Chapitre 26 : L'irréalisable quête (2/2)

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Ils s’apprêtaient à s’engager pour une journée de voyage supplémentaire. Audelio leur indiqua le chemin et, fredonnant, réalisait de belles et amples foulées. Des ombres grandirent néanmoins devant eux, incitant le duelliste à s’arrêter. Sous les regards inquisiteurs luisant sous leur heaume conique, ses compagnons l’imitèrent à brûle-pourpoint. Une dizaine d’hommes et de femmes armées se dressèrent en une solide ligne à quelques mètres d’eux.

Lances, épées et cimeterres. Une brigandine mêlant du rouge et du noir. Et certains portent des capes bien trop majestueuses… Pas de doute, ce sont des miliciens. Heureusement que ce sont des inquisiteurs qui nous traquaient, naguère.

— Où allez-vous ainsi ? demanda l’un d’eux, tâtant la hampe de sa lance.

— En quoi ça vous intéresse ? répliqua Sandena. Nous n’avons rien à dire à des miliciens, votre rôle est ailleurs !

— Pardonnez l’impertinence de mon amie, corrigea Audelio. Elle est aussi peu éloquente que bonne musicienne. Je m’appelle Audelio Duram, et je guide quelques compagnons dans le besoin.

Le milicien en tête du cortège dressa un poing, opinant vers ses consœurs et confrères, avant de toiser chacun des membres du groupe. Audelio n’a pas vraiment rattrapé la situation… Il dévisagea Audelio en particulier, qui peina à garder la tête relevée face aux traits acariâtres de l’homme.

— Mais encore ? insista-t-il. Pas très précis, vous en conviendrez ! Nous sommes en zone de guerre, par ici. L’Enthelian mène l’offensive contre notre empire. Ce sera sans doute une question de semaines avant que ce pays dissident soit annexé. En attendant, vous avez sans doute croisé pas mal de réfugiés sur votre route… Voire des cadavres.

— Ce qui ne nous arrêtera pas, contesta Tréham. Nous marchons dans cette région en connaissance de cause.

— Et pour quelle raison ? Qu’est-ce qui vous intéresse dans cette direction ? La plupart des voyageurs vont dans la direction opposée ! La Belurdie n’est pas beaucoup plus sûr ! Partez au sud, ou vers les côtes, mais ne risquez pas tout sans bonne justification !

Il est bien intentionné. Seulement, nous ne sommes pas vraiment amis avec le pouvoir myrrhéen. Faut-il risquer de leur en dévoiler davantage ? Jizo se pinça les lèvres, faute de trouver une décision. Il consulta ses compagnons gambergeant tout autant que lui. Tandis que les miliciens ne cessaient de guetter leur réponse, tandis qu’ils tapaient du pied sur le sol, Wenzina finit par s’imposer.

— Des mercenaires sévissent dans la région, expliqua-t-elle. Ils sont dimériens, comme mon fils et moi.

— Des dimériens, tu dis ? songea le meneur des miliciens. Nous n’en voyons pas beaucoup dans cette région de l’empire.

— Maintenant que vous le mentionnez, chef ! intervint une de ses collègues. Des éclaireurs de notre armée ont dit avoir aperçu un groupe de dimériens. Ils portent des brigandines grises et des tassettes, équipés d’arbalètes ou de lances. Certains ont même le visage tatoué ! Ils ont été aperçus aux abords de Yuzenia. En direction de l’Enthelian, paraît-il.

— Au beau milieu des hostilités ? Ces gaillards n’ont pas froid aux yeux. Bientôt, ce ne sera pas plus notre responsabilité.

— Ça a l’air d’être la leur. Je voulais juste leur donner un petit coup de main, monsieur.

— Tout ceci ne m’explique pas pourquoi ils en ont après ces mercenaires.

— Eh bien, tout porte à croire que l’une d’entre eux est en réalité une prisonnière. Elle a été décrite comme une jeune femme mince, petite, pâle, aux longs cheveux noirs et aux yeux bruns. Dimérienne aussi, bien sûr.

D’abord Jizo se détendit, un sourire émergeant sur sa figure. Taori… Une coïncidence miraculeuse ? Des semaines à errer dans les plaines arides de Souniera sans l’ombre d’un indice, et les gens l’ayant repéré sont nos potentiels ennemis ? Mais avant que ses compagnons ne suivissent, ils avisèrent le chef du groupe qui plaqua sa main sur l’épaule de sa consœur. Il réprima quelques jurons tout en la secouant.

— Ça me revient, maintenant ! s’écria-t-il. Pourquoi les éclaireurs ne l’ont pas reconnue ?

— Hein ? fit la milicienne, confuse. Excusez-moi, mais vous m’avez perdue.

— Ce profil que tu as décrit, je l’ai déjà entendu ailleurs. Une ennemie de l’empire à coup sûr.

— Tout de suite les grands mots. Pas la peine de…

— Tu as la mémoire courte. C’est Taori ! La mage dimérienne qui avait été capturée, et dont Godéra Mohild s’était servie pour détruire les murailles de Doroniak ! Elle qui se vantait de tuer les mages sans sourciller, peut-être qu’elle aurait dû l’exécuter au lieu de lui permettre de s’enfuir. Maintenant, même si elle est prisonnière, elle représente un danger !

— Ah bon ? J’ai loupé quelques informations…

Audelio et Sandena se retirèrent quelque peu, Tréham et Wenzina s’avancèrent en se préparant à défourailler. Peut-être que le métal sifflerait au milieu de route, mais avant de dégainer son arme, Jizo s’interposa au milieu du groupe. Il était transi de frissons sans qu’ils le ralentissent dans son impulsion. Le chef des miliciens constitua sa première cible. C’était trop beau pour être vrai.

