Chapitre 50 : À l'aube des effusions (2/3)

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Meribald toussota pour se faire remarquer. Ce faisant, il s’attira les foudres de Bennenike et Godéra, mais s’exprima malgré tout :

— Je souffre rien qu’à le prononcer, mais je suis d’accord avec l’autre. Un débat se doit d’être simple et direct, ses fondations posées lors de ses premiers instants. Inutile de tout complexifier quand nous pouvons limiter de l’essentiel.

— Et donc ? s’impatienta Noki.

— Je comprends ce que vous cherchez. La possibilité de mettre fin à ce conflit. Et, pour être honnête, l’offre est tentante. Des dizaines de milliers de morts, encore plus de blessés et de déplacés, des impacts qui s’étendront sur plusieurs années au moins. Il est temps de cesser cette folie.

— Une folie que vous avez débutée !

— Une guerre préventive car vous ne nous avez pas laissé le choix. Le monde que vous proposez ne sera que chaos et destruction. J’ai juré allégeance à la protection des innocents, et mon cœur saigne déjà à l’échec partiel de cette quête. Et mon pauvre ami Soverak ! Nul doute qu’il est déjà passé sous le billot.

— Même pas. Il a été incarcéré à la prison de Nargylia où il recevra probablement une sentence à vie.

La figure de Meribald s’assombrit, il entreprit même de saisir son arme, toutefois Godéra l’arrêta dans son geste. Toisant derechef ses adversaires, elle se hissa à hauteur de Bennenike, consacra un coup d’œil particulièrement hargneux à l’intention de sa cadette. Elle était bien muette jusque-là. À présent, nous ne serons plus épargnés.

— L’Enthelian est une nation des faibles, lança-t-elle. Tellement qu’ils n’osent même pas exécuter leurs prisonniers. Voilà bien longtemps que la Belurdie aurait dû l’annexer, et maintenant, l’occasion nous est offerte.

— Tu as de nouvelles ambitions ? intervint Docini. Éradiquer les mages ne suffit plus, tu souhaites t’en prendre à un pays entier ? Tout devient plus clair maintenant. La raison pour laquelle tu mènes la charge depuis le début de la guerre.

— Tu parles comme si tu ne me suivais pas il y a encore deux ans.

— La peur que vous m’inspiriez existe toujours, j’ai changé depuis. Tout comme Édelle. Tout comme les inquisiteurs modérés lors de la scission. Pour vous, par contre, il est trop tard. J’aurais tellement voulu que maman ait raison, mais hélas… Nous ne pouvons plus rien pour toi, Godéra.

— Garde ton apitoiement à mon égard, surtout en présence d’autant de témoins ! Et pourquoi tu la mentionnes à un moment aussi crucial ?

— Parce qu’elle est venue me voir.

— Pardon ?

— Elle m’a supplié de t’épargner, de trouver une autre solution que la mort d’une de nous deux. Ici nous sommes, comme l’a si bien dit Badeni.

Une ligne d’acier miroita à la nitescence zénithale.

Godéra avait défouraillé comme par réflexe. Front et yeux plissés, corps tout entier tremblant. Elle faillit même charger : Meribald s’interposa d’abord, puis plusieurs inquisiteurs se coalisèrent. Quand une onde de fierté traversa Docini, Godéra lui assena un tonnerre d’injures.

Pardonne-moi, maman, d’avoir choisi maladroitement la première opportunité de t’évoquer.

L’aînée fut incapable de décrocher le sourire inscrit sur le faciès de Docini, contrairement à Bennenike.

— Des querelles familiales immatures, soupira-t-elle. Godéra, tu vaux mieux que cela. Non que tu me sois devenu inutile, mais certaines de tes stratégies n’ont pas porté leurs fruits, et ton comportement est loin de compenser tes écarts.

Soudain Godéra se tut. Soudain Docini voûta les épaules. Même au niveau de Noki et Douneï, elle restait le centre du regard glacial de la despote.

— Quant à toi…, marmonna-t-elle. J’ai longtemps imaginé une autre réalité. Celle où tu serais restée fidèle à tes principes. Comme lorsque tu as vaincu Horis Saiden, comme lorsque tu chevauchais au côté des miliciens. Ton honneur serait resté sauf si tu avais péri lors de la bataille de Doroniak.

