Chapitre 57 : Le joyau du désert (2/3)

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Tout secours ne sera que vain. Je me contente de retarder leur disparition ! L’inquisitrice était proche de s’arc-bouter. Si elle répliquait encore face aux estocades de biais, grâce à Édelle et Janya pour l’épauler, l’aspiration se dissipait telle une flammèche mourant dans un torrent. Pourquoi, bon sang ? Il doit bien y avoir un moyen de…

Soudain ressurgit l’étincelle nécessaire pour la raidir. Et la voix salvatrice résonna de plus belle dans son esprit :

Ne te morigène pas, Docini ! conseilla Emiteffe. Tu as les capacités de mener à bien cet assaut. Sinon, ce rôle ne te serait pas revenu.

— Comment ? rugit la jeune femme. Les murailles paraissent gigantesques, imprenables même ! Trop de gens meurent alors que nous sommes encore à l’extérieur de la cité…

Une créature est parvenue à les détruire.

— Une invocation surpuissante, oui !

Que tu compenses en menant l’une des plus importantes armées de mages jamais rassemblées. De plus, même si elles ont été réparées, les murailles peuvent encore être fragiles suite à la précédente attaque.

Docini cilla à cette révélation, et les étincelles s’intensifièrent de plus belle de part et d’autre de sa lame. Elle inspira une goulée d’air ardent et sollicita tous ses subordonnés à grands renforts de cris.

— Compagnons, avançons jusqu’aux murailles ! somma-t-elle. Libérons un chemin pour les mages, et nous rentrerons alors dans la cité !

Des cris d’encouragement déferlèrent sur le group. Malgré les blessures, malgré les pertes, ils jaillirent en une implacable ligne autour de laquelle ils fendirent une kyrielle de malheureux. Résonnèrent encore les collisions que déformèrent les métaux de toute sorte. Émanèrent encore des sorts lumineux et dévastateurs que le kurta absorbait quand les conditions étaient réunies.

Leur principale ligne s’agrandissait à mesure qu’ils s’enfonçaient de la mêlée. Depuis longtemps, il n’était plus nécessaire de lever les yeux pour l’apercevoir, tant elle semblait tutoyer la voûte azurée. Aucun assaut ne semblait en mesure de les briser, comme le prouvaient les impacts multiples issus des lignes arrière. Pourtant, à détailler la structure d’un œil plus scrutateur, des fissures les lézardaient par endroits. Peut-être que c’est notre chance.

Docini cessa d’accélérer au moment où un grondement tonitrua jusqu’à ses tympans. Édelle s’adaptait à sa cadence tandis que Janya interpellait des inquisiteurs dans la direction nord. De là avisèrent-elles deux tempêtes de sable grandissant de part et d’autre du terrain d’affrontement. Elles convergèrent l’une vers l’autre et bientôt frôlèrent les murailles aux pieds desquelles vociférèrent et bataillèrent obstinément leurs ennemis.

Des miliciens, militaires et inquisiteurs radicaux furent ensevelis sous l’amoncellement torrentueux. D’autres encore furent balayées comme s’il s’agissait d’une tornade. Néanmoins, plus les bourrasques progressaient et plus ses victimes s’en prémunissaient. Ils combinèrent le kurta afin d’en réduire l’intensité. Ils projetèrent vers l’avant les rémanents de la tempête, qui percuta alors fortement leurs assaillants.

Lesquels atténuèrent quelque peu la riposte, mais des vagues de sable emportèrent quelques malchanceux sur leur sillage. De quoi creuser davantage des sillons sur le faciès de Docini à mesure qu’elle prenait conscience de l’ampleur du désastre. Pas encore, non… Tournoyant sur elle-même, elle se délesta d’une poignée de soldats belurdois qui l’imaginaient vulnérable, à tort. Ainsi des jets de sang supplémentaires la déparaient quand elle perçut les grognements d’Édelle et Janya. Fliberth et Vendri les accompagnèrent et alors Docini réalisa qu’ils luttaient à proximité.

On finit toujours par retrouver son chemin, souffla Emiteffe. Malheureusement, lorsque la destination est familière, c’est qu’un sourire carnassier dévoile des intentions malveillantes.

