Chapitre 62 : Destinée à accomplir (2/2)

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Il se retourna brièvement et les aperçut. Alors un sourire allégea ses plis, car les renforts promettaient un soutien considérable. Rebelles myrrhéens oppressés en quête de liberté, militaires enthelianais parés à tout préserver, combattants belurdois défiant les dogmes, mages issus d’une multitude de contrées. Ces troupes se défient des appartenances. Ces troupes chargent aussi farouchement que leurs opposants. Dans cette union se répercutait une myriade de cris d’exhortation. Dans cette alliance déferlaient d’inexpugnables volontés. Acier et orbes percèrent dans la nuée et se démarquèrent dans l’obscurité semblable à une profonde nuit. Qui qu’ils fussent, ils se rendaient au même endroit, vers le sempiternel entrechoc.

Quelques-uns de ces alliés ralentirent en dépit des circonstances et se pâmèrent même quand ils reconnurent qui bataillait devant eux.

Puis ils scandèrent son nom. Encore et encore. Jusqu’au moment où le tonnerre couvrirait le moindre embranchement d’Amberadie. Jusqu’à l’instant où les piliers triompheraient de la sombreur latente. Peu leur importait de côtoyer leur possible fin, ils s’élançaient à hauteur du célèbre mage.

— Regarde, Hemeliam ! interpella le mage. Horis Saiden lui-même ! Nous le voyons enfin en personne !

— Un héros, une légende ! encensa une autre mage. Jamais nous n’égalerons son niveau, mais nous pouvons nous inspirer ! Tu as raison, Gobereï.

— Il s’est libéré de ses chaînes, constata un rebelle fantassin. Rien ni personne n’est capable de l’arrêter, voilà pourquoi ses ennemis tremblent et trépassent devant lui !

— Est-ce qu’il est à la hauteur de sa réputation ? interrogea une soldate enthelianaise.

— Bien sûr qu’il l’est ! soutint un combattant myrrhéen. Il s’est peut-être guéri, mais ses marques de combat sont encore visibles ! Tant qu’il luttera, moi, je n’abandonnerai pas !

Ils… Ils me hissent sur un piédestal ? Me considèrent mieux que quiconque, comme si je méritais de recevoir autant de louanges ? Horis était sceptique, les yeux écarquillés, toutefois avait-il peu de manœuvre pour exprimer ses rictus. Des dizaines de carreaux et flèches adverses ricochèrent contre un mur transparent que ses loyaux défenseurs avaient déployé. Celles et ceux qui créèrent alors leur propre rempart au mépris des risques de tribulation.

Fracas et clameur, stupeur et vitupérations. Armes morcelées à force d’en heurter d’autres. Vagues et ondes coalisant tout un savoir, rayons et orbes issus d’une sourde rage. Bien qu’il participât toujours à l’assaut, Horis se sentait un peu en retrait malgré lui. Ces hommes et femmes désireux de le talonner projetaient leurs sorts bien devant lui. D’aucuns succombaient face à l’inévitable riposte, et leurs camarades redoublaient d’effort pour leur rendre honneur. Pourvu qu’ils ne se sacrifient pas pour moi. Qu’ils comprennent les enjeux au-delà de ma personne.

— Montre-nous le chemin, Horis Saiden ! interpella une jeune mage délivrant de puissants jets incandescents. C’est moi, Idrina Naled, tu ne te souviens pas de moi ? Je t’ai déjà vu briller sur le champ de bataille !

— Les rumeurs étaient donc fondées ? s’étonna un dissident belurdois. Il est capable d’annihiler des centaines de miliciens en un claquement de doigts !

— Mais on dit qu’il a été capturé à trois reprises ! opposa une archère.

— Et alors ? défendit un arbalétrier ? Ça ne le rend pas moins vaillant ! Au contraire, c’était parce qu’il les affrontait seul ! Il n’a reculé à aucun moment, quitte à risquer sa vie ! Peu peuvent se vanter d’un tel exploit !

