Chapitre 13 : Éternelle captivité (2/2)

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Non qu’un éclat nouveau se propageait dans la pièce, puisque dominait aussi l’obscurité dans le couloir contigu. Ils reconnurent les profils dès qu’ils apparurent au seuil de la porte. Honderu et Zolani se faisaient accompagner par plusieurs mercenaires qui dégainèrent aussitôt, ce même si nul autre qu’eux ne savait bouger. Seule l’intangible le pouvait, et elle avait beau s’époumoner, elle restait invisible hors de la même paire d’yeux.

— Si j’étais capable d’aider, je le ferais ! insista-t-elle. Je te souhaite bon courage face à eux. Ils n’ont pas l’air puissants, mais dangereux, ce qui est pire selon moi.

Vouma s’effaçait face à la présence écrasante. Tant mieux, n’alourdis pas une situation déjà si tendue. Les secondes s’égrenaient, les pas s’enchaînaient, et les Shozam se délectaient du silence dont ils profitaient pour toiser leurs prisonniers. Dans cette obstination, prompte à faire trémuler Nwelli, Audelio et Sandena, tous les captifs se réveillèrent. Et découvrirent les mercenaires aux armes brandies. Quelles sont leurs intentions ? Qu’ils épargnent Taori, même elle risque d’être au centre de leur folie…

— Vous pouvez nous libérer, maintenant ? exigea Audelio. Manifestement, vous avez fait erreur, nous n’avons aucun rapport avec les autres prisonniers !

D’un genou bien placé il fut cogné. L’impact au thorax projeta le duelliste contre le mur, et il poussa un râle sous le regard glacial de Honderu. Un classique. Ne jamais provoquer son adversaire en situation de faiblesse lorsqu’on ne maîtrise rien. Zolani s’approcha d’un air plus triomphant, posant son avant-bras sur l’épaule de son mari, avant de dévisager Audelio.

— Quelles sont ces manières ? persiffla-t-elle. Si nous t’avons épargné, ton amie et toi, c’est parce que vous nous avez bien divertis.

— Je ne suis pas son amie, grogna Sandena.

— Peu importent vos relations. Je vous partage juste mon point de vue : même si vous êtes vivants pour quelques instants de plus, ils sont à saisir. Chaque instant à fouler ces terres, à sentir le parfum des fleurs, à goûter les saveurs culinaires est une bénédiction.

— Dont nous pourrions jouir si nous étions en liberté. J’ai des plaies et des démangeaisons, moi ! Facile de faire la fière quand on peut marcher !

— Et tu bougonnes, en plus.

— Oui ! Où sommes-nous, déjà ? Pourquoi la garde ne vous a pas arrêtés ? Vous avez attaqué une auberge en plein jour, bon sang !

Dans la confusion, je ne m’étais même pas posé cette question. Zolani se tordit au contraire de Honderu à la mine inflexible. Penchant la tête vers l’arrière, elle gardait la mainmise sur le dialogue, narguait son interlocutrice par sa simple posture.

— Car nous sommes stratèges, se targua-t-elle. Nous adorons surprendre nos adversaires. Et quel est le dernier endroit où ils s’attendant à un assaut ! Dans un lieu public, au sein des murs d’une cité, pardi ! Il suffit alors d’avoir quelques contacts, de soudoyer des gardes, et nous nous frayons facilement un chemin. Nous aurions été plus confortables avec cet argent que tu nous devais, Kwanjai.

Sitôt le concerné mentionné qu’il plissa les yeux à leur intention. Y déverser toute sa hargne ne suffit guère à impressionner les mercenaires, loin s’en fallait, et bien vite pointèrent-ils leur arme en sa direction. Tout se lie mais je reste encore perdu. D’un geste Honderu leur ordonna de les baisser, après quoi il ferma un poing à hauteur de sa taille.

— Tu ne savais pas que les Shozam étaient rancuniers ? lança-t-il.

— Vous êtes des mercenaires, vous auriez dû laisser filer ! riposta Kwanjai. Je me demande encore comment vous m’avez rattrapé aussi loin.

— Tu t’es rendu à Lunero Dogah au mauvais moment. C’est la cité des passions et des intrigues, donc c’est plus le destin qu’une coïncidence. Tu profiterais de l’air libre si tu avais daigné nous payer. Trop tard maintenant, même si tu as la somme.