Docini reconnut l’épée scintillante même dans la plus compacte des mêlées. Pas seulement des gardes et des inquisiteurs modérés, mais aussi de nombreux mages gisaient à ses pieds. Par-devers la fureur des survivants triomphait une silhouette inséparable de son arme tout comme de son carnage.

— Personne ne détruira Amberadie tant que je me dresserai, vous avez compris ? clama Godéra.

Le sang de Docini ne fit qu’un tour. Ce ne pouvait être qu’elle. Se dissimuler dans la mêlée avant de frapper implacablement, je la reconnais bien là ! Bientôt l’imitèrent ses alliés immédiats à qui elle somma de lui emboîter le pas. Ils déferlèrent dans la direction de la nouvelle cible aussi vite qu’ils pussent, toutefois la lame de Godéra ne cessait de trancher dans le vif.

— Vite ! s’écria Édelle en contemplant la lame greffée à son moignon. Elle risque de faire plus de dégâts !

Des ondes d’encouragement parcourent aussitôt inquisiteurs modérés, gardes et mages. En parallèle de leur avancée latérale s’adjoignait la percée des leurs, tant sur la terre qu’au ciel. Ainsi frappèrent sphères et rayons des pieds jusqu’aux tours juchées sur les murailles. Parfois elles éjectaient les miliciens en leur sommet, sinon elles détérioraient les fortifications. Les sorts jaillissaient en continu et voletaient telle une discrète barrière voilant la réconfortante vue azurée.

Sous les grésillements, entre charges et ripostes, quelque chose perturba Docini. Fût-ce une vétille, sa cadence s’en retrouvait impactée. Ses yeux se promenèrent entre les ramifications du chaos, ses oreilles se fendirent dans les gémissements se particularisant dans ce tintamarre sourd et déchirant. Car plusieurs jeunes miliciens tressaillirent. Ils étaient inondés de sueur, leurs jambes flageolèrent, surtout quand ils avaient la malchance de croiser le regard des mages.

— Nous sommes foutus ! se dolenta l’une d’entre eux. Je le savais que c’était une erreur de m’engager… Pitié, je ne veux pas mourir !

— Bats-toi, on n’a pas le choix ! s’exclama un confrère. On ne peut s’enfuir nulle part, ils vont nous massacrer jusqu’au dernier ! C’est la fin de notre civilisation !

— Nous avons prié l’impératrice jour et nuit ! Pourquoi ça n’a pas suffi ? Où est-elle ?

— Il faut rester ! Ma pauvre mère s’est blottie dans sa cave avec ma sœur et mes fils !

Leur voix perça au milieu des tintements et des jaillissements, si bien que quand le duo défila sous son passage, la bouche de Docini s’ouvrit en grand. Quoi ? Ils nous considèrent comme des envahisseurs assoiffés de sang, tout juste à bon à détruit tout ce qu’il aime ? Quoi que Bennenike leur a raconté, elle…

— Attention ! hurla Janya.

Comme si le signal fut insuffisant, Édelle dut saisir sa partenaire par l’avant-bras afin de le sauver. Une secousse ébranla les alentours, proche de générer une rupture au sein même des limites du désert. Des dizaines de combattants chutèrent sur le sable tandis que les autres se rattrapèrent de justesse. Docini et ses subordonnés s’arrêtèrent alors, un brin essoufflés, et identifièrent la cause du tremblement.

Elle ne déçoit jamais ! s’ébaudit Emiteffe. Hatris, tu es plus puissante que tu ne l’imagines !

Au-devant s’étendait comme une cavité au milieu du champ de bataille. Même s’il haletait, même si ses épaules s’étaient relâchées, Zech intimidait quiconque le dévisageait de trop près, sauf Taarek non loin qui semblait s’être habitué. Ses iris luisaient aussi intensément que son épée. Une aura carminée et pourtant diaphane l’entourait tout en se diffusant. Et surtout, de nombreux miliciens et soldats gisaient à ses pieds. Transpercés, démembrés, pulvérisés. Tout ce qui se rassemblait devant leurs yeux ébaubis évoquaient des réminiscences. Comme quand Saulen affrontait Godéra. Donc Emiteffe disait vrai ? Hatris n’a rien à lui envier ? Voilà qui serait une excellente nouvelle.