— Et à jamais mon nom serait resté associé à celui de mes ennemis actuels, rétorqua Docini.

— Un trépas moins douloureux que celui qui t’attend.

— C’est pourtant le scénario que nous nous efforçons d’éviter. Impératrice, je ne m’agenouillerai plus devant vous. Je ne vous promettrai plus allégeance. Je ne bataillerai plus en votre nom. Par contre, je souhaite plus que quiconque que la fin de cette guerre implique le moins de rêves possibles.

— Un doux rêve, j’en ai bien peur. Je n’ai pas cédé face aux paroles de Noki : pourquoi serait-ce le cas devant les tiennes ?

Ainsi se prononce l’échéance, intervint Emiteffe. J’ai rarement eu recours aux négociations, et je comprends pourquoi.

Elle dit vrai. Les subtilités échouent. Réduits à nous convaincre que nous ne perdons pas notre temps… Bennenike circulait au-devant des meneurs, s’opiniâtrait à les faire chavirer. Cependant, Douneï eut beau détourner les yeux, Docini eut beau être ébranlée, Noki résista et soutint même son regard de métal. Elle aurait même répliqué si une voix n’avait pas émergé au sein de leurs propres troupes.

Zech et Janya l’exhortèrent. Vendri et Dirnilla tentèrent de le ralentir. Il les repoussa doucement, mû d’une agitation familière, avant de se singulariser parmi les siens. Il avait le doigt accusateur, l’œil contempteur. Face à l’impératrice, il ne ressentait aucune frayeur. Exactement comme quand il était intervenu contre Dathom.

— Qui es-tu ? interrogea-t-elle, dubitative.

— Fliberth Ristag, annonça le garde. Pas sûr que vous me connaissez.

— Garde d’Enthelian, devenu célèbre par l’affrontement à Thouktra. Je connais mes ennemis, Fliberth. Sinon quelqu’un d’autre m’aurait déjà usurpé le trône.

— Alors vous savez sûrement que pour certains, la guerre a débuté bien avant. Des années que je défends la frontière, que j’aide les mages à trouver de meilleurs lendemains. Avec mes amis présents, plus celles et ceux n’ayant plus la chance de vivre. Nous avons tout sacrifié, nous avons beaucoup souffert, mais nous ne renoncerons pas.

— J’admire ta ténacité bien que je méprise tes idéaux. Tu sembles te démarquer de tes pairs, mais à quoi bon ?

— Justement. J’aimerais que vous me fixiez, impératrice. Les yeux dans les yeux, et le cran avec. Pour qu’enfin vous ayez un aperçu de notre visage. Et surtout de nos cicatrices, résultat de notre spirale de malheurs.

— Tel est le prix de l’engagement, Fliberth. Tu sembles usé par la vie et sans vouloir abandonner. Tu me fais réaliser qu’au moment d’accéder au trône, j’avais mésestimé le soutien que recevraient les mages.

— C’est le moment précis que j’évoque. Il y a des années, trop belles, trop lointaines, je me mariais avec Jawine. Nous étions jeunes, nous étions insouciants. Nous pensions que le monde était à nous. Cette nuit-là, nous apprenions le décès de l’empereur Chemen, et nous nous interrogions sur l’avenir de l’empire. Nous ne nous doutions de rien. Et surtout pas qu’un jour, un dénommé Nerben Tioumen ruinerait définitivement notre vie. J’aurais voulu l’achever moi-même.

— Moi aussi, glissa Vendri.

— Tu as épouse une mage, répliqua Bennenike. Les répercussions étaient inévitables. Pose-toi la question, Fliberth : pourquoi tu as souhaité consacrer ta vie pour ces gens ?

— Parce qu’ils ne méritaient pas de mourir, affirma le garde. Parce que je me suis promis de lutter contre les injustices, d’où qu’elles proviennent. Ça vous paraîtra naïf, idiot même, mais c’est ainsi que j’ai été éduqué. De toutes les vies qui ont été brisées par votre simple décision. À votre tour de vous poser la question : pour combien de temps encore ?

Pas la moindre peur, du moins pas apparente. D’un œil admiratif Docini dévisageait Fliberth, geste que beaucoup imitèrent. L’ombre de l’impératrice avait beau s’étendre auprès de lui, sueur et tremblements restaient minimes. Bennenike l’examinait, le fixait avec sévérité, mais à aucun moment ses mains ne volèrent à ses cimeterres. Au lieu de quoi elle se remit à circuler de part et d’autre de l’assemblée. Chacun suivait ses mouvements, chacun brûlait à l’idée d’entendre ses prochains propos.

