Chapitre 32 : Émissaires (2/2)

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Un homme se montrait au-delà de la rangée de gardes. Inconnu pour Fliberth, guère pour son compagnon, tant ses pieds trépignèrent à force de l’examiner. Une longue robe à motifs carrelés, aux extrémités et aux manches bouffantes, s’accordait à la silhouette fuselée de l’individu. Une tenue typique de mage. Se pourrait-il que… Il était d’un teint aussi ébène que Muzinda. Des yeux marrons et un menton volontaire s’inscrivaient sur son visage dur, comme marqué comme les événements, comme pendaient sa barbe et ses mèches tressées de jais.

— Oudamet, c’est toi ! fit Muzinda, ébranlé.

Sur cette réplique l’érudit se rapprocha de lui, avec une précipitation mêlée de douceur. Il n’y eut que l’admiration pour les cerner quoique s’incrustèrent les larmes si longtemps refoulées. Mains sur leurs joues, le front appuyé, ils s’embrassèrent des secondes durant, rattrapèrent le temps perdu. Ils goûtèrent tant les lèvres de l’autre, profitant comme si nul n’assistait à leurs retrouvailles, que les secondes semblaient ne plus s’égrener. Pourtant Fliberth voyait bien le couple se détachaient dans les ombres que projetait les bâtiments, un pincement nouant son cœur. Ils se sont retrouvés. Pour eux, leurs séparations n’étaient que temporaires.

Muzinda recula cependant une fois que le visage d’Oudamet se voila d’obscurité. Ses yeux se plissèrent à l’intention de son compagnon comme ses traits se déformaient légèrement.

— Où étais-tu pendant tout ce temps ? accusa-t-il.

— Je ne peux rien te cacher, n’est-ce pas ? répondit Muzinda.

— Tu croyais quoi ? Je t’aime de tout mon cœur, Muzinda, donc même si ton long voyage était justifié, ton absence a laissé un vide ! Je me suis rendu à Nargylia car tu es parti de l’Enthelian, et je voulais prendre la capitale comme référence. Et là j’apprends qu’un érudit est escorté par des gardes jusqu’à la demeure royale ? Quelles aventures as-tu vécu ?

— Celles m’emmenant au-delà des civilisations connues. Je parle des Terres Désolées.

La voix d’Oudamet s’étrangla. Plaquant ses mains sur les épaules de son bien-aimé, des larmes imbibèrent ses yeux, et il renifla la mucosité excessive coulant depuis ses narines. Ses doigts se crispèrent sur la redingote par surcroît. Muzinda ne lui avait pas dit qu’il partait là-bas ? Il a certaines raisons de lui en vouloir… Mais qui suis-je pour les juger ? Je ne l’ai dit à personne non plus.

— Tu as perdu la raison ? s’emporta le mage. Les Terres Désolées sont un tombeau à ciel ouvert !

— J’ai pris toutes les précautions nécessaires, rassura l’historien. Et regarde, je suis bien vivant ! Secoué par ce que j’ai appris, je l’admets, mais rien qui puisse me tuer.

— C’est facile de faire le fier maintenant ! Si tu m’avais avoué où tu te dirigeais, je t’en aurais empêché !

— Tu comprends donc pourquoi je ne te l’ai pas avoué.

Il marque un point mais aurait pu l’exprimer autrement. Des flammèches persistèrent dans le regard d’Oudamet quelques secondes durant. Des mots se perdirent, mais plus il y songeait, plus il renonçait à formuler ses plus vives réflexions. Au lieu de quoi il s’extirpa du contact de son partenaire, et le fixa en abaissant les bras.

— Tu me promets que tu ne me referas plus jamais ça ? demanda-t-il.

Muzinda opina sans hésiter, aussi Oudamet soupira de soulagement.

— Et tu me garantis que ça en valait la peine ? insista le mage. Avant de partir, tu affirmais aller en quête de la vérité.

