Chapitre 22 : Différentes directions (2/2)

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Le sol s’ébranlait à chacune de leurs impulsions. Certains vagues de magie se répercutaient même sur le feuillage des cerisiers qui en brimbalait. Tout va céder si nous nous déchaînons, alors évitons ce scénario. D’un signe Onzou arrêta ses compagnons, avant d’attraper brusquement Horis par le col. Des cris sourds se perdirent, des invectives fusèrent. Mais avant toute collision de flux, Milak s’interposa, le front inondé de sueur, les traits tirés.

— Nous entretuer serait donc votre seule réponse ? s’indigna-t-il. Arrangeons-nous !

— Il n’y a pas de discussion possible, trancha Sembi, furibarde. Il était là quand ma famille a été massacrée ! Il a au moins sa part de responsabilité.

— Quelle sera ton excuse, Onzou ? renchérit Médis. À quoi sert notre sédition si elle implique l’extermination d’innocents ?

Malgré la kyrielle d’accusations braquées sur lui, Onzou ne croula pas. Il soutint au contraire le regard de ses opposants tandis que ses alliés se congloméraient en une masse encore plus resserrée. Une puissance groupée et non individuelle. À tout moment, ils pourraient attaquer. Nous devons rester vigilants. Face à eux, dans un bref moment de sérénité intérieure, Horis suivit son inspiration par la concentration de flux sur la paume de sa main. Milak lui tint son poignet, lui coula un coup d’œil dissuasif.

— Nos erreurs nous ont souvent coûtés cher, affirma Horis. Nous apprenons d’elles pour nous améliorer. Car nous avons compris que toutes les méthodes ne sont pas bonnes pour renverser l’impératrice.

— Et ça vous a bien réussi jusqu’à présent ! provoqua Onzou sur un ton agacé. Bennenike respire encore, et ses troupes sont plus fortes que jamais !

— Nous les affaiblissons au fur et à mesure. Sais-tu combien de miliciens ont trépassé à mon passage ? J’ai même occis Nerben Tioumen.

— Tu te vantes d’avoir tué un vieillard ? Rien d’exceptionnel ni d’honorable là-dedans. De toute façon, une seule personne ne saura faire la différence. Une armée entière devra déferler sur eux. Et elle est proche.

— Pas celle de Ruya.

— Laquelle, dans ce cas ? Toutes les autres ont été réduites à néant !

— Non, pas toutes.

Onzou darda aussitôt Horis de scepticisme. J’en ai trop dit. Il doit savoir que Noki a fait semblant de s’allier à Bennenike contre Ruya. Mais la vérité ne doit pas être révélée à n’importe qui… Au cours d’une conversation de tension grandissante, où leur flux grimpait de la terre à la cime des arbres, beaucoup d’insultes étaient évitées. Des muscles se contractaient, des plis s’épaississaient sur des faciès tordus par l’émotion. Il en existait cependant un qui se préservait.

Milak garda les bras écartés et la bouche grande ouverte, refusant de s’éponger le front.

— Nous suivons Noki Gondiana, dévoila-t-il. Cheffe de Vur-Gado.

— Nous n’étions pas censés lui révéler ça ! sermonna Médis.

— Il ne nous laisse pas le choix, nous devons effacer toute ambiguïté de nos intentions. Bien sûr, Noki ne compte pas s’allier à l’impératrice jusqu’au bout. Quand le moment viendra, elle la tuera à son tour, mais la rébellion de Ruya est mauvaise tout comme l’était celle de Phedeas, puisqu’elles reposent sur le massacre d’innocents.

Il a déjà trop raconté. Qu’est-ce qu’il lui prend ? Alors qu’Onzou reculait sous les implications de l’explication, Milak ne le cessait guère de réduire la distance, quitte à s’exposer davantage à la magie adverse. Il joue à un jeu dangereux ! Nous avions pourtant recommandé la prudence. Du sang montait tant au visage d’Onzou que même Horis sentit son sang se glacer.

— J’imagine que vous dites vrai, sinon vous ne vous seriez pas alliés à Noki.

— Bennenike n’est même pas informée de notre présence ici, clarifia Milak.

— Je vois. C’est donc tout ce que nous valons à nos yeux ? Nous aurions pu former une coalition invincible, emportant les troupes impériales telle une tempête ! Mais non, à la place, vous avez été submergés par votre sens moral.

