Chapitre 16 : Terrasser l'adversité (2/2)

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Un nouveau grincement se propagea dans la salle quand Noki recula sur sa chaise. Elle reste difficile à cerner. Mon but est d’assassiner, mais il est toujours important de bien connaître d’éventuelles cibles. Noki le sera-t-elle, ou bien la méfiance de mon impératrice est injustifiée ? Au silence de la multitude, même si certains ne devaient pas en penser moins, elle se dirigea vers la porte à sa droite. Elle y fracassa son poing sitôt parvenue au seuil, avant de s’écarter de quelques foulées.

Des gardes surgirent quelques instants plus tard, jetèrent quatre prisonniers avec brutalité, lesquels glissèrent le long du plancher. Étendus, constellés d’ecchymoses et lacérations, leurs gémissements étaient à peine audibles.

Bennenike prit le temps de les examiner, au contraire de Badeni qui se redressa à la hâte, sa hallebarde argentée au poing. Bien vite Nafda réalisa les raisons de sa précipitation. Parmi les captifs se trouvaient deux femmes qu’elle n’avait jamais vues… Ghanima et Gemout, en revanche, lui étaient bien familière.

— D’où viennent-ils ? gronda Badeni.

— La réponse risque de vous surprendre ! s’écria Ségowé, ayant un peu tourné sa chaise.

— En effet, appuya Noki. Vous vouliez me voir intervenir hors de Kishdun ? Je les ai capturés dans la région de Nilaï, et pas seulement eux, mais je les ai sélectionnés en connaissance de cause. Agnémonne et Mérid ont eu le délicat sadisme de prendre d’anciens esclavagistes comme esclaves. Vous avez l’air de les connaître ?

Des frissons courbèrent l’échine de Koulad qui échoua malgré tout à s’exprimer. Ce pourquoi il céda la parole à son épouse, laquelle se redressa à son tour, et rejoignit Badeni et Nafda devant lesquelles elle se positionna. Voilà qui est encore plus intéressant. Que va décider notre impératrice ?

— Vous avez éveillé mon intérêt, admit-elle. Et vous êtes plus renseignée que je ne l’aurais cru.

— Il faut savoir poser les bonnes questions, affirma Reino. Tous les esclavagistes sont des raclures, mais eux sont encore pire. Ravi d’avoir contribué à les empêcher de nuire. Et désolé si je n’éprouve aucune pitié pour deux d’entre deux, réduits à la piètre condition qu’ils infligeaient avant.

— Ils sont tout à vous, proposa Noki. Je vous laisse décider de leur sort.

Nafda en frémit aussitôt, et un large sourire fendit sa figure. Il ne faut pas nous le dire deux fois. Alors que nombreux se suspendaient à un simulacre de divertissement, l’assassin s’immobilisa avant de plus amples instructions. Or elle remarqua que Badeni chuchota à l’oreille de son impératrice. Seulement après la garde se détacha et toisa Ghanima de pleine hargne. Aucune réponse ne fusa de cette dernière. Pas la moindre supplication. Étrange. De ce que je me souviens, Ghanima se lamentait souvent. Que s’est-il passé ?

— Pourquoi elle ne parle pas ? questionna Badeni.

— Je leur ai tranché la langue, répondit Noki en haussant les épaules. Je ne supportais plus de les entendre.

— Vous auriez dû garder votre sang-froid. Le moment perd de son intensité, à présent. Je suppose que je dois quand même vous remercier. Je craignais que Ghanima ne profite à jamais de sa liberté.

Elle était désignée et ne disposait d’aucune échappatoire. Une garde saisit Ghanima par le cou et la projeta encore plus vers l’avant, la rapprochant ainsi de son ancienne esclave. Toussant, geignant, Ghanima se redressa avec difficulté à cause de la douleur et de ses bras enchaînés. Aucune de ses marques ne lui prodiguait toutefois une souffrance comparable à celle de revoir Badeni. Elle déglutit. Elle trémula. À genoux face à la milicienne, elle osa à peine relever la tête. L’heure de régler les comptes. Je te laisse ce plaisir, Badeni.