— J’ai trouvé ce que j’étais venu chercher, certifia l’érudit, et bien plus encore. Sinon je n’aurais pas été convié auprès des monarques de l’Enthelian eux-mêmes. Nous avons appris de terribles choses sur le conflit oughonien… Et nous allons utiliser ces connaissances à bon escient. Bientôt, tout le monde saura que d’innombrables mages ont été victimes de ce conflit. Et plus jamais la destruction de ce pays ne servira de prétexte à votre oppression.

— Oh, Muzi… Je t’en suis reconnaissant, mais est-ce qu’il n’est pas trop tard. D’ici peu les armées marcheront sur l’Enthelian. Et si ce pays tombe, l’Anomyr sera peut-être le prochain. Nous ne pourrons plus nous réfugier nulle part.

— Ne sois pas si défaitiste. Je souhaite éviter ce scénario à tout prix. Je ne suis pas un guerrier, alors ma contribution se devait d’être différente. Pour qu’un jour les mages puissent vivre de nouveau libres partout dans ce monde !

Un éclat scintilla au sein de cette pénombre. Lorsque Muzinda et Oudamet s’enlaçaient, les peines s’allégeaient, et les problèmes du monde semblait moins pénibles à supporter. Fût-ce éphémère, fût-ce un caduc refuge, le couple s’y réconfortait dans un moment où ces appuis étaient requis.

À ce stade, nous ignorons encore si nous nous rapprochons d’une victoire ou de l’annihilation totale.

La lueur n’a jamais paru aussi tangible, et d’un autre côté, elle peut être si facilement engloutie. C’est quand il est désespéré que l’ennemi devient le plus puissant. À force d’explorer les recoins les plus sombres du continent, j’en avais oublié le conflit s’étendant au-delà de nos factions isolées.

J’ai aidé, je l’espère. Jawine, c’est ce que tu aurais voulu, n’est-ce pas ?

Chacun requérait désormais une once de repos. Des étincelles illuminèrent encore Muzinda et Oudamet au moment où ils descendirent les escaliers, main dans la main. De derrière Fliberth les lorgna : si un sourire étendait ses lèvres, un vide emplissait aussi son esprit. Pas de jalousie… Ils ont aussi mérité leur bonheur. Poings plaqués sur les épaules, Vidroc les interpella tous les trois, et les cornaqua jusqu’à des chambres situées dans les parties latérales aux pieds des fortifications.

Une fois séparé du couple et des gardes, Fliberth disposa de davantage de confort que nécessaire.

Sombrer dans le sommeil demeurait hélas ardu. Il était couché sur le côté gauche de son lit à baldaquin. Désormais qu’il avait cessé de dormir la belle étoile, qu’espace et commodité lui étaient rendus, l’absence l’assaillait d’autant plus. Une myriade d’oreillers doublé de couvertures en soie ne compensait guère l’envie de serrer Jawine. Si longtemps à ses côtés, pour chaque nuit, lors desquelles il enserrait ses bras autour de sa taille et lui donnait des baisers sur la nuque. Dorénavant, seules les réminiscences l’accompagneraient. Un sinistre mutisme où chantaient les murmures d’antan. Des images trop nettes, à apprécier et à manquer.

À l’aube subséquente, des cernes violacés entouraient ses yeux, et de désagréables engourdissements l’ankylosaient. Il cala sa tête sur son oreille, se riva vers le plafond, et ses pensées continuèrent de l’envahir.

Ma quête est loin d’être achevée, mais je m’y suis consacré autant que possible. Combien de temps faudra-t-il encore pour faire mon deuil ?

C’est ça, le pire. Personne n’a jamais prétendu que c’était facile. Peut-être que j’en serais hanté pour le reste de mon existence.