— Il existe des colères que rien ne peut tempérer, déclama Zech.

— Pathétique traître ! tonna Godéra, s’imposant envers et contre tout nonobstant les offensives. Tu te prends pour ce que tu n’es pas ! Ta loyauté à Kalhimon, je n’y avais jamais cru, et j’avais raison de me méfier !

— Un ordre basé sur la peur n’a que peu de chance de triompher. J’ai eu mon occasion de revoir mon allégeance et je l’ai saisie. Vos actes en deviennent d’autant plus impardonnables.

— C’est tout ce que votre inquisition soi-disant modérée a conservé de l’ordre authentique. Une volonté de juger à tout va. Nos ambitions te dépassent, mon pauvre. J’aurais dû te saisir par le cou, et t’étranger jusqu’à ce que mort s’ensuive quand tu étais encore un de mes subordonnés.

— D’après Hatris, vous êtes une belle parleuse, et je suis d’accord avec elle. Pour le concret en revanche… Qu’avez-vous ressenti en abandonnant votre propre base ? Vous faites la forte, mais vous vous êtes réfugiée dans la cité la plus fortifiée du monde !

— La ferme ! Je me vengerai de Taori en temps voulu, approche d’abord !

D’où vient ce regain d’assurance de la part de Zech ? Lui qui se confiait si souvent sur ses frayeurs… Partager son esprit avec Hatris lui apporte beaucoup ! À peine eut-elle hélé ses subordonnés que Godéra se rua vers son ennemi, ce à quoi Zech répliqua d’un coup d’œil dédaigneux. Il braqua son épée d’où jaillirent des rayons iridescents puis courut à son tour.

— S’il te plaît, ne fonce pas tête baissée ! prévint Taarek.

— Aucun risque, affirma Zech en souriant à son ami. J’avais dit que je ne reproduirai pas les mêmes erreurs que Saulen. Nous l’affronterons tous ensemble !

Un éclair de satisfaction fendit les traits de Taarek qui brandit son épée similairement à son ami. Ils constituèrent une force de frappe conséquente, similaire à une vague menaçant d’emporter quiconque osait répliquer. De sa position, Docini avisa qu’alliés comme ennemis à cet endroit partageaient le même camp naguère, avant la scission de l’inquisition.

Nulle tergiversation ne transparut cependant au moment de la collision.

Des lames s’entrechoquèrent avec véhémence, des inquisiteurs succombèrent des deux côtés. Les combattants estoquaient, frappaient, esquivaient, bloquaient, mais souvent leur destin heurtait la fatalité. Là-bas se déroulait un affrontement plus retentissant qu’ailleurs, comme des démembrements précédaient les décapitations, comme les ultimes borborygmes menaçaient de hanter les survivants déjà meurtris.

Parmi eux tourbillonnèrent deux épées plus implacables que les autres. Tels de sombres présages dans la nitescence matinale, Zech et Godéra balayèrent leurs adversaires respectifs en un clin d’œil. Des hurlements de géhenne se répercutèrent de lacérer et de projeter les malheureux. Et des sillons se formaient davantage à mesure qu’ils fauchaient des vies.

— Nous sommes proches ! avertit Édelle. Et vous avez bien entendu Zech ! Pas question de laisser Godéra s’en sortir, cette fois !

Janya, Fliberth, Vendri et moult consœurs et confrères opinèrent en s’exhortant. Seule Docini fit exception. Non car une inquisitrice radicale se dressa sur son passage : après tout, elle eut juste à se mouvoir à sénestre, et elle put dévier sa lame pour la tuer. C’était plutôt causé par la profonde voix d’Emiteffe, laquelle sondait avec circonspection la progression de l’affrontement.

Zech et Hatris sont puissants, mais Godéra aussi. Nous sommes des dizaines de milliers à avoir assailli Amberadie et seulement deux personnes possèdent la caractéristique de partager leur esprit avec une mage. Avec vos pouvoirs combinés, vous pouvez faire la différence ! Vous pourrez détruire les murailles ensemble, mais d’abord, débarrassez-vous de Godéra !

