Chapitre 23 : Volontés entremêlées (2/2)

9 minutes de lecture

Des tremblements ébranlèrent le champ de bataille tout entier. Bientôt des fissures lézardèrent le sol, menaçant de créer des brèches, aussi les belligérants s’éloignèrent des naissantes failles où les chutes s’avèreraient inexorables. Les yeux de Nafda se dilatèrent alors que l’herbe semblait se dérober sous ses pieds. Son organe vital rata un battement, mais elle tint bon, s’écartant en même temps que ses adversaires.

— De ce côté ! beugla une milicienne. Il y a quelque chose !

Sur ce signal se propagèrent des ondes dévastatrices à l’instar des bramements. À bien peu d’occasions l’assassin avait ressenti de pareilles vibrations le long de ses dagues. Des frissons couraient le long de sa colonne vertébrale comme de la sueur suintait sur son front plissé. Inutile de se frotter les yeux, inconcevable de se dissimuler, tant le flux qu’elle percevait était tangible.

Malgré tout le temps dont ils disposaient, trop peu de miliciens eurent le réflexe de s’ériger face à la salve imminente.

Un tel retard s’exprima au travers des bramements.

Le ciel s’était subitement dégagé. De la voûte azurée à la vallée naquit une colonne d’un rayon surpassant la vingtaine de mètres. Il scintillait d’un éclat pourpre qu’accompagnait un impitoyable roulement. À peine les combattants l’eurent-ils aperçu qu’un afflux d’éclairs en jaillit de part et d’autre. Des arcs bleutés se répercutaient des miliciens aux rebelles, les troupes de Noki épargnées par leur relatif retrait. Le métal des équipements conduisit la foudre qui abattit des dizaines de femmes et d’hommes en une poignée de secondes. Partout la mort se répandait, partout s’entonnaient les sanglots et les spasmes, partout s’élevait l’odeur du sang écoulé à foison.

Nafda se tenait à bonne distance du point d’impact. Ainsi, quand se rapprocha la décharge lumineuse, elle s’était déjà atténuée à force de déferler, et l’assassin put la dissiper sans souci. Bennenike agit pareillement bien que Badeni s’interposât entre elle et le sort histoire de la protéger.

L’étoile diurne éclaira la voie colorée de vermeil.

Si Nafda ne versa aucune larme, elle déglutit quelque peu, et ses pupilles se voilèrent, surtout en avisant le centre l’attaque dévastatrice. Le lugubre calme dont se teintaient les lieux octroyaient le temps requis à l’identification de l’assaillant. Un mage aux yeux dorés perçant dans cette nouvelle nitescence.

Horis Saiden. Après tout ce temps, il est revenu.

— Maudit sois-tu ! explosa Badeni. Puisses-tu finir en poussière comme nombre de tes homologues !

— Pas tant que vous souillerez ce monde de votre présence, répliqua sèchement le mage.

La garde fulmina en comprimant ses doigts sur son manche. Autant de cris et d’invectives ne l’imposèrent qu’un bref instant, après lequel l’impératrice domina la scène, s’avançant en haussant petit à petit ses cimeterres, toisant son ennemi de toujours. J’avais manqué leur précédente rencontre, tiens.

— Je te salue, engeance ! interpella Bennenike. Beaucoup de choses se sont succédés depuis notre dernière rencontre. Tant de bouleversements en un si court laps de temps… Heureusement, certains repères demeurent. T’infiltrer au sein du Palais Impérial et perturber mon propre mariage constituaient déjà un exploit. Ta réputation n’a cessé de s’accroître depuis lors.

— Ma patience atteint déjà ses limites, coupa Horis. Je ne m’étais pas aperçu que vous aimiez autant vous écouter discourir, impératrice. Encore moins au beau milieu d’une bataille.

Une rebelle jaillit de biais, escomptant la distraction de la dirigeante. Toutefois Bennenike la remarqua bien à l’avance, et lui trancha la tête après l’avoir déstabilisée. Quelques gouttes de sang l’éclaboussèrent sans ternir la rigidité de ses traits impavides.

— C’est notre éloquence qui nous sépare de l’animal. Il viendra bientôt le temps de t’occire, puisque ton existence représente une menace pour mon pouvoir.

— Vous m’en voyez honoré. Je ne me considérais pas si dangereux. J’ai assez suivi, je me suis assez dissimulé dans l’ombre. Je mènerai mes propres décisions même si elles impliqueront de prendre des risques.

— Je ne formulais pas un compliment, loin de là. Chacune de tes victimes est à venger. Sauf Nerben, je suis ravie que tu t’en sois débarrassé.

— Une compensation. J’ai trop perdu et je ne récupèrerai jamais. Mais je m’assurerai que d’autres aient le droit à une meilleure vie que la mienne !