— Il va nous guider, affirma un vieux mage. Jusqu’à la fin, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien.

La mine de Horis s’assombrit aux propos d’autrui. Au centre de la lutte, entre cette kyrielle de remarques, il s’efforçait de revenir à l’essentiel. Ses sorts perçaient plus que ceux d ses homologues, réduisaient drastiquement les rangs impériaux, mais les pertes se faisaient lourdes et inévitables. Qu’est-ce que ces gens ont entendu sur moi ? Je n’aurais jamais cru être considéré comme un modèle. Me considèrent-ils seulement comme humain ? Là où sillonnaient les fractures s’imbriquaient des cris déformés. Des personnes des deux camps étaient propulsées sous des étendues et terribles vagues jusqu’à la chute fatale. Des gens de chaque côté assenaient, projetaient, fendaient, lançaient jusqu’à perte de l’individualité. Peu devenaient reconnaissables tant pleuvaient les projectiles et se heurtaient les corps et le métal.

Une épée se démarqua pourtant davantage que le surnombre. Dans son attirail flamboyant, le meneur du groupe, un homme d’âge avancé, pesa un coup d’œil insistant à l’intention de Horis.

— C’est donc toi, celui dont on nous rabâche le nom à longueur de temps ? murmura-t-il. Tu n’es pas si impressionnant. Et je me cogne de ce que pensent mes subordonnés.

Sans le lâcher du regard, il se mut à sénestre afin de parer une lance jaillissant de biais. Il la désaxa avec fluidité et une subordonnée put alors transpercer la brigandine de l’assaillant.

— Je suis le mage le plus connu actuellement, confirma Horis. Un avantage comme un inconvénient…

— Si je suis ravi de te connaître, ça, je ne sais pas encore ! répliqua le militaire. Dathom Eltecan, ça te parle ?

— Vous dirigez l’armée enthelianaise ?

Dathom opina en sourcillant. Il exécuta une foulée en arrière pour mieux charger vers l’avant, ouvrant dans une voie pour les mages et les fantassins. Tous s’y engouffrèrent aussitôt, épaissirent le mur contre lequel les troupes impériales s’écrasèrent.

— Mon rôle depuis si longtemps, surtout important en ce moment ! affirma le chef. Sans me vanter, j’ai l’impression d’être un meilleur meneur que toi.

— C’est parce que je n’en suis pas un, justifia le mage.

— On fuit ses responsabilités, hein ? Ils répondent à ton nom, ils suivent ton ombre. À ta place, je ne les décevrais pas.

Comment lui donner tort ? Horis balaya autour de lui tout en s’opiniâtrant dans l’offensive. Les voix s’étaient tues ou avaient perdu en clarté. Sourires et poings brandis s’alternaient entre la synchronisation des lames et des rayons de magie. Plus ils avançaient jusqu’à l’embranchement et plus les alliées se confortaient dans cette position, si bien que le jeune homme s’en mordilla la lèvre inférieure et s’en frotta le menton.

— Écoute, mon gars ! interpella Dathom. Cette bataille quand nous aurons pris d’assaut le Palais Impérial et tué Bennenike ! C’est ton but aussi, non ? Tu as l’air de vouloir la voir morte.

— Le palais est encore hors d’atteinte ! contesta Horis.

Une lueur de défi étincela par-dessus l’attirail déjà bariolé de Dathom. Il flanqua un clin d’œil à son interlocuteur.

— Détrompe-toi, gamin ! lança-t-il. Je ne suis pas sorti victorieux de toutes mes batailles, et pourtant toujours plus grand.

— Un excès de confiance ? constata Horis. Faites attention, vous risquez de…

— Tu dois comprendre les enjeux mieux que quiconque ! La plupart d’entre nous vont y passer de toute façon, autant que ce soit à cœur vaillant, pour la victoire totale !

D’une main son épée fendit une trajectoire curviligne, de l’autre son bras indiqua le centre tant convoité. Dathom ordonna à ses troupes d’agrandir leur percée. Ensemble ils libérèrent une voie déjà trouée d’anfractuosités. Mus par la combinaison de coups de sorts, impulsés par leur coordination, ils cheminèrent jusqu’à l’objectif tant convoité.