Un regain de détermination emplit Docini et l’incita à accélérer, ce qui réjouit ses compagnons. J’en avais bien l’intention. Tant que Godéra sévira, mon esprit ne sera pas apaisé !

Trop d’obstacles les gênèrent pour rallier leurs amis. Beaucoup de ses subordonnés s’étaient ligués contre eux. Forts de leurs précédentes victoires, ils levèrent haches, épées et marteaux qu’ils abattirent de plus belle. Mais d’un signe Docini préserva ses alliés puisqu’ils s’alignèrent et exécutèrent une redoutable parade. Il s’agissait alors d’établir une percée.

Car le duel se poursuivait par-delà ce mur d’inquisiteurs radicaux. Grognant, vitupérant contre ses opposants, Godéra trancha une mage en deux sous l’horreur de ses homologues. Du sang monta au visage de Taarek quand il s’aperçut de l’ampleur de la perte. Il frappa de sa lame en poussant un cri furibond. Il assaillit son ancienne collègue, lui assena des estocades sur ses flancs.

Tout ce qu’il réussit à infliger se limita à des égratignures que la cheffe dédaigna.

Après quoi son épée ripa contre la sienne. Godéra taillada la jambe de Taarek dès qu’elle brisa sa garde. Une fois l’inquisiteur à terre, suffoquant de douleur, l’ombre de la tueuse obscurcit sa vision déjà brouillée. Des cœurs ratèrent des bonds quand la lame fila à inquiétante allure.

Zech l’avait arrêtée net sur sa trajectoire. Animé d’une lourde respiration, raidi comme jamais, il adressa à Godéra le plus inamical des regards.

— Assez ! rugit-il. Trop de sang a déjà coulé à cause de vous !

— Les impuretés ont cette fâcheuse tendance à persister, persiffla Godéra. Quel dommage.

— Hatris affirmait que je ne dois pas laisser la rage m’envahir. J’ai malgré tout besoin d’une dose, même minime. C’est elle qui décuplera la portée de mes coups !

Alors que des spirales énergétiques firent de rapides rotations autour de la lame de Zech, ce dernier repoussa son adversaire sur plusieurs mètres. Un grand sourire étira les lèvres de Docini comme il se dressa fièrement, protégeant son ami jusqu’au déluge annihilateur. Nous avions raison de nous fier à lui ! Maintenant, je suis proche de le rejoindre.

Plusieurs intervenants des deux camps ralentirent peu les combattants dans leur élan. C’était comme si leur environnement se déchirait à chacun de leurs coups. Des soulevées de sable apparaissaient entre leurs impacts tonitruants. Des larges embrasures dentelaient le sol quand leurs lames se percutaient. Zech et Godéra ne se quittaient jamais du regard, paraient même au lieu d’éviter les offensives. Sans cesse le flux était absorbé, atténué, amplifié. Les deux inquisiteurs exécutaient leur propre danse sous la musique de la magie.

Par cette mélodie s’imposait le jeune homme dont le moindre mouvement s’accordait aux impulsions que lui fournissaient Hatris.

Tandis que de nombreux yeux se dilataient en-deçà de sa silhouette, les dégâts se répercutaient des collisions. Deux épées virevoltèrent sans jamais chuter des mains. Et le sérieux barrant le visage des anciens alliés se révélaient même, peut-être même inébranlables, lorsqu’ils hurlèrent à tue-tête. Des lignes de particules étincelantes formèrent un cercle autour d’eux. Elles s’étendirent en filaments et en étincelles dont la luminosité reflétait leur violente propagation. D’une main Zech les maniait, de l’autre il pénétrait dans les défenses, résolu à l’entailler par-delà sa cuirasse. Les entrechoquements tonnèrent où qu’ils allassent. Le duel où régnait le métal cédait à un flux enserrant alliés contre ennemis. À la fissure des alentours se collisionnèrent encore et encore les combattants, proches de flancher, près de choir. Mais chaque fois qu’ils se relevaient, leurs attaques redoublaient de colère, comme inépuisables.

Godéra se releva à chaque reprise.

Même si elle était balafrée, malgré ses essoufflements multiples, elle finit par casser le bouclier que Hatris avait déployé.

Elle coupa le bras droit de Zech puis l’empala net.

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