— Renoncer à nos principes au nom de la chute d’un tyrane ne nous offrira aucun avenir glorieux.

— Vous me fatiguez à vous servir des soi-disant innocents citoyens comme boucliers ! Jamais Ruya n’a déclaré que nous devions prendre des villages d’assaut par gaieté de cœur. Quel autre choix s’offrait à nous ?

— Diriger votre hargne contre les véritables coupables. De nombreux citoyens sont des victimes de cette tyrannie eux aussi. Les occire ne plaidera pas en notre faveur.

— Mon pauvre Milak, tu as toujours été le plus simplet d’entre nous. Les murailles de la capitale ne s’écroulent pas si facilement, et même quand on y pénètre, les miliciens font office de rempart pour leur vénérée meneuse. Voilà pourquoi il fallait les attirer hors de la ville.

— Et c’était votre seule méthode ? Tu as du cœur et de l’esprit, Onzou. Tu aurais pu persuader Ruya de procéder autrement.

— Les flagorneries ne fonctionneront pas avec moi. Il ne s’agissait pas juste de ça. Notre but était aussi de répondre à la destruction par la destruction. À la conquête par la conquête. Dans l’Empire Myrrhéen, seule la puissance est respectée. Qui pleurera quelques habitants paumés d’Ordubie ou de Kishdun ?

— Je te connaissais avec plus de compassion. Qu’est-ce qui t’est arrivé ? Cette guerre nous ravage tous…

— Épargne-toi la tienne ! Je sais très bien dans quoi je me suis engagé.

Certaines paroles se scellaient. S’inséraient aux anfractuosités de l’esprit sans jamais s’en extraire. Onzou avait beau choquer ses anciens compagnons, il n’en avait cure, et s’en targuait même. Même dans sa folie, Khanir semblait plus raisonnable. Notre ami a-t-il un jour été raisonnable, ou bien était-ce un doux rêve ? Il jouissait de l’appui de ses nouveaux camarades, autour desquels le flux s’écoulait et se diffusait en pernicieux spirales. Des bras se tendaient tels des réceptacles, sollicitaient un environnement dont les teintes commençaient à se ternir, y compris les cerises écrasées entre les feuilles.

Lui qui assistait à ce rassemblement de pouvoir et de fureur, il ne serait guère un simple témoin. Un éclat violacé courait le long des bras de Horis que seul Milak cherchait encore à ralentir.

— Nous avons trop palabré, décréta-t-il. Il est impossible de tout arranger pacifiquement.

— Je suis bien d’accord, confirma Onzou, une lueur déterminée brasillant dans ses iris.

— Une solution paisible est envisageable ! s’exclama Milak.

— Quelle est ta solution ? Que je trahisse Ruya pour me joindre à vous, peut-être ?

— Tu étais notre allié, tu peux le redevenir. Nous pardonnerons tes erreurs. Nous croirons en ta rédemption.

Milak plaqua ses mains sur les épaules d’Onzou. Au geste succéda le regard, intense et opiniâtre, contre lequel le mage manquait de se soustraire.

— Des braises et des cendres partout, voilà ce que tu souhaites ? fit Milak. Trop de sang a déjà coulé, Onzou.

Ils étaient encerclés sur un rayon bien trop réduit. Autour d’eux se resserraient les volontés de tout un chacun, des mages s’apprêtaient à déployer leur flux. Parce que les circonstances l’exigeaient. Parce que les mots échouaient à rétablir la quiétude. Pourtant tous attendaient l’ultime réponse d’Onzou. Au centre de l’attention, il se raidit à l’insistance de son compagnon, qu’il examina avec inquiétante sévérité.

— Et il en coulera encore.

Même s’ils étaient parés à tout, même s’ils pensaient avoir anticipé, Horis, Médis et Sembi virent à peine fuser le poing d’Onzou. Il traversa la poitrine de Milak, gorgé de magie, et ressortit dégoulinant de fluide vital.

La victime suffoqua tant sur la soudaineté de l’impact que sa violence.

Et chuta lentement sur une nuée de cris de désespoir.

Ils paieront. Ils paieront ! Horis devança ses camarades dépassées par la situation. Sitôt que Milak eût fini de s’effondrer, il réalisa des courbes avec ses bras, desquels déferla un flux accru par la rage et l’excès. Ce fut dans une terrible vocifération que des flammes se générèrent aux pieds des mages adverses.

