Chapitre 9 : Sans issue (2/2)

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Des heures défilèrent sans que personne ne lui tînt compagnie. Hormis son fiancé, bien sûr, dont elle peinait encore à entendre la voix. En son for intérieur régnait une présence que matérialisait le crâne. Peut-être devrais-je tendre davantage l’oreille. Je me fiche de ce qu’ils disent, Phedeas, il en faut plus pour t’occire ! Ton souffle s’imprègne en moi. Tes mots s’impriment dans mon être. Idées et réflexions se répétèrent encore et encore comme Oranne s’éternisait dans sa solitude. Condamnée à promener son regard dans les courbures de la toile bleu foncé. Astreinte à s’égarer dans l’immobilisme.

Une lueur dévoila subitement la pénombre. La tyrane que la cape écarlate et l’assassin suivaient. Toutes deux se placèrent à un mètre devant elle et la toisèrent intensément. Oranne ne broncha pas face à l’attaque, quoique des frissons courbèrent son échine.

— Qu’attends-tu, Nafda ? provoqua-t-elle. Colle tes dagues contre ma gorge. Tu ne seras jamais comblée sur ton compte de meurtres.

— Et tu m’appelleras cœur sec, comme les autres ? répliqua l’assassin. Je sais ce pourquoi j’existe. Ce que je dois accomplir.

— Les livres d’histoire ne parleront guère en ta faveur.

— Ma réputation m’importe peu.

— Cesse de vivre dans le déni. Ton irritation dégouline.

Nafda inspira fortement à la tension grandissante de ses muscles. Elle est si prévisible ! Un jour ou l’autre, mon chéri, nous parviendrons à la piéger. Et nous te vengerons par la même occasion. D’une foulée elle réduisit la distance avec son adversaire, mais Bennenike la bloqua d’un geste auquel elle obtempéra aussitôt. L’impératrice leva ensuite la tête pour mieux regarder Oranne de haut.

— J’admire ta ténacité, reconnut-elle. Je pensais t’avoir brisée et pourtant tu palabres encore. De futiles provocations, cela va de soi, et néanmoins assez cinglantes.

— Fidèle à vous-même, dit Oranne. Vous adorez vous entendre parler. Tout ce temps où j’ai dû me soumettre à vous, prétendre être de votre côté… Que cela fait du bien d’être moi-même !

— Ingrate, par surcroît ? Tu as apprécié ta luxueuse chambre. Tu t’es délectée de nos délicieux repas. Tu t’es prélassée dans nos ablutions. Toi qui prétends être du côté du peuple, tu n’as pas vécu tel le commun des mortels.

— Qui parle ? Est-ce que les fermiers et ouvriers possèdent le centième de l’espace dont vous disposez ?

— Non, mais je me bats pour leur épanouissement. Comprends-tu la difficulté de ma tâche ?

— Pardon ? Vous voudriez que je vous plaigne, peut-être ?

Oranne regretta à l’instant même où Bennenike serra le poing. Phedeas, protège-moi ! De la bile remonta soudain la gorge d’Oranne tandis qu’elle s’agitait sur son siège. Cependant, Bennenike choisit plutôt de lui tourner le dos, rivée au-delà des limites de sa tente, toussotant légèrement. Tant la prisonnière que l’assassin se focalisait sur elle.

— Est-ce une question de choix, en fin de compte ? s’interrogea-t-elle. Je n’ai jamais souhaité appartenir à la famille impériale. Ni perdre ma mère dès ma naissance. Et encore moins assister à la faiblesse de mon père, trop juste pour ce cruel monde, manipulée par une vieille et perfide mage. Et si la sanglante tradition de succession aura fini sur la satisfaction d’occire Faraz et Duka, mon frère Nuru aurait mérité de vivre.

— Vous espérez de la compassion ? fit Oranne. Vous n’êtes pas la seule à avoir souffert. Et toutes les victimes de ce pauvre n’ont pas répandu la violence pour autant.

— J’étais jeune et peut-être trop ambitieuse. Je ne réalisais que, même s’il s’était révélé incompétent, mon père incombait de dures responsabilités. Les premières années de mon règne, j’escomptais une paix de longue durée, une époque de prospérité dûment méritée. Un espoir d’éradiquer les famines et la pauvreté. Un espoir d’annexer la dissidente cité-état de Danja. Voici deux ans que l’instabilité frappe l’Empire Myrrhéen, dont le déclencheur, mais non l’unique responsable, n’est nul autre que Horis Saiden. Tant qu’il vivra, aucune paix ne sera possible. Il est introuvable depuis qu’il a tué Nerben Tioumen.