— Je ne l’ai pas.

— Ça règle la question. Nous avons même oublié le nom de celle dont tu voulais la mort.

— Ammara. Pas grave, soit je la retrouverai, soit je l’oublierai.

— À supposer que tu sortes d’ici vivant. Nos projets sont… différents.

Les mots pesèrent en avertissements: Honderu se retourna et son ombre s’étira sur le pirate. Jizo réalisa enfin pourquoi quelqu’un inébranlable que Kwanjai frémissait en croisant son regard. Dans ses yeux marrons se consumait une braise qui paralysait quiconque s’y frottait trop longtemps. Il n’avait nul besoin de s’armer de son sabre pour intimider.

Nwelli cherchait refuge partout ailleurs.

Wenzina et Tréham l’observèrent de biais, se préservait des risques. Pourtant remarquèrent-ils que leur fils ne s’était pas encore recroquevillé. Malgré la douleur, malgré la sueur, l’ancien se dressait aussi droit que son état le lui permettait. Et ce faisant récoltait les exhortations de Vouma.

— Nous connaissons vos noms, affirma Honderu. Vos histoires, un peu moins.

— Votre réunion familiale est récente, rapporta Zolani. Ce serait presque adorable de vous voir ensemble.

— Merci de nous rappeler notre échec, soupira Tréham. Nous croyions que vous ne nous aviez repérés, que nous vous distancerions sans grande difficulté. À quoi rime tout ce voyage si c’est pour être piégé de la sorte ?

— Tant qu’il nous restera un souffle de vie, proclama Wenzina, nous les laisserons toucher ni à notre fils, ni à ses amis !

— Et nous alors ? s’époumona Sandena.

Aucune réplique ne déstabilisait les mercenaires. Nulle menace ne les ébranla. Si je n’étais pas enchaîné, je les affronterais en duel et… Proche de résigner, Jizo fuit les murmures de son ancienne maîtresse, mais point de secours ne viendrait de Nwelli ou de ses parents. Et quand bien même elle demeurait aux extrémités de sa vision, il n’oubliait jamais Taori. Pétrifiée à la seule vue de ses géniteurs. Fulminant ou larmoyant, tempêtant ou pleurant, la mage ne trouverait pas la moindre demi-mesure.

Son père et sa mère non plus.

— Est-ce l’heure de philosopher ? proposa Honderu en se positionnant au centre de la pièce. Je peux être autant un homme de parole que de gestes. À votre avis, pourquoi avons-nous fait irruption et ruiné vos beaux plans ? Sommes-nous perfides ? Sommes-nous mauvais ?

— Nous souhaitions juste récupérer notre fille, avança Zolani. Nous avions anticipé que demander la permission ne fonctionnerait pas. Parfois les circonstances exigent que nous employions la force. Vous êtes des braves gens ? Tant pis.

— Vous vouliez secourir Taori ? tonna Jizo. Où étiez-vous les inquisiteurs la retenaient prisonnière ? Où étiez-vous quand ils la molestaient et se servaient de sa magie ?

— À ce moment, Taori s’était enfuie et nous n’avions pas su la rattraper.

— Une bonne preuve qu’elle ne doit pas être à vos côtés.

Il sentait leur colère grandir mais n’en broncha pas. Son corps se courba, transi de frissons, au moment où l’acier siffla dans l’air. Ferme les yeux et la douleur sera atténuée. Tout ce qu’il perçut se résuma aux supplications de Nwelli et Taori. Et dans un soupir se reportèrent les hostilités. Honderu et Zolani n’avaient pas lâché Jizo du regard même s’ils s’étaient dirigés vers leur fille. Ils sont venus pour elle. Inévitablement. Fatalement. Bouche cousue, la mage peinait à contrôler ses nerfs. Tête relevée, ses traits s’étaient déformés.

Ce qui enchantait ses parents.

— Taori n’est pas une mage ordinaire, rapporta Zolani. Nous l’avons su dès sa prime enfance. Nous l’avons conduite d’un précepteur à l’autre. Tantôt impressionnés, tantôt terrifiés, ils nous suggéraient de l’inscrire à une des nombreuses guildes du pays. Et ainsi la perdre à tout jamais ? Non ! Elle avait appris beaucoup de sorts, et à défaut d’en maîtriser, nous étions persuadés de la contrôler.

