement vers d’autres flots, maintenant. Ça ne répond pas à toutes les autres questions… De quels conflits parlaient-ils ?

— Notre patience sera bientôt récompensée, révéla Taori. Le port est en vue !

Un vent de fraîcheur caressa le trio lorsqu’ils rivèrent les yeux vers la côte. Si les terres se découpaient à l’horizon, une multitude d’îlots s’étendait par-dessus des récifs turquois, obligeant le navire à girer aux moments adéquats. Chacune d’entre elles était reliée au littoral par des ponts courbées, tous d’un bleu s’harmonisant avec les teintes de la mer.

La voici donc… La cité des milles couleurs. Impressionnant. Pas un bâtiment ne révélait des nuances identiques à son voisin. Des fenêtres convexes, calées sur toute leur hauteur, réverbéraient la lumière diurne sur les murs en brique ou pierre polie souvent obombrée par les toits en ardoise alignées aux façades boisées. Amarante, pétunias et stévias décoraient les balcons en forme de demi-cercle sur lesquels s’installaient de nombreux citadins. Par centaines ces habitations striaient la cité, à perte de vue, de part et d’autre des larges rues au relief prononcé.

Ils se pâmaient tant devant ses structures qu’ils ressentaient à peine le brimbalement de leur caravelle. S’effaçaient les instructions des marins face à la cacophonie déjà répandue sur les quais, dont les bords adoptaient une étrange forme dentelée. Une myriade de galéasses et de caravelles y étaient déjà accostées, ce pourquoi l’équipage de leur propre navire le manipula avec grande précaution pour y trouver une place.

Au jet de l’ancre sursauta le trio. Déjà les marins transportèrent des caisses de la passerelle à la digue, sans prêter la moindre attention à eux. Bien sûr. Nous avons déjà payé et nous n’avons jamais fait connaissance avec eux. Nwelli se permit néanmoins un signe de remerciement au capitaine qui répondit par un bref hochement.

— Maintenant commence la recherche, affirma-t-elle. Où penses-tu que tes parents sont, Jizo ?

— Je n’en ai pas la moindre idée, admit-il. Ils n’ont rien révélé de leur position car ils ne s’attendaient pas à nous voir débarquer ici.

— La solution la plus simple serait de regarder dans les auberges, proposa Taori.

— Mais il doit y en avoir tellement ! contesta Nwelli. La recherche risque d’être longue.

— Nous avons du temps devant nous. Ça nous permettra de visiter la ville, de nous changer les idées.

Tous trois acquiescèrent et, bondissant par-dessus le bastingage, entamèrent l’exploration de Lunero Dogah.

Très vite réalisèrent-ils combien elle était différente de ce qu’ils avaient connu.

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