Chapitre 10 : Anciens et nouveaux alliés (1/2)

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HORIS


La rosée matinale humidifiait les feuilles des pommiers et cerisiers jalonnant la déclivité. Dès la nitescence matinale, Horis était entraîné par le relief du paysage verdoyant, au sein duquel les chants des alouettes et buses accompagnaient le clapotis des rivières. Il s’était pressé lors de ses précédents jours, mais un tel environnement l’incitait à ralentir le pas, à s’imprégner de l’instant présent. S’entonnait une mélodie qui enfin apaiserait ses pensées parasites.

J’ai presque envie de m’allonger sur cette herbe fraîche, sur ce lit de lotus et magnolias. Ici je pourrais me reposer, l’esprit tranquille, le cœur léger. Et les tracas d’antan s’estomperont à jamais.

Non, il est encore trop tôt.

Il devait élever sa perspective au-delà de la contemplation. Au loin, il avisa des dizaines de hutte en pierre sèche et d’immenses rizières, entre lesquelles ondulait le sentier. Le mage observa encore par-delà ces habitations et identifia des murailles se découpant dans la brume de l’horizon.

Ce voyage m’a paru interminable. Un répit au milieu d’une lutte que je vais reprendre de plus belle. Cette cité doit être si grande, comment les retrouver ? Seulement en la contactant, j’imagine.

Aussitôt allia-t-il le geste à l’idée. Doigt sur sa tempe, le flux coula d’un naturel de redondance, comblant une fois encore la solitude du trajet. Horis attendit peu avant que la voix de son amie ne jaillît :

Horis ! s’écria Médis. Où es-tu maintenant ?

Justement, répondit le jeune homme avec une pointe d’enthousiasme. Vur-Gado est en vue.

Oh, comme je suis soulagée ! Je ne compte plus les mois depuis notre séparation. C’est fini désormais, nous resterons ensemble, et nous terrasserons l’adversité une bonne fois pour toutes.

J’admire ton optimisme. Mais la première chose à faire est de nous retrouver. Je ne connais rien de cette cité, je vais m’y perdre à coup sûr.

De quelle direction viens-tu ?

Le soleil est devant moi, donc je marche d’ouest en est.

Parfait. Identifie l’entrée ouest et nous nous rejoindrons là, d’accord ? Milak est avec moi.

Et Sembi ?

Elle s’inquiétait pour sa famille. Elle est partie dans son village natal pour les revoir. Elle a promis de revenir en temps et en heure.

J’espère que tout le monde ira bien. Nous avons tant perdu… Mais j’y pense, je ne suis plus retourné depuis Doroniak. Je n’ai rien à craindre en tant que mage ?

À ton avis, si nous pouvons circuler en paix ? Noki a pris soin d’éloigner les miliciens de sa cité, et ses gardes sont loyaux. Efface tes peurs et viens vite !

Médis rompit le contact sans que Horis pût rétorquer quoi que ce fût. Cette sensation d’incomplétude s’amenuisa cependant, car priorisaient les recommandations de son amie. Ni une, ni deux, il s’impulsa vers ladite cité, rejeta toute hésitation au moment de cheminer.

Contourner le champ et le village le rapprocha de Vur-Gado. Plus les remparts s’agrandissaient sur sa vision et plus il regagna la route, bientôt écrasé par l’étirement des ombres des attelages. Deux rivières se croisaient en-dessous d’un petit pont en bois laqué et faisaient office de douves aux pieds des murs.

Horis se serait sans doute pâme si sa hâte n’était pas requise. Car les murailles compensaient leur faible hauteur par leur épaisseur, où s’agençaient des pierres aux couches extérieures noircies. À même les empâtements brisés s’étalaient des courtines dentelées par-dessus lesquelles s’alternaient des tours aux tuiles bleutées. Des oriflammes triangulaires et aux nuances bariolées décoraient les interstices de part et d’autre de l’entrée.

