Chapitre 26 : L'irréalisable quête (1/2)

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JIZO

« Pauvre mage enlevée contre son gré,

Où es-tu ? Nous venons te chercher.

Dans les arides plaines du nord de Souniera,

Là où la guerre ravage tout, se cache ton aura.

Objet de convoitise, source de hantise,

Peu de chances que cela te favorise.

Mais un jour on te délivrera

Et de joie tu bondiras. »

— Sérieusement, c’est si nul ! rouscailla Vouma. Je comprends parfaitement les critiques d’Audelio.

Jizo était assis, jambes repliées, et avait plaqué ses mains contre ses tempes ruisselantes de sueur. Pas qu’une telle méchanceté soit bienvenue… Les paroles ne volent pas haut, mais au moins cette mélodie occupe notre soirée. Il avait gardé la tête inclinée tout le long du couplet, puis s’aperçut qu’aucune musique ne berçait encore le fond de la nuit. Des jugements dardaient de chez ses parents à l’intention de la ménestrelle, qui joignit ses mains derrière le dos, comme pour dissimuler son luth.

— Ce texte est presque irrespectueux de Taori, lâcha Wenzina.

— Loin de moi cette idée ! se défendit Sandena. J’envisage cette aventure comme une quête épique, où…

— Une aventure ? s’emporta Tréham. Une quête ? Où crois-tu que nous allons, Sandena ? Plus nous nous enfonçons dans l’ouest et plus nous rapprochons de la guerre ! Nous avons été incarcérés, et nous parlons de délivrer une jeune femme des mains de mercenaires. Prends un peu la situation au sérieux. En nous accompagnant, tu risques ta vie, sois-en consciente…

— Je… Je me doute. Mais j’avais envie d’apporter un peu de légèreté dans nos cœurs meurtris, vous comprenez ?

— C’est l’intention qui compte, intervint Jizo. Une autre manière d’aborder la situation. Je ne te blâme pour ça, mais… évite de le refaire à l’avenir, de préférence.

Malgré la sévérité du ton, Jizo flanqua un doux coup d’œil à la musicienne, aussi s’apaisa-t-elle au moment de revenir auprès des siens. Vouma s’autorisa un ricanement qu’elle ne réprima pas même quand le jeune homme lui foudroya du regard. J’ai trop d’animosité, mais hors de question de la diriger vers cette pauvre Sandena. Une fois assise sur sa couchette, forte de la chaleur du feu central, Sandena émit un soupir se propageant dans le cœur de la nuit.

Nous cherchons notre voie au milieu de nulle part. Sans indice, la quête semble presque perdue d’avance. Ils étaient conglomérés autour d’un éclat rougeâtre, vacillant parfois sous le mugissement du vent, dont les nuances contrastaient avec la noirceur de l’environnement. La fraîcheur contrastait avec l’aridité du jour tandis que nulle humidité ne flottait dans l’air. Guère un environnement des plus confortables, toutefois Audelio et Sandena y avaient été trouvé leurs aises, et détendaient leurs membres comme si de rien n’était.

Peut-être s’étaient-ils restaurés, peut-être s’étaient-ils désaltérés, mais un vide continuait de les emplir. Difficile d’arracher des sourires dans de telles circonstances.

— Ne vous prélassez pas trop, chuchota Vouma. Qui sait ce qu’il est advenu de Taori ?

De sombres perspectives assaillirent Jizo. Ces indicibles images le bloquaient même lors d’un moment de détente, le tourmentaient au-delà du raisonnable. Il se focalisa sur ses parents et sur Nwelli, dont les traits parvenaient à s’alléger, avant de se river sur les paisibles flammes.

Ce que son père imita peu après.

— Nous ne sommes pas plus avancés, murmura-t-il.

— Un peu de persévérance ! insista Audelio. Je sais que nous nous sommes rencontrés il y a peu, mais je vous assure que nous sommes dignes de confiance. Sûrement car nous avons été faits prisonniers par les mêmes personnes.

— Et maintenant, où en sommes-nous ? Quelle sera la prochaine étape ?

— Nous avons quitté Lunero Dogah, merci encore à vos amis pirates, ainsi que ses hameaux environnants. C’est là que nous entrons en territoire dangereux.

Nous en sommes conscients. D’autres épreuves à traverser. Si accoutumés à cela, alors que ce ne devrait pas être le cas… Avisant la menace, pourtant encore hors d’atteinte, des frissons parcoururent Wenzina. Impossible, ma mère n’a jamais de frayeur ! Elle posa sa tête sur l’épaule de son mari qui l’accueillit d’un sourire chaleureux tout en lui caressant le haut du dos. Aucun malheur ne les a séparés, heureusement. Nwelli se rapprocha de son ami en s’en inspirant, mais se bloqua à mi-chemin, comme ankylosée.

Audelio toussota et héla ses camarades, plissant les lèvres puisque nul ne pipait mot.

— Mais l’empire est vaste ! fit Nwelli. Quelque chose que nous répétons bien trop souvent. Où pourrons-nous repérer Taori dans cette immensité ?

— C’est une excellente question à laquelle je n’ai pas de réponse, commenta Sandena.

— J’ai ma petite idée, avoua Audelio, mais elle risque de vous déplaire.

— Toute suggestion est la bienvenue, dit Jizo.

— Même s’ils s’aventurent à l’écart des routes, je doute qu’un tel groupe de mercenaires passe inaperçu. Enfin, pour être honnête, c’aurait pu être le cas en temps de paix. Mais quand sonnent les cors de guerre… De tels voyageurs se mêlent à l’afflux des populations déplacées et des militaires occupant un maximum de territoire. S’ils n’ont pas été arrêtés, ils ont été au moins vu.