Une autre voix jaillit pourtant au milieu d’un fracas d’ébahissement.

Ni Nwelli, ni ses parents ne le retinrent. Les mèches soufflées par la brise, une expression sibylline inscrite sur son faciès, Jizo faisait face à la dirigeante myrrhéenne pour la première fois. Des flammèches scintillèrent dans ses iris tandis qu’elle découvrait l’ancien esclave. Lui aussi défie ses affres. C’est le jour idéal, on dirait.

— Je crains de ne pas te connaître, fit Bennenike. Me voici tout de même ravie de rencontrer de nouvelles personnes. En particules celles ayant des comptes à régler avec moi.

— Je ne vous connais pas non plus, expliqua Jizo. Je croyais, mais je me fourvoyais.

— Quand as-tu réalisé t’être fourvoyé ?

— Assez tard. Nwelli et moi avons été esclaves pendant de nombreuses années. Ma mère est dimérienne, mon père est skelurnois, et je ne suis pas un citoyen de l’empire. Mais c’est vous que je priais. Car j’avais entendu que vous aviez aboli l’esclavage, que vous combattiez activement les abuseurs. Un jour, mon souhait a été exaucé.

— Comment, puisque ton nom ne m’évoque rien ?

— J’ai demandé de l’aide à une femme à Nilaï. Une assassin du nom Nafda, prétendant se battre en votre nom. Elle nous a délivrés, Nwelli et moi.

— Maintenant que tu le dis… Tout est lié, même dans la vastitude de l’empire ! Te souviens-tu, Noki ? Tu détenais quelques esclavagistes en otage, et cette même assassin en a occis un. Gemout Sereph, qu’il s’appelait. Enfin je connais davantage de détails sur cette histoire.

Nwelli écarquilla tant les yeux qu’elle faillit basculer, toutefois Wenzina la rattrapa. Jizo voulut s’enquérir d’elle, avant de s’apercevoir que sa mère s’en était chargée, et demeurait focalisé sur l’impératrice. Entre eux, Docini, Noki et Douneï restaient aux aguets, quoiqu’ils arquaient les sourcils.

Circonspecte, Bennenike se fendit d’un sourire.

— Ai-je réveillé un passé douloureux par ma simple présence ? demanda-t-elle.

— J’ai revu Nafda lors de la bataille de Doroniak, éluda Jizo. Pour être honnête, je m’attendais à la retrouver aujourd’hui. Beaucoup de choses ont changé depuis. C’est ce jour-là que j’ai rencontré Taori.

— Elle ! grogna Godéra. Où est-elle ? Trop couarde que pour se rendre ici ?

Sera-t-elle la clé de notre victoire ? demanda Emiteffe. Les dernières semaines nous ont appris qu’il fallait ne pas trop les ménager. L’effort doit être collectif.

Des veines saillaient de part et d’autre d’une inquisitrice bientôt réduite au silence. Partout où Bennenike promenait son regard, il restait empreint de noirceur. L’histoire nous a appris ce qu’il se passait une fois qu’elle alliait le geste à la parole… Nonobstant la menace, Jizo s’érigeait encore par-delà ses compagnons.

— Que vous ayez aboli l’esclavage ne pardonne aucun de vos massacres, reprit-il sur un ton délateur. J’aurais dû en être conscient avant. Grâce à Taori, j’ai appris de mes erreurs… mais aussi qu’il existe peu de refuges pour elle. Tant que votre pouvoir sévira.

— En dépit de vos parcours distincts, commenta Bennenike, la convergence paraît inévitable. Suis-je si omnipotente que je favorise pareilles unions ? J’en serais presque flattée si je n’avais pas à vous occire. Tu étais un loyal sujet, hélas tu t’es égaré.

Nul ne répliqua alors que beaucoup s’y évertuèrent. Bennenike avait cessé de se mouvoir, désormais positionnée au centre de l’assemblée, où elle détaillait les meneurs avec insistance. Les tremblements se propageaient tout comme l’hésitation. Quand le débat se prolongeait par le silence, quand l’implicite s’exprimait de force, l’impatience s’intensifiait.

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