Chapitre 37 : Arrachement (1/2)

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JIZO


Des silences saturaient parfois les esprits par un vide paradoxal. Tel le néant hantaient les alentours, que même Vouma échouait à commenter.

Il percevait les salves du vent ourlant ses vêtements, tout comme ses semelles marquer leur empreinte sur la terre, mais son sang ne pouvait que se glacer face à la terreur environnante.

Souvenirs récents et implacables. Comme si une décharge s’était abattue sur l’ensemble des personnes présentes. Désormais des éclairs violacés zébraient le ciel, désormais des piliers lumineux irradiaient jusqu’aux confins du ciel. Ténèbres et nitescence s’opposaient au cours d’un duel démesuré, sous lequel quelques individus peinaient à esquisser leur voie.

Jizo se situait parmi ces personnes. Il était seul. Il avançait lentement. Foulée après foulée, il faisait fi des lésions et déchirements, balayait son environnement en renfermant ses mains suintantes autour de la poignée de son sabre.

Un flash et puis tout a disparu. J’aperçois des gens se battre au loin, sans savoir qui ils sont. Peut-être des inconnus, peut-être des amis. Je l’ignore, je suis perdu.

Comment la magie adopte des formes pareilles ? Oh, Taori, tu n’es pas coupable. Tes parents le sont. Hors de questions qu’ils continuent de te restreindre ainsi ! Hors de question qu’ils nuisent encore…

Nulle silhouette familière n’émergeait. Néanmoins, à force de s’enfoncer hors des limites de la base des inquisiteurs, Jizo se heurtait à davantage de cadavres. Un parfum nauséabond s’exhalait depuis les corps qu’il détailla malgré tout, désireux d’identifier la cause de leur décès.

Des éclaircissements apparurent lorsque la présence de dépouilles se densifia. Lances en bois de taxus et casques en fer décorant le sol supprimèrent toute ambiguïté quant à la nature des victimes. Brûlures et autres plaies noircies perçaient à travers leur brigandine. Jizo faillit en grimacer de dégoût, avant de se rappeler qui ils étaient.

Ils étaient les plus proches de Taori. C’est logique qu’ils aient été les principaux touchés par son attaque. Ils ont parcouru des centaines de kilomètres, persuadés de savoir ce qui était le mieux pour elle. Leur erreur s’est inscrite dans le sang. Vais-je les pleurer pour eux ? Certainement pas.

Ralentissant au mépris du danger, Jizo s’agenouilla afin d’inspecter les cadavres plus en amont. Aucune figure familière ne se distinguait. Il pesta puis se redressa aussitôt.

Bien sûr, c’aurait été trop facile ! Ses parents sont encore vivants. Libre de la traquer. Nous avons fait tant de chemin pour secourir Taori, s’ils la récupèrent, tous nos efforts auront été réduits à néant !

Quand Jizo entendit les pas derrière lui, il fut déjà trop tard. Un sabre frôlait sa nuque et le coinça sur place. Il se risqua à tourner la tête, seulement pour apercevoir l’inflexible sourire de Zolani. Privée de son foulard, des cendres agglomérés sur ses mèches argentées, la mercenaire ne montrait pas le moindre signe de faiblesse. Des sombres sillons creusaient son faciès comme elle était striée d’estafilades.

Des paroles fusèrent suite à son grognement.

— Le fils unique se balade hors de son cocon, siffla Zolani, conservant sa lame à ras de sa peau. Le champ de bataille est vaste, mais pas tant que ça !

— Vous êtes la première personne vivante que je croise, déplora Jizo en refoulant ses tressaillements. La malchance me poursuit.

— Tout juste bon à te plaindre de ton sort. Qui es-tu pour prétendre ce qui est le mieux pour notre fille ? Taori est à nous, et tu ne nous la voleras plus !

— Même dans ces circonstances, vous persistez à parler d’elle comme une possession. Malgré les défauts de mes parents, jamais ils ne m’ont considéré comme tel.

Un instant, aussi court fût-il, la paralysie cessa d’envahir Jizo. Il se saisit alors de son sabre et entreprit d’asséner une estocade. Mais Zolani l’anticipa, désaxa l’arme qui voltigea sur plusieurs mètres avant de se planter au sol. Elle flanqua un coup de pied à sa cible par lequel il la maintint au sol.