— Donc si j’entends bien… Nous croisons des soldats ou des réfugiés par hasard, et nous leur poserons la question. Puis nos chemins se sépareront et nous reprendrons chacun notre existence ?

— Voilà, tu as compris l’idée.

Audelio insistait tant que Jizo put seulement le jauger. Autrefois prompts à suivre, Tréham et Wenzina s’en dispensèrent, méditant au rythme des grésillements des flammes. Vouma, quant à elle, restait la seule à être debout, l’unique à évaluer au-delà des préconceptions.

— Vous êtes donc bien aidés, ironisa-t-elle. Audelio prétend être plus compétent que Sandena, mais il s’avère aussi paumé qu’elle. Il n’a pas une fichue vision d’ensemble, il se contente d’improviser. La vraie vie, c’est autre chose que se complaire dans des numéros de drague et de duels.

Jizo se renfrogna à défaut de formuler une quelconque réponse à Vouma. Audelio et Sandena manqueraient de compétence ? Pas grave, tant qu’ils évitent la fatalité. Je ne pourrais vivre avec des morts de plus dans la conscience… Ils sont de bonne volonté et je suis certain qu’ils nous seront utiles. D’un coup d’œil latéral, bras enroulés autour de ses genoux, Nwelli opina en sa direction.

La suite de la soirée se résuma à une succession de gestes. À quelques expressions pleines de suggestions, sinon de propositions s’effaçant faute de convictions. Pourtant Wenzina s’efforça de lancer une poignée d’idées. Sur les errances du passé, sur les espoirs du lendemain. Mais jamais ne trouvèrent-elles complétion au moment où la fatigue les enveloppa l’un après l’autre.

En l’absence de rêve, le sommeil fila tel un éclair, sans s’avérer réparateur.

Et nous sommes repartis en territoire inconnu. Nous avons beaucoup exploré de l’Empire Myrrhéen, finalement. Des dépôts de cendres s’étalaient sur le sol rugueux lorsque luisait la nitescence aurorale. Ils se réveillèrent rapidement et partirent sitôt qu’ils eurent remballé leurs affaires. Cheminant sous un soleil de plomb, ils s’immergèrent dans les infinités des étendues sèches et décharnées, bien au-delà de l’enchevêtrement de villages où bariolait une pléthore de vive et chaudes teintes. Peu de vie animait les environs sinon des animaux sauvages desquels ils se maintenaient éloignés.

Certaines choses les rattrapèrent bien vite.

Plus ils s’enfonçaient dans la direction du ponant et plus le paysage se craquelait et se rougissait. De part et d’autre du panorama, des cratères creusaient entre les aspérités, et des centaines de dépouilles y gisaient. Au loin apercevaient-ils parfois des rangées entières de femmes, d’hommes et d’enfants, se mouvant péniblement le long des routes, transportant des blessés le long de charrettes. Une vision qui fit déglutir et fendre le cœur de plus d’un compagnon. Nous y sommes donc. Audelio nous avait prévenus… Et nous avions bien fait de l’écouter.

Ils s’aventuraient vers des routes où chacun traçait sa voie. Que ce fût les délégations marchandes bloquées dans leur désir d’achalander jusqu’en Belurdie ou des pèlerins pour qui de tels regroupements militaires les forçaient à prendre un détour, rien d’autre ne s’exhalait des environs que l’odeur de la guerre. L’on évoquait la cité-état de Danja que les troupes myrrhéennes auraient déjà assiégé si les soldats enthelianais n’occupaient pas cette position stratégique. L’on mentionnait l’exode massive de la ville de Hikdin, dont les citadins peinaient à trouver refuge dans les villages voisins. L’on déplorait la destruction de patrimoines entiers. L’on présageait une recrudescence de la famine et de la misère à cause des forêts incendiées, des récoltes ruinées et des populations déplacées.

— Il est des malheurs contre lesquels nous sommes impuissants, regretta Wenzina. Vous avez déjà fait votre part en offrant un foyer aux rescapés de Doroniak. Bien peu se seraient portés volontaires.

— Qui les aidera, dans ce cas ? désespéra Nwelli. Est-ce qu’ils devront s’exiler jusqu’à des régions plus internes de l’empire ? Est-ce qu’on daignera les accueillir, cette fois-ci ?

— Nous ne le serons qu’indirectement. Nous avons notre propre quête. Fixons-nous là-dessus, nous n’avons pas le choix.

Vouma darda des yeux contempteurs vers Wenzina, ce contre quoi Jizo serra le poing, même si son ancienne maîtresse en tressaillit à peine. Ma mère est peut-être pragmatique, mais pas odieuse comme toi. D’autres doivent juste prendre cette responsabilité… D’obscurs sillons se formèrent sur la figure de Nwelli comme elle se détournait de ses compagnons. Seul le soutien de Jizo l’exhorta à se conformer au mouvement général. Nous ne pouvons que nous apitoyer. Quoi que nous fassions, il y aura un inestimable nombre de morts. Sans parler des mutilés, des traumatisés, des familles séparées. J’avais tellement essayé de survivre que la situation de l’empire m’a complètement échappé. Doroniak n’était qu’un avant-goût, hélas…

Le long des routes au dallage ocre, serpentant dans les aspérités des plaines arides, quelques maisons jalonnaient parfois. Des constructions en plâtre opalin, percées d’une pléthore d’embrasures et dont les murs s’échelonnaient en plusieurs fines couches. C’était là où nombre de voyageurs guettait le repos et se restaurait. C’était là où le groupe entreprenait leur répit tout en interrogeant sur la position de Taori, toujours sans succès.

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