— Il suffit. Ton sort est scellé. Soldates, soldats, avec moi !

D’une main levée Bennenike déclara la contre-attaque. S’ensuivit un mouvement synchronisé d’une kyrielle de miliciens. Ils chargèrent dans un grondement implacable, changèrent de direction au renversement de la lutte. Puisque les desseins avaient divergé, Nafda remarqua la retraite des rebelles. Ruya était même la première à s’esbigner hors de la vallée, ne daignant même pas achever Koulad. Là-bas leurs forces auraient tout le loisir de se restaurer, là-bas ils se réfugieraient de la désolation.

L’assassin pesta mais s’obligea à obliquer à l’instar des miliciens. Si seulement on n’avait pas besoin de moi ailleurs !

Des secousses se répandirent encore au moment où elle entama une descente. De si intenses oscillations parcouraient ses lames qu’elle les imaginait voler en éclats d’un instant à l’autre, ce pourquoi elle renforça son emprise sur les poignées. Ne m’abandonnez pas maintenant. Je vous promets, vous serez comblées sous peu.

Par centaines les filaments de flux grésillaient entre les anfractuosités du sol. Elles diapraient d’une myriade de couleurs alors que régnait la plus sombre d’entre toutes. Des sons parasites se propagèrent avec célérité, déchirèrent les tympans des belligérants, les entravèrent dans leur progression.

Des jets étincelants chutèrent par surcroît. D’abord aussi fins que des tiges, ils grossirent à vue d’œil en se rapprochant de l’herbe maculée d’écarlate, s’inclinèrent dans des trajectoires ardues à anticiper. Seules quelques-unes purent être déviées alors que les autres heurtèrent leur cible dans un foudroiement douloureux.

Nafda accéléra, son cœur pulsant contre sa poitrine. Fais le fort tant que tu en es capable, tu connais les répercussions de ta magie ! La vie disparaît autour de toi !

Une roche grisâtre s’étalait sous les pieds de Horis. Autour du mage scintillaient des traits lumineux qu’il déployait continûment. Après chaque assaut, il élargissait le dôme magique contre lequel ses ennemis abattaient leur arme, agrandissant ainsi l’environnement dont il puisait le flux.

Ce fut le moment où Nafda atteignit le bouclier. Elle fixa son rival de toujours dès son arrivée, lui consacra un regard débordant de malveillance. Lequel ne s’incurva aucunement malgré les étincelles saillant tel un flux. Tant que l’énergie coulerait en lui, tant que subsisterait fût-ce une once de ténacité, Horis se hisserait, brave et inébranlable au cœur de la mêlée.

Tu cèderas bientôt. Et je ne t’offrirai aucune danse.

Dagues collées à ses flancs, Nafda fléchit ses coudes afin de leur offrir une meilleure impulsion, puis elle frappa encore et encore. Jusqu’à l’inévitable rupture. Jusqu’à l’instant où des ondes cesseraient d’irradier le long de la courbure. Les miliciens avaient beau s’échiner dans leur coordination, contraints de s’allier ou périr, Nafda se focalisait uniquement sur son propre point d’impact. S’y opiniâtrer la rendait cibles de sorts de Horis qu’elle déjetait la plupart du temps et encaissait le reste.

Mais quand le déchirement se produisit, projetant Horis sur ses genoux, elle en sourit d’autant plus. Courut comme une forcenée face à la vulnérabilité de son adversaire.

Le mage se remit d’aplomb avant que le métal ne franchît son seuil. L’air se fendit sous ses impulsions pendant que s’illuminaient ses poings. Il était le réceptacle de ses alentours et ne s’effondrerait ni devant l’assassin, ni devant les miliciens, ni devant l’impératrice. Des spirales de flux voletaient à haute vélocité.

Nafda bondit en faisant virevolter ses dagues. Ses lames s’entrechoquèrent avec véhémence contre l’énergie ponctuelle quand elle plongea sur Horis. Bennenike se jeta à sénestre et porta une vive estocade que le mage para également. Il chavira néanmoins, transi de tremblements, épuisé par tant de déploiements.

Quand surviendra ton heure, Horis Saiden ?

— Pourquoi es-tu si pressé de mourir ? Tu as un rôle bien plus important à jouer.

Des voix insidieuses et profondes s’infiltrèrent dans l’esprit de l’assassin à la manière d’un poison. Assez longtemps que pour la déconcentrer et l’empêcher de cisailler Horis comme il se devait. Je les reconnais. Ils…

Un flash lumineux éblouit l’ensemble des assaillants.

Des particules de flux s’assemblèrent et s’épaissirent dans des piliers blanchâtres joignant de nouveau ciel et terre.