— Plusieurs groupes de mercenaires se situent en Diméria, enchaîna Honderu. D’aucuns prétendent qu’ils donneraient une mauvaise réputation du pays à l’étranger… Nous n’en avons cure. Nos objectifs sont plus ambitieux que cela.

— Quels sont-ils ? attaqua Jizo. Quelles machinations se bousculent dans votre esprit pour que vous ruiniez ainsi la vie de votre fille unique ?

— Nous sommes parfaitement sains, merci. Il est normal de vouloir prendre soin de notre enfant. Tréham et Wenzina devraient le comprendre : eux aussi ont remué ciel et terre pour te retrouver.

— Sauf que nous n’avons pas pris notre propre enfant en otage, répliqua Tréham.

Honderu et Zolani ignorèrent encore la provocation. Ils n’y cèdent pas malgré l’émotion… Peut-être parce qu’ils sont concentrés sur autre chose. Bigorner ne suffisait pas, invectiver non plus. Gardant son emprise, le couple se plaça de part et d’autre de Taori, dont la mine s’affaissait davantage à chaque seconde. Jizo et Nwelli se rembrunirent contre cette inextinguible vision.

Les mercenaires ne cessent d’assujettir.

— Vous qui avez enduré la cruauté du monde, interpella Honderu. Avez-vous la moindre idée des forces à l’œuvre ? La violence se rapproche pendant que nous jabotons. Au-delà de votre quête personnelle, saviez-vous que la Belurdie va rentrer en guerre contre l’Enthelian ? Naturellement, l’Empire Myrrhéen est allié à l’Enthelian, et où est-ce que nous nous trouvons ? Près de la frontière. Le conflit a de grandes chances de s’étendre jusqu’ici.

— Bien sûr que nous connaissons l’état du monde ! clama Jizo. Nous nous sommes retrouvés impliqués dans de terribles événements dont les impacts se font encore ressentir aujourd’hui. Nous ne l’avions pas demandé, mais nous avons été entraînés dans ces malheurs.

— Alors vous vous êtes rendus comptes de votre insignifiance. Agitez votre sabre, tendez vos arcs, vous vous heurterez tôt ou tard à plus fort que vous. Des grains de poussière face à l’ouragan, voilà tout ce que vous êtes. Et nous aussi, en quelque sorte. Une poignée d’exceptions peut cependant changer la donne.

Honderu enferma le visage de sa fille entre ses mains. Les chaînes cliquetèrent, les plaies se rouvrirent, hélas Jizo s’avérait inapte à briser quoi que ce fût, à réclamer cette liberté pour lui comme pour autrui. Ne la touche pas ! Tu as perdu ce droit il y a bien longtemps ! Au-delà du jeune homme, la figure embrasée par l’effort, les Shozam cernèrent la jeune femme au centre des convoitises.

— Notre perle, souffla Honderu. Notre ultime ressource. Tu nous as échappés bien longtemps, dorénavant c’est fini, tu es rentrée au bercail. Nous saurons utiliser ta puissance à bon escient. Pour commencer, n’as-tu pas une vengeance à mener ? Tu as sans doute deviné de qui nous parlons.

— Laissez-la tranquille ! implora Nwelli. Vous ne voyez pas qu’elle souffre ?

Les paumes se détachèrent, la jonction s’affaiblit. Si Honderu et Zolani continuaient de s’imposer, ils ne purent rester insensibles par-devers leur enfant. Recroquevillée mais résistante. Rudoyée mais survivante. De multiples larmes coulaient jusqu’à son menton au déclin de sa si illustre aura. Ses frissons se synchronisaient avec le claquement de ses dents. Elle s’était blêmie en perdant son énergie.

Ce fut auprès de Jizo et de Nwelli qu’elle quémanda le réconfort. De ses yeux mouillés elle les regardait, proche de sombrer.

Difficile de la reconnaître. Elle dont la magie déferlait avec tant d’aisance… L’invincible halo nimbant le champ de bataille. Taori, dis-moi que tu n’es pas perdue.