Rien d’original, c’est vrai, mais je resterai toujours admiratif face aux prouesses architecturales humaines. Notre créativité peut donner des résultats extraordinaires.

Une paire de gardes patrouillait sous les remparts comme de juste. Des pièces d’étoffe matelassées surmontaient leur cotte de mailles tandis qu’un casque en fer noir camouflait leur visage au teint sombre à l’exception de leurs yeux étroits. Ils tenaient tous les deux une lance à double pointes où s’enroulait une feuille lobée autour du manche. Leurs traits s’étaient figés en une rude expression, pourtant ils s’écartèrent quand une voix familière les y enjoignit.

Médis… C’est bien elle. Son cœur bondissait contre sa cage thoracique, ses muscles se relâchèrent. Son amie avait libéré sa longue chevelure de jais en de graciles boucles qui virevoltaient à chacun de ses pas. Un sourire ivoirin apparut au milieu de sa figure ronde et ébène dotés d’une étincelante paire d’yeux marrons. Son ample tunique carminée lui seyait toujours, adaptée à la minceur de son gabarit, comme sa ceinture en cuir bouilli la séparait de son pantalon en tissu à motifs en losange. Depuis leur dernière rencontre, elle s’était également dotée de bagues serties de saphir. Une touche supplémentaire du plus bel effet.

Dans sa précipitation, Médis s’abandonna dans les bras de Horis, dont elle caressa chaleureusement le haut du dos. L’étreinte dura plusieurs secondes avant qu’elle fixât son ami, la cornée humidifiée de larmes.

— Je n’y croyais plus ! s’extasia-t-elle. La route d’Enthelian à Vur-Gado est si longue ! Tu as réussi à éviter la plupart des confrontations, c’est déjà ça.

— Mais pas toi, déplora Horis.

Médis se rembrunit en dévoilant les coupures sur ses paumes. Des nerfs se tordirent et des poings se crispèrent même si la mage l’encouragea à privilégier la sérénité. Nafda paiera pour les blessures qu’elle lui a infligées ! Pourtant elle l’a épargnée, et je ne comprends toujours pas pourquoi. Elle commençait à rompre le contact, quoiqu’elle tenait encore ses avant-bras, tandis que Milak les rejoignait avec les traits légers. De complexion basanée, il portait toujours une veste en laine brunâtre, dotée d’une capuche qu’il n’avait pas rabattue sur ses longues mèches de teinte ivoire. Son expression amène aida Horis à se décontracter davantage.

— Depuis combien de temps nous sommes séparés ? demanda-t-il. J’ai arrêté de compter.

— L’essentiel est que nous nous soyons retrouvés, fit Horis. C’est ma faute, je me suis laissé guider par ma vengeance. D’autant que Nerben a encore sévi avant que je ne le rattrape pour de bon.

— Si seulement nous ne nous étions pas séparés… Peut-être que cette tragédie ne serait pas survenue. Que Yuma serait encore vivante.

— Les seuls responsables toujours en état de nuire sont Leid et Niel. Eux aussi, je devrai les retrouver. Mais leurs attaques mentales ne me donnent aucun indice quant à leur position…

— Médis m’a parlé d’eux. J’avoue ne pas trop comprendre qui ils sont. D’abord des alliés du pouvoir impérial, puis des dissidents opposés à tous ? Ça me donnerait un mal de crâne.

— C’est le leur que je vais briser.

Médis réprimanda Horis du regard et le sien perdit de son intensité. Elle a raison, la vengeance ne doit pas m’obséder. Tout de même, ils se dressent entre nous, et leurs intentions restent toujours aussi sibyllines. Il s’agissait pour lui de quérir cette paix, quitte à oublier ses ennemis quelques temps. Inspirer pour mieux s’alléger l’esprit et ainsi se focaliser sur l’essentiel.

— Assez de regrets, trancha-t-il. Nous avons perdu trop de temps.

— Voilà qui est bien dit ! soutint Milak. Nous avons encore tant à accomplir.