De nouveau le jeune homme était bloqué. Des frissons l’envahirent. Sa figure devint blafarde. Sous l’ombre pernicieuse de la mercenaire, dont les traits persistaient à s’assombrir, la fatalité semblait proche. Taori, pardonne-moi…

— Et tu prétends pouvoir la protéger, si tu es toi-même incapable de te défendre ? dédaigna-t-elle. Les esclavagistes sont vils et étroits d’esprit, mais pas aussi faibles que leurs esclaves, apparemment.

— Comment osez-vous ? répliqua Jizo.

— Je connais mieux ton parcours que tu l’imagines, Jizo. Des énergumènes dans ton genre, j’en ai rencontré quelques-uns. Convaincus d’être du bon côté parce qu’on les a faits souffrir. Admets-le, tu es dépassé par les forces de ce monde.

— Peut-être bien. Tout ce que je souhaite, c’est de mener une existence paisible. Mais cela implique d’abord d’aider mes amis. Notamment d’extraire Taori de votre emprise maladive.

— Serions-nous donc des obstacles à ton épanouissement ? Bientôt tu vas atteindre la paix. Pas celle à laquelle tu inspirais, mais c’est mieux que rien, n’est-ce pas ?

Ma fin approche… À moins que ? Jizo ne ressentait nul besoin de clore ses paupières. Car Zolani avait beau ouvrir sa bouche aux dents étincelantes, les deux sabres brandis sous l’éclat du flux avoisinant, quelques foulées avaient échappé à ses oreilles.

Une paire d’haches argentées arrêta la trajectoire de ses lames.

Le cœur de Jizo fit un bond dans sa poitrine à son puissant soupir. Sa mère en personne avait paré le coup. Elle qui flanqua un clin d’œil à son garçon coula le plus hostile des regards à Zolani. Personne n’a envie de se frotter à elle lorsqu’elle a cette expression.

— Tu ne toucheras pas à un seul cheveu de mon fils, enfoirée ! lança-t-elle.

— Des menaces en l’air, se moqua Zolani. Sinon vous ne l’auriez pas laissé devenir esclave.

— Rangez votre langue et servez-vous de votre sabre.

— Bonne idée.

Les armes se croisèrent derechef, et le duel s’entama.

Wenzina et Zolani s’éloignèrent d’abord des dépouilles et de Jizo. Ainsi ce dernier put souffler. Inspirant, la douleur s’immisça en lui, toutefois les surmonta-t-il afin de se relever. Il chercha son sabre à quelques mètres et claudiqua pour l’atteindre. Courage, maman, tu ne te débrouilleras pas seule !

Avant même de la récupérer, il s’orienta vers le duel.

Vouma et lui s’avérèrent happés. Car dans cette désolation vibrèrent deux âmes dans une fluidité hors du commun. Zolani et Wenzina frappèrent, parèrent et esquivèrent si vite qu’ils purent à peine suivre leurs mouvements. Pivots et bonds rythmèrent un affrontement lors duquel jaillissaient grondements et foudroiement d’yeux. Attaques et défenses s’alternèrent sans qu’aucune des deux duellistes ne fléchît. Scintillèrent des étincelles à l’intensification de leurs coups. Couina le métal à chaque entrechoquement.

Wenzina et Zolani se différencièrent peu, hormis leurs armes. Par leurs foulées, par leurs tournoiements, elles illustrèrent à merveille les techniques de combat dimériennes. D’une véritable danse elles dominèrent le champ de ruines. Une guerrière et une mercenaire retranchées dans leurs limites, qui jamais ne ralentirent, qui jamais ne s’octroyèrent de répit tant leurs réflexes étaient sollicités.

À aucun moment la mère de Jizo ne quémanda de l’aide. Pour sûr qu’il était apte à se mouvoir, pourtant il ne souhaitait pas interférer. Il restait pâle d’admiration devant les tourbillonnements des haches. Chaque fois que Wenzina se dérobait d’une attaque, se mouvant à dextre ou à sénestre, elle commençait à prendre l’ascendant. Alors abattait-elle des coups de célérité et vigueur grandissantes. Toutefois Zolani résistait, s’adaptait aux déplacements de son adversaire, et rugissait lorsque son endurance rencontrait ses limites. J’ai encore eu besoin d’être secouru, mais cela en valait la peine. Vas-y, maman. Montre ce dont tu es capable. Prête à désarmer son ennemie, Zolani échoua encore à percevoir un sifflement.