Une colonne épaisse de feu engloutit l’ensemble du groupe. S’amalgamèrent des nuances jaunâtres et rougeâtres au moment où elle s’éleva sur une vingtaine de mètres et pointa entre les sommets des cerisiers. Des secondes entières à consumer des mages pris au dépourvu, incapables de riposter, dont l’unique réplique se traduisit en étouffements. Guère de hurlements ou de ripostes les animèrent lorsque l’ultime géhenne précédait leur trépas.

Les flammes se dissipèrent et des corps calcinés s’étendirent sur les braises rémanentes. Bras et muscles relâchés, courbé par les répercussions de son propre pouvoir, Horis contempla sinistrement son œuvre. L’effort lui avait coûté la régularité de sa respiration. Le déploiement le laissait bouche bée par sa propre extension. La vision persistait et ses traits s’en creusaient. Une sensation bien trop familière…

— Vous ne m’avez pas laissé le choix ! tonna-t-il. Nous ne devions pas en arriver là. Pourquoi avez-vous été si borné ? Milak vous a offert une échappatoire, et vous l’avez…

Horis s’interrompit car il réalisa. Bientôt abandonna-t-il l’acharnement au profit d’une placidité glaçante. Derrière lui perçaient des sanglots, aussi il se retourna, aperçut Médis et Sembi tenir les mains de la victime. Lui-même s’ankylosa tandis que sa gorge se nouait.

Il était impossible de le sauver. Il était inconcevable de retenir ses larmes. Comme tant d’autres avant lui, Milak avait un trou béant sur son torse, qu’aucune rapide guérison ne savait réparer. Il ne parvenait même pas à articuler ses derniers murmures tant il anhélait et crachait des gerbes de sang.

Jusqu’à son ultime souffle où son corps se figea pour de bon.

À peine Médis eut-elle la force de lui clore les paupières. À peine Sembi eut-elle celle de l’allonger sur le lit que formaient les feuilles de cerisiers, les bras superposés sur sa poitrine, les jambes croisées aux chevilles comme le voulait la coutume de sa région natale.

Combien de mes compagnons vont encore mourir avant la fin ? Combien ? Moult larmes avaient déjà été déversées, et d’autres tomberaient jusqu’à assèchement. Celles de Horis avait coulé également, mais il ne laisserait pas son corps se pelotonner ni sa voix se voiler. Au lieu de quoi ses traits se déformèrent, et il braqua ses yeux par-delà les contours du village, vers un horizon aux abords trop lointains.

— Enterrez Milak comme il se doit, suggéra-t-il. J’ai à faire ailleurs.

— Où vas-tu ? s’enquit Médis.

— Exterminez tous ces gens qui ont semé la division. Je vais participer à la bataille imminente entre deux forces que je méprise.

— Non, nous devions agir autrement ! Nous ne sommes pas encore censés nous dévoiler ! Horis, je t’en supplie, ne laisse pas les émotions te submerger…

— Il est trop tard. Milak n’aurait pas dû mourir. Et je ne veux pas qu’il vous arrive malheur non plus, alors restez ici.

— Hors de question que…

— Soit je reviens vite, soit je ne reviens pas. Mais je n’ai pas envie de rester à l’écart alors que nos ennemis sont si proches.

Médis ne s’opposa outre mesure, même si elle brûlait sans doute de le faire. Car l’aura enveloppant Horis s’étendait tant qu’il valait mieux laisser libre court à sa volonté qui s’embrasait. Les regrets seront pour plus tard.

Lamentations et honneurs se diffuseraient hors de sa présence. Les villageois obtiendraient réponse à ses interrogations sans lui. Il s’enfonça par-delà le bois, vers la vallée au sein de laquelle des troupes se rencontreraient bientôt. Suivaient d’épais nuages tandis qu’il arpentait des déclivités de plus en plus sinueuses.

Ennemis des mages, vous ressentez un sentiment plus fort que la haine à notre égard.

La peur. Vous craignez notre puissance. Vous redoutez les infinies capacités que ce flux nous procure.

Et vous savez quoi ? Je vais vous donner raison.

Aujourd’hui, vous allez entendre mon nom.

Vous hurlerez devant moi.

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