Fliberth se figea pendant des minutes entières lors desquelles similaires réflexions le tenaillèrent. Ce pourquoi il faillit chuter de son lit au moment où les gonds de la porte résonnèrent. J’imagine que j’ai traîné trop longtemps ici. Notre mission n’attend plus même si elle a pris un certain tournant. Un instant d’hésitation le ralentit, puis il bondit et se dirigea vers la poignée, sans même avoir troqué sa chemise de nuit contre ses habits réguliers.

Il ouvrit la porte et s’arrêta net.

Derrière le seuil se tenaient Vendri et Dirnilla.

Elles sont venues à moi ? Jusqu’ici ? De lourds sanglots se répercutèrent dans le couloir et la chambre. Ni une, ni deux, Vendri se jeta sur Fliberth, et lui fit un câlin des plus tendres. D’abord interloqué, l’homme accepta l’affection dont sa meilleure amie lui gratifiait. Même Dirnilla se pâmait face à leur proximité. C’était ce qu’ils échangeaient avant qu’une quelconque parole fût prononcé.

Vendri saisit les poignets de Fliberth, le détailla de la tête aux pieds. Ses lèvres se pincèrent, ses épaules s’affaissèrent, mais une lumière s’opiniâtra sur les contours de son visage.

— Qu’il est bon de te revoir, souffla Fliberth. J’ai tellement de choses à te raconter.

— Et nous donc, répliqua Vendri. Fliberth, je suis désolée… J’ai sombré. J’ai noyé mon chagrin dans l’alcool et ça m’a tout sauf aidé pour mener cette guerre.

— La guerre, oui… C’est comme si j’avais fui. Comme si je l’avais évité. Et si je te disais que je cherchais à trouver mon utilité ailleurs, tu me croiras ?

— Bien sûr. Car tu n’as aucune raison de me mentir. Tout ce temps à déprimer, je m’apercevais de mon égoïsme. Tu souffrais plus que moi. Jawine était ma meilleure amie, mais pour toi… Elle était bien plus.

— Sauf que je suis parti de mon plein gré. Je m’imaginais que m’éloigner aiderait à mieux supporter le deuil. Et malgré mes accomplissements, je souffre encore.

— Fliberth… Trop tard pour nous confondre en excuses, peut-être. La situation est urgente.

Les nerfs du garde se durcirent à la gravité des propos. D’un pas il recula, ses chevilles manquant de se tordre, quoiqu’il se rattrapât contre le mur. Une stabilité menacée était minime par rapport à ce coup l’impactant partout. La guerre qui est sur toutes les oreilles. Je l’ai manquée, en effet. Combien d’autres amis ai-je perdu pendant que j’errais bien loin ?

— Nous avons croisé Muzinda et Oudamet juste avant d’arriver ici, rapporta Vendri. Inutile donc de tout me raconter. Ils ont tout expliqué : le voyage dans les Terres Désolées, la découverte des ruines et des notes, le manque de nourriture, le moral au plus bas… Bon sang, en quoi ça devait t’aider à supporter cette épreuve ?

— Je l’ignore, admit Fliberth. Une autre épreuve pour me forger qui aurait pu être ma fin. Mais elle n’est pas encore là. Tant que je vivrai, je lutterai.

— Une belle résolution. Je me sens quand même désolée de te presser… Tu vois, Muzinda et Oudamet seraient d’accord pour nous accompagner avec quelques renforts de Nargylia. Vers le sud, là où le conflit bat son plein. Là où nos épées comme ces informations seraient utiles.

— J’imagine que je me suis assez détourné… Est-ce que vous m’accepterez de nouveau comme chef, malgré mon absence ?

Vendri et Dirnilla hochèrent à l’unisson, mue par une détermination inégalée. Elles ne me blâment pas. Elles sont prêtes à aller de l’avant, alors moi aussi.

— Tu le resteras quoi qu’il arrive, affirma Vendri.

— Merci, dit Fliberth. Je dois me remettre en forme. Et reprendre l’épée vers la bataille. Le temps presse.

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