— Tu es donc muette ? interrogea la jeune femme.

Ghanima opina à contrecœur.

— Et tu as cessé d’être libre dès le moment où Khanir Nédret a cessé de sévir ?

Ghanima acquiesça encore.

— Deux options s’offrent à moi. Soit tu redeviens notre prisonnière, et nous te torturons jusqu’à lassitude. Soit tout s’achève. Et, sincèrement…

Badeni caressa la hampe de sa hallebarde, et un sourire à faire pâlir les plus sadiques étendit ses lèvres. Un acte contre lequel Ghanima ne pouvait que se courber davantage.

— Cette lassitude, je l’ai déjà atteinte. J’ai eu bien le temps de me venger de tous les supplices que tu m’as faite subir. À quoi bon persister ? Contrairement à toi, Ghanima, je sais à quel moment ça doit s’arrêter. Je te poserai donc l’ultime question : es-tu prête à mourir ?

Cette fois-ci, elle ne hocha pas tout de suite. Des tremblements ne cessaient de la labourer, telles de lancinantes étincelles. Ghanima réalisa alors que rien ne serait fait tant qu’elle ne répondrait pas. Aussi releva-t-elle le chef et s’inclina. Peut-être qu’elle n’est pas prête, mais elle s’y est résignée.

— Adieu.

Sa hallebarde s’abattit comme l’éclair. Tranchant dans la chair, saignant à vif. Une poignée de secondes suffit pour que Ghanima s’écroulât. Elle expira son soupir au bonheur des uns et à l’horreur des autres. Et son cadavre macula une salle au sein de laquelle jamais il n’avait dû se produire ce type d’événements.

Une exécution propre et rapide. Ghanima ne méritait pas tant, mais au moins, c’est réglé. Les gens d’ici ne sont pas habitués à de telles exécutions ? La peine de mort n’est pas en vigueur à Kishdun, mais quand même… En fin de compte, un bon ennemi est un ennemi mort.

Badeni n’essuya même pas sa hallebarde. Ne calcula guère les réactions d’autrui. Au lieu de quoi elle retourna auprès de son impératrice, et soupira de soulagement.

— Sans Ghanima, déclara-t-elle, je ne vous aurais pas rencontrée. Je n’aurais pas eu la chance d’être une fière milicienne, terrassant l’adversité sans vergogne. J’ai beaucoup souffert, mais j’en suis sortie endurcie. Devrais-je la remercier ?

— Seule toi possèdes la réponse, répondit Bennenike. Quoi qu’il en soit, tu es débarrassée d’elle pour de bon, conformément à ton choix. À présent…

À mon tour, maintenant. Nafda coupa court à son discours. Elle s’imposa contre la volonté de son impératrice d’une paire de foulées assurées. Défouraillant, ses lames miroitèrent à son avancée, face auxquelles les esclavagistes survivants trémulèrent de plus belle.

— Tu as l’intention d’éliminer les autres ? interrogea Koulad. Qu’en pense l’impératrice ?

— Pas les deux femmes que je ne connais pas, rectifia Nafda. Gemout Sereph, en revanche… Il est une cible de premier choix. Quelqu’un qui aurait dû trépasser il y a bien longtemps.

— Qu’en sais-tu ? J’ai l’impression que tu as juste une inextinguible soif de sang. Et hormis les quelques bandits de chemin, tu n’as pas eu l’occasion de l’assouvir.

Tentée de foudroyer son interlocuteur des yeux, elle se contenta de l’ignorer. L’assassin assouvirait ses désirs tant que Bennenike ne s’y opposerait pas. Un pas après l’autre, elle réduisit la distance, affermit sa présence, obombrant bientôt les esclavagistes. Une injustice de plus à réparer.