— Aucune paix ne négocie par ces temps de conflit, déclara-t-il. J’aurais risqué de paraître médisant si j’avais jugé la composition spéciale de votre groupe. Maintenant je comprends mieux. Vous voulez délivrer Taori.

— Et en quoi est-ce un problème ? demanda Nwelli. Elle est notre amie !

— Si c’est le cas, ça signifie que vous tolérez son usage de la magie. Pas l’empire. Donc vous trahissez la loi.

— Il est de notre devoir de trahir la loi si elle est injuste.

Il braqua sa lance en même temps que Jizo dégaina son sabre.

— Voilà pourquoi je t’aime, susurra Vouma.

— Nous fendons ciel et terre pour la retrouver ! s’affirma Jizo. Je vous suggère de dégager de notre chemin. N’avez-vous pas plus important à faire ?

— La guerre, peut-être ? répliqua le milicien. Même si beaucoup de nos homologues y participent, c’est le rôle des soldats. Notre ordre a été fondé pour éradiquer les mages. Il s’avère que votre amie en est une représentante particulièrement puissante.

— Vous savez pourquoi elle est prisonnière ? Elle a été kidnappée par ses parents ! Ils veulent exploiter ses pouvoirs pour je ne sais quelle raison ! Ce sont des mercenaires sans scrupule !

— Tant qu’ils ne maîtrisent pas la magie… Ça ne nous coûterait que quelques renforts pour nous débarrasser d’eux. Et puis nous n’aurons plus qu’à ramener Taori à Bennenike. D’ici là, elle sera sans doute rentrée de son long voyage à Vur-Gado.

— La ramener à l’impératrice ? Mais pourquoi, bon sang ?

— Un tel danger ne mérite pas une mort rapide. Saviez-vous que notre suprême dirigeante est réputée pour les sévices qu’elle inflige à ses prisonniers ? Pour une fois j’aimerais bien en avoir le cœur net.

Un cri rauque s’échappa de la bouche de Jizo.

Il fusa si rapidement que le milicien ne put dévier son coup à temps. Transpercé net par le sabre, il suffoqua au cours de ses derniers instants, pas même capable d’émettre un ultime rire.

Bientôt ses compagnons se joignirent au combat. Haches, arc, rapières, lances et hallebardes se mêlèrent dans un concert de sifflements et de tintements que rythmèrent de discordants hurlements. De biais Tréham parvint à abattre deux miliciens de ses projectiles comme Wenzina fendit le crâne d’une autre paire. Hésitants de prime abord, Sandena et Audelio s’élancèrent à leur tour, quoiqu’ils manièrent leur rapière avec lenteur. Même Nwelli couvrit les flancs de Jizo, cisaillant le cou d’une trop proche assaillante.

La lutte s’acheva aussi vite qu’elle s’était entamée.

À leurs pieds gisait neuf miliciens dont les dernières lueurs de l’existence s’éteignaient.

La seule survivante était la femme ayant conversé avec son chef. Elle avait jeté ses armes. Elle avait ôté son heaume et sa brigandine. Bras croisés derrière le dos, elle sifflota en cheminant innocemment entre ses ennemis, qui l’observaient avec incompréhension.

— Merci beaucoup, inconnus ! s’ébaudit-elle. Si vous permettez, je vais profiter du chaos ambiant pour tirer ma révérence.

— Une explication ne serait pas refus, répliqua Wenzina.

— Rejoindre les miliciens a été la pire erreur de mon existence, donc je voulais corriger cette faute avant d’avoir tué qui que ce soit. Rassurez-vous, je ne vous dénoncerai pas à qui ce soit. Ceci dit, ces cadavres risquent d’attirer l’attention sur vous. Je crains que vous ne soyez devenus des ennemis de l’empire. Mais moi aussi. Au revoir !

Elle s’éclipsa sans autre opposition bien qu’elle attirât quelques sombres jugements en partant.

Un vent naissant balaya les vêtements des compagnons qui s’efforcèrent d’enjamber les cadavres. Ils vérifièrent qu’aucun autre témoin n’avait assisté à ce déchaînement de violence, puis essuyèrent les manches de leurs armes d’un air morose.

— La violence ne résoudra pas tous les conflits, murmura Nwelli.

— Audelio ! interpella Sandena en trémulant. Nous sommes des ennemis de l’empire ?

— Tant que Bennenike et ses miliciens règneront, confirma Audelio d’une voix bien plus glaciale qu’à l’accoutumée.

— Nous avons au moins un indice d’où Taori se situe, rappela Tréham. C’est une piste à suivre !

— Sans plus tarder, ajouta Wenzina. Cette femme avait l’air un peu fêlée, mais elle a raison, nous devons déguerpir au plus vite. Nous ne voyagerons plus en sécurité bien longtemps…

Hélant le reste du groupe, Wenzina se plaça comme meneuse en remplacement d’Audelio. Ils continuèrent malgré tout à former une coalition compacte où chacun avait son rôle à remplir, où la circonspection s’intensifiait quand ils s’éloignèrent de la route.

Jizo, de son côté, échouait à garder la tête redressée. C’était comme si une partie de lui se dissipait au gré du trot qu’ils s’imposaient. Il ignorait où ses pensées se dirigeaient. Tout ce qu’ils savaient était que Vouma ne cesserait de l’accompagner.

— Tu as abandonné la sécurité de mon foyer, chuchota-t-elle. À quel prix ? Chaque fois que tu t’imagines avoir reconquis ta liberté, un autre obstacle se présente. Mon cher Jizo… Pour combien de temps cela durera encore ?

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