Un éclat d’inquiétude noua l’estomac de Horis. L’envie le brûlait de se fondre à la mêlée, de participer à cette mêlée généralisée.

Des voix familières se particularisèrent cependant derrière lui. Comme l’adversité avait faibli autour de lui.

Il aperçut Médis et Sembi. Alors il s’inclina, incapable de générer d’autres sorts, inapte à se ruer tout de go vers son rôle. Des plaies eurent beau les consteller, elles avaient beau être exténuées, leur simple présence allégea Horis de tous ses maux. Un instant durant, plus rien n’importait, sinon de les enlacer plutôt deux fois qu’une. L’apaisement survint au contact chaleureux quitte à se relâcher au milieu du terrain d’affrontement. Chaos et destruction se répandaient encore autour des trois mages chérissant leurs retrouvailles.

Depuis si longtemps… Je ne voulais pas les mettre en danger, mais elles ne reculent devant rien. Quelques plis striaient le visage de Médis, contrastant avec son sourire.

— Horis, c’est toi ! s’ébaudit-elle. Impossible de te manquer, pas vrai ? Il suffisait de suivre la plus puissante émanation de magie de la cité !

— Je suis désolé, s’excusa le jeune homme. Je me suis séparé de vous alors que vous auriez voulu me suivre.

— Nous sommes informés, rapporta Sembi. Une ancienne cité enfouie, poursuivi par Koulad et ses sbires, et une sinistre créature qui a bien failli anéantir Amberadie.

— Vous avez perçu le hurlement ? Il vient de cette bête, c’est sans équivoque, alors qu’elle est morte… Je dois tirer ça au clair.

Haletantes, trimant pour garder l’équilibre, ses amies frissonnèrent face à cette mention, s’accrochèrent malgré tout devant leur compagnon.

— Nous te pardonnons, à conditions de ne plus nous séparer ! décréta Médis. Oh, Horis, tu es un battant, mais tu as dû beaucoup souffrir dans les geôles et l’arène… Nafda sévit toujours ?

— Je le crains, fit Horis. C’est étonnant qu’elle ne m’ait pas retrouvée. Sans doute car Amberadie est vaste. Cela dit, j’ai décelé quelque chose lors de nos précédentes rencontres. Quelque chose qui pourrait avoir un impact sur l’issue de la bataille.

Médis et Sembi dévisagèrent Horis avec perplexité sans qu’il en démordît. À force d’immobilisme, il nota qu’une grêle silhouette s’invisibilisait derrière les mages. Oranne courait avec elles, même si elle était désemparée, ses jambes soutenant à peine sa course effrénée. Vivante et en liberté. Voilà l’essentiel.

Oranne se déplaça par pas pondérés, contempla en silence les dégâts grandissants. Moult sillons creusaient son faciès tandis qu’elle dévisageait ses compagnons, ses yeux comme voilés.

— Tout ceci se poursuivra tant que la despote respirera, déclara-t-elle fermement. J’ai essayé de me cacher, d’éviter de m’exposer… Trop tard. J’ai perdu une fois face à elle, et même si je me tue à me répéter que je ne suis pas une guerrière, je dois la confronter de nouveau. D’une manière ou d’une autre.

Elle pantelait tant que ses propos s’avéraient désarticulés, pourtant Horis en saisit la teneur. Ce pourquoi il relâcha ses bras, ferma ses poings, et un flux imposant quoique nécessaire l’emplit de plus belle. Oranne a raison. Plus que jamais.

— Pour moi aussi, affirma-t-il. Dathom se jette peut-être aveuglément, mais il va vers le bon chemin. Quelque part près du palais, Bennenike l’Impitoyable continue sa purge de mages, et ne s’arrêtera pas tant qu’un de nous tiendra encore debout. À nous de l’en empêcher. Qu’importe ce qu’il adviendra de nous.

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