Chapitre 30 : Absence d'entente (2/2)

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— Arrêtons de prolonger le moment des politesses, un malaise risque de s’installer ! se moqua la femme au-devant. Zolani, seconde des mercenaires Shozam. Mon mari Honderu en est le chef. L’idéal est donc de s’entretenir en tête à tête, non ?

— Vous êtes identifiable de loin, dit Honderu. Docini Mohild, petite sœur de l’abjecte Godéra. Quelle malédiction d’être née dans une mauvaise famille.

— Les mercenaires Shozam… Un nom qui ne m’est pas totalement étranger.

— Nous n’avons aucun rapport avec les mercenaires Rodulim que vous avez affrontés. Nous sommes même rivaux.

— Comment savez-vous que je me suis battue contre eux ?

— Notre petite Taori a beau rester muette pour le moment, elle ne l’est pas toujours.

Aussitôt Taori foudroya ses parents du regard. Docini l’aurait bien imité, toutefois était-elle bloquée sous l’impact des mots, incapable d’articuler des paroles intelligibles. Une appellation aussi affectueuse prononcé sur ce ton n’augure rien de réjouissant. À force de caler, elle devait se référer à ses alliés : certains fulminaient tellement que leur main frôlait la poignée de leur arme.

— Vos désirs sont des instructions, trancha Janya.

— Du calme ! fit Docini. S’entretuer n’est jamais la meilleure solution, même au beau milieu d’une guerre.

— Mais votre regard en dit long, déclara Saulen. Emiteffe avait rarement vu une mage avec un tel potentiel depuis… elle-même, à vrai dire. Et vous auriez un passif commun avec elle ? Des restrictions pareilles ne l’enchantent pas, et moi non plus.

L’un après l’autre ils impulsaient Docini à s’imposer par-devers les mercenaires. Son dos se raidissait, ses traits se durcissaient, et d’un pas vers l’avant elle toisa Honderu et Zolani en particulier. Tous deux se contentèrent de sourciller contre l’attaque.

— Vous n’êtes pas très accueillant, lança Zolani avec une pointe de contrariété. Avez-vous été bien informés de nos intentions ? Nous souhaitons forger une alliance.

— Contre qui ? s’emporta Taarek. Pourquoi aurions-nous besoin de votre aide ?

— On ne peut pas dire que vous vous débrouillez à merveille dans ce conflit, jugea Honderu en tâtonnant son sabre. À une armée contre deux, seuls les mages feront la différence. Taori est plus puissante que les mages moyens, eux-mêmes plus puissants que les soldats typiques. Je parle d’expérience.

— Encore faudrait-il qu’elle soit libre de ses mouvements ! contesta Zech.

Le mercenaire ne bronchait pas sous le feu des critiques. Au lieu de quoi exposait-il sa propre fille à la manière d’un trophée. Crachats et grognements lui importaient peu tant triomphait le sourire sur son faciès détendu, bien qu’il retînt un certain soupir que seule son épouse s’avérait apte à effacer. Tout ce temps à se pavaner en face de l’armée, surveillant chacune des personnes qui l’entouraient, Taori persistait à être sa priorité.

— On entend ses méfaits jusqu’aux frontières dimériennes ! rapporta-t-il. C’est là que Godéra Mohild a capturé mon enfant et lui a fait vivre un calvaire.

— Un épisode traumatisant que vous vous efforcez de prolonger, critiqua sèchement Docini.

— Seriez-vous en train de nous comparer à elle ? Godéra est notre ennemie commune ! Nous avons parcouru des centaines de kilomètres au milieu de ce conflit pour cette raison ! Pour nous débarrasser d’elle une bonne fois pour toutes.

— Et vous n’aidez pas avec votre mauvaise volonté, ajouta Zolani.

— Comme toujours, ma femme a raison ! Il paraît que Godéra vous a vaincus à plusieurs reprises. Nous venons y remédier. Taori sera un atout de taille.

Après autant de mentions, elle se mure dans le silence. Est-ce que ses parents la terrorisent ? Ce qui est certain, c’est qu’elle a besoin d’être délivrée. Docini détaillait le moindre pli du visage de Honderu, et peut-être le sonderait-elle au-delà de ce qui transparaissait. S’assurant de l’alignement des siens, elle dégaina soudain son épée, et la lame miroitait entre les ramifications de l’obscurité. Pas de quoi les terrifier, mais de clarifier certaines choses.

— Alliance rejetée, lança Docini. Déguerpissez en laissant Taori, et nous vous épargnerons… peut-être.

— Sommes-nous censés trembler face à cette menace ? persiffla Zolani. Nous souhaitions vous rencontrer, Docini, mais vous avez préféré vous faire entourer des vôtres. Un sentiment d’insécurité, je présume ? Autant dire que vos conditions sont inacceptables.

— Inacceptables ? rebondit Saulen. Notre chef vous fait une faveur. D’ailleurs…

— Laisse-moi finir, Saulen ! interrompit Docini. J’ai tout suite senti quelque chose d’anormal chez vous. Vous avez confirmé mes craintes : vous traitez votre fille comme un objet.

— Pures calomnies ! répliqua Honderu. Vous vous adressez à nous exactement comme son ami Jizo. Qui doit avoir été tué par la faim et la soif dans sa cellule, depuis le temps.