— Et de vieilles cicatrices à panser, déclara Médis d’une voix sombre. Horis, je t’avais dit que le clan Iflak n’existait plus. Ses membres se sont dispersés à Vur-Gado, certains ont même décidé de mener leur vie hors des murs de cette cité. Salagan est toujours là, mais…

— Je vais le voir. La dernière fois, sans doute, mais nous avons besoin de cette conversation.

— J’avais anticipé ta réponse. Nous pouvons nous permettre ce détour. Suis-nous.

À défaut de soupirer, Horis se renfrogna. La perspective de revoir Salagan ne l’enchantait guère bien qu’il fût conscient de son caractère inévitable. Il avait fendu des plaines arides, il avait contourné lacs et montagnes, il avait traversé des vallées, et n’avait guère encore fini de marcher. Son périple l’emmena dans une cité au sein de laquelle il se laissa guider.

L’achèvement du calme. Le moment idéal pour la découverte.

Horis, Médis et Milak s’immergèrent dans les profondeurs de cette cité, au milieu d’un tintamarre inapte à réfréner leur capacité d’admirer.

Des dizaines de nuances diapraient les tuiles composant les toits à forte courbure des habitations. Lesquelles arboraient des murs en bois de pin rouge, voire en brique pourpre ou bistre, percés çà et là de fenêtres à volets quadrillés. Par centaines elles s’étendaient le long des rues au dallage octogonal, où des forsythias ornementaient les intersections anguleuses.

Si les maisons ordinaires étaient proéminentes, c’était parce que les autres établissements étaient placés ailleurs. Soit ils se nichaient à l’intérieur des venelles, soit dans places et avenues dont ils obtenaient un bon aperçu. Horis écarquilla les yeux lorsqu’il vit des ponts et arches rocheuses par-dessus fontaines et puits. Tout autour des grands cercles striés de motifs en torsades creusaient des passages vers des arcades, sous lesquelles se trouvaient tavernes et boutiques.

Une configuration originale, c’est certain. Autour d’eux se promenaient des citadins en quête de divertissement et rafraîchissement. Des individus d’origine myrrhéenne et dimérienne vivaient ensemble formellement à la réputation de Vur-Gado, avec une nette majorité de population métissée, se démarquant par la sombreur de leur peau et l’étroitesse de leurs yeux. Leur diversité se traduisait également grâce à la variété de leurs tenues. Des robes bouffantes aux manches saillantes, tuniques ravaudées à fines dentelles, jaques d’étoffes rembourrées, costumes à couleurs vives et doubles lignes s’amalgamaient dans un ensemble riche et complémentaire.

Au-delà de l’exploration visuelle s’exhalaient des odeurs faisant palpiter leurs narines. Les quelques caravanes marchandes installées dans les faubourgs, où les rues se faisaient plus exigües et la population plus dense, étaient éclipsées par des étals à même lesquels de la nourriture était cuite. Bouillons de carpe, jarrets de bœuf et rouleaux de riz fourrés aux poireaux sollicitaient leurs papilles gustatives.

Or l’estomac de Horis gargouilla. Il effleura le bas de son torse tout en adressant un coup d’œil à l’intention de Médis. Toutefois son amie lui indiqua la direction du coin de la rue, ses lèvres déformées en une lippe craintive.

Évidemment. Je l’avais presque oublié alors que nous nous sommes rendus ici pour lui.

Il cilla à peine en avisant le trio, comme si son occupation actuelle lui importait davantage. Vendant kakis et poires, il caressait son chien au museau allongé et aux poils courts, qui remuait la queue en conséquence. Ses mèches et sa moustache s’étaient grisées sur son visage au teint halé tandis qu’il avait perdu un peu de poids malgré son embonpoint toujours prononcé. Jamais ne se séparait-il de son turban écru ni de sa tunique indigo dont les manches pendaient.

Salagan. Il m’a secouru. Il m’a tout appris. Il a apporté de la lumière quand mon existence n’était qu’obscurité.

Mais il ne m’a toujours pas pardonné.

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