— Mes pires craintes étaient infondées, dit Nafda. Lui et son épouse étaient des esclavagistes, pas vraiment des mages, mais je ne regrette en rien d’avoir arrêté leur entreprise. Son épouse Vouma est morte depuis bien longtemps et plus jamais elle ne nuira. Gemout, en revanche… Je redoutais qu’il s’échappe malgré son état. Qu’il poursuive ses anciens esclaves. Il n’en a été rien. Agnémonne, Mérid, je ne vous connais pas, et vous êtes sûrement d’horribles personnes, mais je peux au moins vous remercier. Pour la peine, je vous épargnerai.

Nafda anticipait des gestes de reconnaissance, ou au moins une forme d’apaisement, mais ne récolta que des regards dubitatifs. Tant pis pour elles, je me fiche bien de ce qu’elle pensent. Épaules voûtées, doigts repliés autour de la poignée de ses dagues, elle les pointa vers Gemout. Lequel ferma les paupières à défaut de pouvoir supplier.

— Je t’aurais bien demandé tes dernières paroles. Nwelli aurait dû t’occire il y a bien longtemps, mais au moins cela t’aura permis de goûter à tes propres méthodes. À présent, va donc rejoindre ton épouse.

L’attaque fut directe, véloce. Nafda lui cisailla le cou duquel jaillirent des gerbes de fluide vitale. Nonobstant son visage éclaboussé, l’assassin eut tout le luxe d’admirer l’agonie de l’esclavagiste. Il se coucha vers son ultime sommeil, face à un sourire éphémère, et malgré tout puissant.

Pitoyable. Il aurait dû se montrer aussi digne que Ghanima. Accepter son sort. Sa femme est morte, il a tout perdu, il a été réduit à l’état d’esclave, et pourtant l’idée de périr ne l’enchantait pas, malgré la délivrance que cela lui procurait.

Sur ces entrefaites, j’ai encore d’autres choses à accomplir tant que je respire.

Deux esclavagistes décédés, deux encore vivantes. Agnémonne et Mérid n’intéressèrent aucunement Nafda, et Bennenike non plus. Pendant que la paire de dépouilles emplissait la salle au grand dam de certains, pendant que l’on constatait l’exécution des verdicts, l’impératrice enjamba les corps de Ghanima et Gemout.

Ses yeux se plissèrent à l’intention de Noki. Adossée contre le mur, joignant les bras, la cheffe arqua un sourcil par-devers l’autorité de la dirigeante.

— Vous n’êtes pas satisfaite ? interrogea-t-elle. Malgré mon gage de bonne volonté ?

— Il n’y a rien d’extraordinaire à s’opposer à l’esclavage, objecta Bennenike. L’Empire Myrrhéen a été l’une des dernières nations à l’abolir, un retard qui aurait dû être rattrapé bien avant mon règne. Ce même si nous connaissions certains de vos prisonniers. Vous pouvez garder les deux autres, nous n’en voulons pas.

— Très bien. Mais, outre cette parenthèse, vous savez pourquoi notre réunion devait se dérouler.

— Nous abordions le sujet de la rébellion de Ruya zi Mudak, en effet.

— Voilà ! Or je décèle une autre ressemblance entre nous deux, impératrice. Nous sommes des guerrières. Que pensez-vous donc de ma proposition ? Menons nos forces sur le champ de bataille. Sauvons l’empire des maux qui le détériorent.

— Une belle résolution que je perçois. J’attends encore le geste derrière ces paroles, mais vous êtes bien partie. Scellons notre alliance, Noki Gondiana.

Une poigne ferme, longue, suivie de francs regards, les plaça sur le même chemin. Ainsi se joignirent les deux dirigeantes, ainsi s’exprima la conclusion du repas. Une pléthore de tâches devait succéder, et bien peu auxquelles Nafda participerait de son plein gré. Bennenike se fie à elle ? Restons sur nos gardes, encore. Néanmoins contempla-t-elle les gardes transporter les deux esclavagistes survivantes vers une obscurité plus prononcée, tout comme les deux cadavres à qui peu d’honneur serait accordé. Les portes claquèrent au rythme des passages, les bras de servants se lestèrent d’assiettes vides, les conversations se poursuivirent vers des sujets plus triviaux.

Et nul dessert ne fut servi.

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