Le long du ravin duquel la vie était aspirée, deux individus assujettissaient quiconque osait douter de leur présence. Personne n’était capable de combler la distance qu’ils avaient créé. Pas même Horis et Nafda qu’ils dévisagèrent d’inquiétante insistance. Face à eux, leur estomac se nouait, des gouttes de transpiraient glissaient sur leurs tempes, et leurs dents se serraient. Ils paraissaient même isolés d’autrui.

— Alors vous faites irruption aussi ! s’écria Nafda. Pourquoi ? Comment ?

— Ils apparaissent souvent devant toi ? interrogea Horis. Je me sens moins seul.

— Ils forcent un lien entre nous. Pourtant les faits sont simples : seul l’un de nous deux survivra, et je préfère que ce soit moi.

— Tu manques de subtilité, Nafda. Dois-je te remercier d’avoir épargné mon amie Médis ?

— Elle t’a racontée, bien sûr. Mes hésitations. La façon dont ces traîtres m’ont lavé le cerveau.

— Telle est ton excuse ? Peut-être qu’ils t’on révélée une partie enfouie de toi. Au-delà de l’endoctrinement de ton impératrice.

Il ne va pas s’y mettre lui aussi ? La jeune femme foudroya son rival des yeux. Ses muscles eurent beau se contracter, et les veines saillir le long de ses bras, elle préférait se concentrer sur les deux autres intrus.

Leid et Niel contemplèrent les parages en se dotant d’un sourire suffisant.

— Ne vous engouffrez pas dans des disputes puériles, suggéra Niel. Vous valez mieux que cela, tous les deux. Un mage et une assassin parmi les meilleurs dans votre domaine. Vos destinées sont liées.

— On le sait, dit Horis en soupirant. Combien de fois vous nous l’avez répété ? Et puis, je vous en veux encore ! Je…

— Laissez-nous parler et vous méditerez là-dessus après, interrompit Leid. Réfléchissez aux implications de notre présence.

— J’imagine que je devrais éviter de vous égorger, quand bien même j’en brûle d’envie.

— Tout à fait. Si nous t’avons libérée, c’est parce que nous y avons vu ton avenir. De tes décisions dépendra l’avenir de l’empire. Et aussi Horis, naturellement.

Je ne suis qu’une intermédiaire. Je me cantonne à suivre les ordres. Nafda pourrait braquer ses lames, se ruer vers ce duo à cause duquel elle bouillonnait, toutefois n’en fit-elle rien, et son rival non plus. Au lieu de quoi ils se suspendirent à leurs paroles, comme happés, tandis qu’ils adoptaient la mainmise de leur conversation. Un silence crissant emplissait les environs.

— La guerre s’étend partout dans l’Empire Myrrhéen, rappela Leid. Elle est trop… tangible, ce même alors que d’innombrables mages luttent pour une vaine survie. Et si nous vous disions que votre participation s’inscrit ailleurs que dans le simple affrontement physique ?

— Nous mentionnons un lieu enfoui loin d’ici, déclara Niel. Bien à l’est de Kishdun, dans le désert d’Erthenori, là même où vous avez vécu bon nombre de vos péripéties. Une force indomptable s’y réveillera.

— Il est temps d’éveiller votre esprit à des possibilités inédites. Il serait bien arrogant d’affirmer que seuls les humains possèdent un lien avec la magie.

— Pourriez-vous être plus précis ? demanda Nafda.

— Oh, mais vous avez déjà quelques idées, j’en suis persuadée. Ou bien vous êtes naïfs pour imaginer que tout se règlera par la brutale et inepte violence des armes et de la magie. La nôtre révèlera le chemin. Prenez garde de ne pas vous y perdre.

Tels des burins, les mots s’enfoncèrent dans le crâne de Nafda.

L’instant d’après, les environs se drapèrent d’un blanc immaculé, l’aveuglant toute entière. Nafda s’efforçait de garder ses ennemis dans sa vision, en vain. Les paroles se répétèrent en échos pendant que l’adversité disparaissait.

Et avec eux l’espoir de réduire à néant tout ce qui la taraudait.

Nafda s’écroula sitôt que les intrus s’étaient dissipés. Elle n’avait pas remarqué que les troupes de Noki étaient demeurés en retrait, ni que Bennenike présentait des plaies presque aussi étendues que celles de son mari. Allongée sur l’herbe, sous un flux désormais libre de circuler, elle menaçait de s’évanouir.

Ses alliés accouraient auprès d’elle. Pourtant l’aide était insuffisante à combler Nafda tant ses blessures l’avaient atteinte intérieurement. Une sensation d’incomplétude, le sentiment d’abandon. Ses bras se tendirent vers ses lames posées au sol dont elle chérissait le contact rugueux. Battant des paupières, relevant les yeux, elle avisa la fin de la bataille, quoiqu’une saveur déplaisante coula dans sa gorge.

Puis ses yeux se rivèrent vers le ciel où toute trace des affrontements s’était dissipée.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Saidor C ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0