Une flèche s’abattit sur son dos.

— Je comprends mieux, murmura Vouma. Si tu m’as poignardée par derrière, c’est parce que tu t’inspirais de tes propres parents.

De quoi parle-t-elle ? Oh ! Un éclat scintilla dans ses iris. Pour cause, son père émergea de l’épaisseur de la végétation pourtant dénudée. Tréham avait décoché un trait et s’apprêtait à étirer de nouveau la corde de son arc. Il s’arrêta net, arquant un sourcil, puisqu’il vit Zolani choir sur ses genoux et lâcher ses armes. Son regard s’était voilé de haine, orientée autant vers Tréham que vers Wenzina. Elle toucha la pointe de la flèche saillant depuis son ventre et un filet de sang coula sur son doigt.

— Vous êtes fiers de vous, j’imagine ? grogna-t-elle.

— La coopération importe plus qu’un duel à la loyale, affirma Wenzina. Surtout au vu de vos propres méthodes.

— Pas mon premier échec, mais le premier qui me mènera à la mort… Tragique. Je suis devenue trop vieille pour me battre, apparemment.

— Qui te pleurera ?

— Ma fille va être orpheline… et notre famille brisée.

— Tant mieux.

La réplique cingla autant que l’attaque. D’un coup de hache bien placé, Wenzina fendit le crâne de son adversaire. L’arme resta plantée plusieurs secondes durant lesquelles elles se fixèrent de pleine intensité, tel un orage grondant à proximité.

Zolani rendit alors son ultime soupir.

Taori vient de perdre sa mère. Peut-être que c’est mieux ainsi.

Sans répit, ni même de transition, Tréham rangea son arc et se dirigea vers sa compagne et son fils. Il saisit Wenzina avec délicatesse et l’embrassa par-dessus le corps de Zolani. Un contact chaleureux se diffusait parmi les vents violents et l’étouffante chaleur. Wenzina s’empourpra même sitôt ses lèvres détachées de celles de son partenaire. Des instants entiers se perdirent dans ses yeux brillants.

Puis les priorités frappèrent, et un nouvel éclair bleuté fendit le firmament. Tréham et Wenzina se retournèrent et étreignirent leur fils pris au dépourvu. Leurs yeux se mouillèrent, leurs sanglots se répandirent. Auraient-ils peur de me perdre à nouveau ? Même adulte, ils me considèreront toujours comme leur petit garçon. Bien que leurs traits se détendissent, des ondes de nervosité les traversaient toujours.

— Nous n’aurions pas supportés…, commença Wenzina, séchant ses larmes.

— J’ai été devancé comme un faible, regretta Jizo. Ça ne se reproduira plus.

— Zolani était une adversaire puissante, concéda Tréham. Je suis surpris que Honderu n’était pas avec elle.

— Parce que nous avons tous été séparés. D’ailleurs…

Toute quiétude s’amenuisait, toute angoisse s’amplifiait. Scruter ses environs ne suffisait pas à repérer quiconque d’intérêt, alliés comme ennemis, ce pourquoi Jizo désirait se plonger plus en amont. S’immerger dans les ramifications du paysage… Nous ne sommes pas encore tirés d’affaire, loin de là. Aucun d’entre nous.

Des carreaux sifflèrent tandis qu’il réfléchissait encore et les évita de peu. Paniqués, Tréham et Wenzina formèrent un rempart par-devant leur fils, et s’armèrent ce faisant.

— Va, Jizo ! somma Wenzina.

— Hors de question de vous laisser les affronter ! refusa Jizo. Nous les affrontons ensemble !

— Nous saurons nous débrouiller, rassura Tréham. Ils ne sont plus qu’une poignée de mercenaires désespérés, donc à moins qu’ils renaissent de leurs cendres, leur groupe va disparaître de nouveau. Nous porterons le coup fatal.

— Retrouve Nwelli et Taori par-dessus tout ! fit Wenzina. Ce n’est que l’affaire de minutes, nous te rejoindrons aussi vite que possible !

Des hésitations le paralysèrent quelques instants. À force d’atermoyer le moment, où ses parents s’élançaient contre la cohorte d’ennemis, il comprit ce qui les motivait. La préservation de soi demeurait la priorité lorsque des séparations étaient requises. Quitte à s’épuiser, quitte à explorer des horizons inédits, il courait à s’en consumer les poumons.

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