— Je n’ai jamais rencontré ce bougre, mais votre quête de coupable tout désigné est vaine. Ces différentes insurrections sont la conséquence de votre politique désastreuse. Vous êtes une génocidaire, souvenez-vous ?

— Ce sera la mesure qui m’inscrira dans l’histoire. J’ai sacrifié ces gens, s’ils peuvent être qualifiés ainsi, tout comme ma réputation pour le bien commun.

— Et vous constatez que vous n’avez pas obtenu la paix ! Quand réaliserez-vous que vous étiez dans l’erreur ?

Bennenike se retourna. Dans ses yeux brûlait un éclat prompt à consumer Oranne. Sans échappatoire, la captive aurait bien fermé ses paupières, réduit son champ de vision hors de deux retorses adversaires. Nafda tâtait ses dagues comme elle l’avait craint, mais elle se devait réprimer ses tremblements. Un seul ordre, et l’assassin m’égorge. C’est bien ce qu’elle attend, non ?

L’impératrice saisit Oranne par le col, furibarde.

— Tes jugements sont vides de toute valeur, assena-t-elle. Gardes-tu la conscience tranquille après les ravages commis par ton fiancé ?

— C’était pour la bonne cause ! se justifia Oranne.

— Alors tu devrais me comprendre. J’ai entamé mon règne sur un bain de sang. Mon neveu serait aussi devenu empereur sur une hécatombe. La différence, c’est que mes cibles étaient coupables.

— Coupables de déployer l’énergie contenue en chacun de nous ? D’abord vous avez déshumanisé vos ennemis pour être mieux massacrée au moment où vos miliciens les massacraient.

— Pense ce que tu souhaites. J’ai accompli mon devoir parce qu’il le fallait. Et je poursuis aujourd’hui : Amberadie est en sécurité, ce pourquoi je suis requise dans d’autres régions de l’empire. Ces prochains mois seront décisifs.

— Et en quoi suis-je concernée ? Je suis déjà étonnée que vous ne m’ayez exécutée. Pourquoi ? Vous aviez dit que je ne reverrais plus jamais la lumière du jour ! Et pourtant… Je suis encore là. Vous allez m’offrir la liberté. J’ai du mal à y croire. Qu’est-ce que votre esprit tordu manigance ?

Doucement, lentement, la despote lâcha Oranne, dont la chaise faillit tomber en arrière. Bientôt à hauteur de son assassin, qui demeurait toujours son ombre, elle l’examina d’une profondeur inégalée durant d’interminables secondes. La prisonnière ne cessa tout ce temps de l’affronter du regard, ébranlée de frissons.

— Je me suis déjà expliquée, affirma-t-elle. Je me suis bien amusée avec toi, et pour le meurtre de Clédi, tu aurais mérité encore plus de géhenne. Je me dois toutefois d’être pragmatique. Non seulement tes parents ne sont pas responsables de tes erreurs, mais ils disposent aussi d’une influence non négligeable. Estime-toi donc extrêmement chanceuse.

— Bien sûr, ironisa Oranne. Au lieu d’être en paix, je garderais les séquelles de vos séances de torture.

— Tu te consoleras auprès de papa et maman. Il ne s’agit pas seulement de toi, Oranne. Il s’agit d’une situation extrêmement délicate qui requiert des choix. Peut-être mèneras-tu ta vie loin des conflits dévastant l’empire. Je me remettrais bien de cette petite injustice pour en combattre d’autres.

Impératrice Bennenike, plus je discute avec vous, et plus mes préjugés se retrouvent fondés. Même si j’admets que vous vous dissimulez bien derrière votre éloquence. Au moment d’abandonner sa prisonnière dans l’obscurité, Nafda toucha l’épaule de la dirigeante. Ce fut si inopiné que Bennenike manqua d’en sursauter.

— N’ayez plus de doute, dit-elle à voix basse.

— Pourquoi en aurais-je ? s’étonna Bennenike. Je suis investie d’une mission. Je n’aurai plus de répit tant que mes ennemis vivront.

— Car moi, j’en ai. Des gens comme Oranne nous plongent dans la perplexité.

— D’une manière ou d’une autre, ils disparaîtront. Maintenant, partons. Tu es mon assassin et tu connais ton rôle.

— Bien sûr.

Oranne les observa quitter la tente.

Elle ne perçut plus les murmures subséquents.

Pourtant un sourire étira ses lèvres.

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