Docini faillit se caler encore à l’évocation, si Zech ne l’avait pas retenue. Jizo ? Je me doutais bien qu’il ne les aurait pas laissés la kidnapper de son plein gré. Et je ne crois pas un traître mot de ce qu’il déblatère. Il est beaucoup plus résistant que cela. Elle gardait les genoux légèrement pliés afin de conserver sa stabilité. De la moiteur s’accumulait certes sur sa paume, mais grâce au soutien de ses subordonnés, jamais un tressaillement ne la trahit. Sa lame restait braquée contre ses adversaires, et son regard ne s’adoucissait qu’en croisant celui de Taori.

— J’ai été élevée par un mauvais père, s’épancha-t-elle. Il battait sans arrêt ma mère et ma grande sœur, qui ensuite se vengeait sur moi. Il se fichait bien de nous prodiguer une instruction, il se moquait bien de nous apprendre à vivre. Il n’avait en tête que de nous endurcir.

— Tu es bien insolente, vitupéra Zolani. Tu dois le respect à tes aînés. Il n’était peut-être parfait, mais il a contribué à te mettre au monde, et rien que pour ça, tu devrais être reconnaissante.

— Le respect se mérite. Je n’ai aucun bon souvenir de lui, pas le moindre instant d’amour, et je suis bien contente qu’il soit mort. Mais au moins, je n’avais qu’un seul piètre parent… Taori en a deux.

Zolani était à quelques centimètres de défourailler. Des plis haineux sillonnaient de part et d’autre de son faciès tandis qu’elle se retenait d’invectiver son opposante. Face à l’inquisitrice, aux mots pesant davantage que l’épée, Taori recouvrait une once de couleur. Elle demeurait néanmoins dans l’ombre de son paternel, lequel restait insensible devant les provocations. Attaquez et nous riposterons.

— L’ingratitude de la jeune génération dépasse nos frontières, déplora Honderu. Si nous agissons ainsi, c’est pour son bonheur. Et Taori ne sera jamais heureuse tant qu’il existera des gens prêts à la pourchasser juste pour sa nature.

— Nous nous accordons sur ce point, concéda Docini. Mais c’est bien tout. Si vous l’aimiez vraiment, vous ne seriez pas si manipulateurs. Si vous teniez à ce point à elle, vous ne l’enlèveriez pas. Si elle comptait si cher à vos yeux, vous ne la traiteriez pas comme un outil.

— Et qui êtes-vous pour nous dicter comment éduquer notre fille unique ? Vous êtes encore une enfant et non parent.

— Mais je l’ai vue à plusieurs reprises. Quand ma sœur la maintenait captive et l’utilisait. Quand elle était libre et au sein d’un nouveau groupe. La vérité, je vais la répéter : Taori n’est pas heureuse avec vous. Vous la traitez exactement comme votre pire ennemie. À votre place, je ne m’afficherais pas aussi fièrement. Vous devriez avoir honte.

— Moralisatrice, en plus ? Vous êtes peut-être cheffe de guerre, mais vous avez encore beaucoup à apprendre. Nous ressemblons à une unité de mercenaires ordinaires, mais nous sommes bien décidés à renverser le cours des choses. Notre fille est notre rayon de bonheur et notre fierté, nous sommes bien décidés à l’employer à notre guise. Nous tuerons Godéra Mohild sans votre aide ! Et vous nous remercierez alors.

— Parce que vous croyez que nous allons vous laisser partir avec elle ?

— Vous n’avez pas d’autres choix.

Une fraction de secondes d’anticipation. Un moment décisif de réaction. Il aurait suffi à Docini de le faucher en un instant, et Honderu aurait été occis, et les mercenaires de Shozam auraient cessé de retenir Taori en otage.

Sauf que son instinct en estomaqua plus d’un.

De sa ceinture Honderu extirpa une sphère grisâtre qu’il jeta à terre. Une fumée épaisse et grisâtre emplit les lieux en un rien de temps, aveuglant l’ensemble des troupes à qui Docini souhaitait s’adresser. Des bouffées entières traversèrent son œsophage et s’infiltrèrent dans ses poumons, lui arrachèrent d’âpres quinte de toux, l’empêchèrent d’agir au nom de ses idéaux. Pas cela ! Ils doivent payer. Ils…

Ses réflexes lui dictaient de trancher dans le vif. Hélas, sa lame ne collisionna contre aucune arme, ne s’empala sur aucune personne, et les affres de la déception l’enveloppèrent ce faisant. Pour sûr qu’elle percevait la fuite des mercenaires, mais les mages étaient eux aussi entravés, et mirent du temps avant de tout dissiper.

Une fois le champ de vision libéré, et la nuit noire absorbant le panorama marécageux, plus aucun mercenaire ne se trouvait dans les parages.

Ils ne peuvent pas s’en sortir ainsi. Je dois agir ! Docini peinait encore à se mouvoir. Ramassant son épée, se frottant les paupières, elle réalisa que ses troupes étaient sur le qui-vive, et en sélectionna une poignée.

— Ils ne sont pas bien loin, supposa-t-elle. Rattrapons-les avant qu’il ne soit trop tard, vite !

Mages, inquisiteurs et soldats s’élancèrent à la satisfaction de leur meneuse. Cependant, alors qu’elle se devait de se dresser à leur tête, l’épée au poing, l’air résolue, elle était piégée dans l’immobilisme. Saulen et Zech durent l’interpeller au gré des assauts indicibles dont elle était victime, bouche bée, ankylosée.

Et si je me trompais ?

Et s’il était trop tard ?

Et si j’avais encore échoué ?

Une autre innocente risque d’en souffrir…

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