— Ce que je craignais est arrivé, se dolenta-t-elle. J’ai manqué plein d’occasions de tout vous raconter. Pendant tous ces mois de voyage, vous vous êtes confiés à moi, vous m’avez tout appris, vous m’avez redonné le goût à la vie. Je pensais que ce passé était derrière moi. Je regrette…

— Ne dis pas ça ! s’opposa Nwelli. Nous ne t’en voulons pas, tu le sais très bien !

— La vérité, c’est que je ne voulais pas apprendre la magie. À quoi m’a-t-elle servie ? Je suis devenue la cible et le bourreau. La destructrice de Doroniak. Et quand l’opportunité m’était donnée de m’en servir à bon escient, j’ai échoué aussi. Jamais Irzine n’aurait dû enterrer Larno.

Dans sa vulnérabilité pesaient d’autant plus ses propos. Ainsi les sanglots se répercutèrent, hantèrent, tourmentèrent. Taori s’était si fléchie qu’elle n’opposa pas la moindre résistance. Elle a renoncé… mais pas nous. Honderu et Zolani eurent un soupir agacé lorsqu’ils relevèrent leur fille et plaquèrent ses coudes derrière son dos. Sa magie restait annihilée et son expression au bord du désespoir.

— Le temps effacera les cicatrices, assura sa mère. Et tu nous pardonneras. En attendant, nous allons apporter notre contribution à cette guerre.

Ils l’emmènent à la guerre ? Au nom de quoi souhaitent-ils l’exposer ? Jizo s’agita une fois de plus sous les moqueries des mercenaires. Il avait envie de hurler, de se répandre en insultes, aussi futile cela pût paraître. Ni lui, ni qui que ce fût ne put aider Taori, dirigée de force vers l’extérieur.

— Qu’est-ce que nous devenons ? se plaignit Audelio.

— Vous profitez de vos derniers jours ici, répondit sèchement Honderu.

— Pourquoi ne pas nous achever tout de suite ? Nous avons été faits prisonniers pour une raison, non ?

— Pour que vos derniers instants soient marqués. Quelques-uns vous pleureront peut-être, mais vous sombrerez. Votre histoire s’achève ici. La nôtre ? Elle va prendre un tournant décisif. Nous vous laissons le bon soin de vous l’imaginer pendant que vous périrez.

Pas de rire, pas de réplique, pas d’irrévérence. Les Shozam emportèrent fièrement l’otage avec eux et cadenassèrent de nouveau la porte dès qu’ils l’eurent fermé. Bientôt leurs voix et leurs foulées devinrent indiscernables.

— Quelle est la pire destinée ? s’interrogea Vouma. Être entraînée dans une guerre ou succomber à la faim ? Je ne résonne que dans cet esprit, je ne saurai appeler à l’aide !

Alors tais-toi et laisse-nous réfléchir à comment nous pourrions sortir d’ici. Personne ne combla le mutisme lors des minutes subséquentes. Tant de coups d’œil échangés offrirent des suggestions qui ne trouvèrent consécration. Wenzina et Tréham tentèrent à plusieurs reprises de s’exprimer, sans succès.

Nwelli, quant à elle, y parvint. Elle dressa le chef à la surprise de tous.

— Je ne veux pas mourir, déclara-t-elle. Pas ici, pas maintenant. Nous devons secourir Taori à tout prix.

— Et comment pourrions-nous sortir d’ici ? fit Sandena.

— Nous devons trouver quelque chose.

— Nous avons un espoir, affirma Kwanjai. Les Shozam nous ont piégés et ont eu de l’avance sur pas mal d’aspect… Sauf que même s’ils m’ont capturé, ils n’ont pas compris que j’étais un pirate.

— Alors ton équipage pourrait nous délivrer.

— Peut-être, s’ils repèrent où nous sommes enfermés. Mais il vaut mieux un semblant d’espoir que pas d’espoir du tout, pas vrai ?

Tous opinèrent à la lueur retrouvée. Pourtant la conversation ne se prolongea guère, comme si un répit était requis, comme s’ils avaient besoin de plus de temps.

Même si nous libérons, ils seront déjà loin.

Courage, Taori, nous serons là pour toi.

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